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20 janvier 2013
Opération "SERVAL", contrecoup de l'épisode libyen
En déclenchant soudainement l'opération "SERVAL" comme coup d'arrêt à l'offensive des islamistes tenant le nord du Mali depuis le printemps dernier, la France a réagi au contrecoup le plus évident de la campagne de Libye : le vide sécuritaire provoqué par l'effondrement du régime Kadhafi, la libre disposition de troupes stipendiées et la mise en circulation de nombreuses armes de guerre, qui ont été exploités par les islamistes - en s'appuyant commodément sur les Touaregs - pour établir un sanctuaire, une zone territoriale servant à la fois de base d'opération et de refuge. La perspective de voir le Sahel se transformer en un nouvel Afghanistan n'était pas acceptable pour la communauté internationale, qui préparait une intervention militaire par le biais de contingents africains. L'attaque préemptive des islamistes a contraint la France à intervenir directement, dans les airs comme au sol.
Quel acteur a piégé l'autre, ou plus généralement lequel a en mains les meilleures cartes ? Les opinions et avis d'experts divergent. Une analyse très pertinente me semble celle d'Eric Denécé, qui rappelle qu'une force irrégulière abandonnant les tactiques de guérilla et menant des actions conventionnelles devient très vulnérable, en particulier lorsqu'elle opère en-dehors des territoires où elle dispose d'appuis solides au sein de la population. Il montre également l'inconséquence des choix politiques faits ces dernières années, qui aboutissent à simultanément combattre et appuyer les islamistes selon les pays concernés. On peut déduire de ces propos que si la France dispose de grands avantages au Mali et devrait infliger des pertes sensibles aux islamistes, cela n'aura pas d'effet sur l'insurrection globale que mènent ceux-ci de par le monde.
Pour sa part, dans une autre analyse à lire, le colonel Michel Goya rappelle que ce type d'intervention, dirigée contre un ennemi identifié, marque le retour de la France à des pratiques de guerre qui ont fait leurs preuves, tout spécialement sur le continent africain, à l'opposé d'opérations multinationales de maintien ou d'imposition de la paix qui constituent des « modes d'action stériles » en renonçant à identifier l'ennemi et à orienter l'action à son encontre. Les inquiétudes émises quant à une France « seule sur le terrain » sont donc doublement fausses : d'une part, l'armée malienne est engagée dans le conflit et joue un rôle important, notamment dans une perspective locale ; d'autre part, un cadre fourni par l'ONU ou l'UE réduirait nécessairement l'efficacité de l'action en raison de cette tendance à ne retenir que le plus petit dénominateur commun pour déterminer le mode opératoire.
Pour ma part, je souhaite apporter un éclairage sur deux aspects.
Premièrement, les critiques que l'on pouvait entendre au milieu de la décennie précédente sur une militarisation du Sahel sous couvert de lutte fictive contre le terrorisme, et adressées aux États-Unis, montrent aujourd'hui l'aveuglement qui a longtemps abouti à ignorer la lutte engagée par l'islamisme au niveau planétaire. En réalité, le Sahel n'est qu'une case de l'échiquier mondial, une région de combat potentielle parmi d'autres à partir de l'instant où un vide sécuritaire permet l'arrivée de djihadistes en nombre important. C'est parce que les islamistes ont subi une déroute en Irak et encaissé des pertes importantes en Afghanistan que d'autres cases de l'échiquier, c'est-à-dire d'autres théâtres d'opération, ont gagné en importance - comme le Yémen, la Somalie, et donc le Sahel.
L'approche indirecte retenue par les États-Unis, passant par le développement des forces armées nationales, a montré ses limites avec l'effondrement de l'armée malienne sous les coups de boutoir des islamistes et de leurs alliés touaregs. La France, qui a également mis à profit de la discrétion et de la polyvalence de ses forces spéciales, a eu plus de succès en allant davantage dans le sens d'un engagement commun, par exemple en Mauritanie. L'opération "SERVAL" est aujourd'hui la concrétisation de cette démarche. Dans la perspective d'une interdiction stratégique, c'est-à-dire en vue d'empêcher le maintien d'un sanctuaire islamiste au Sahel, l'engagement des quelque 2500 militaires annoncés par Paris semble un bien meilleur investissement que celui fait depuis plus de 10 ans en Afghanistan, en essayant de transformer ce pays en un État moderne et démocratique au lieu simplement d'en déloger les djihadistes et d'en contenir les taliban les plus extrêmes.
Deuxièmement, l'escalade des hostilités au Mali rappelle que la montée en puissance des organisations non étatiques est immensément facilitée par le démantèlement des organisations étatiques. Personne ne regrettera le régime du colonel Kadhafi, qui a été longtemps un acteur important du terrorisme international et s'est investi dans le domaine des armes de destruction massive ; pas plus que le régime de Saddam Hussein ou, le cas échéant, celui du clan Assad. Mais ces régimes autocratiques exercent un contrôle de leur population comme de leur espace tellement orientée vers leur propre survie que leur chute rend particulièrement difficile la transition vers un autre gouvernement, et offre ainsi des opportunités aux mouvances idéologiques, aux réseaux criminels ou encore aux structures claniques pour prendre ou reprendre une portion du pouvoir.
En d'autres termes, les opérations militaires visant à renverser un régime établi doivent être conçues dans la perspective de l'établissement d'un gouvernement raisonnablement légitime aux yeux de ses administrés, au service d'un État raisonnablement uni, et disposant des moyens de garantir la sécurité et la stabilité sur son territoire. Il est dès lors frappant de constater que les erreurs commises par les États-Unis en Irak, après avoir sous-estimé l'ampleur et la difficulté de la phase succédant au conflit conventionnel, ont été largement reproduites par la France et par le reste de la communauté internationale dans le cas de la Libye. Les proportions ne sont pas les mêmes, et le Sahel n'est pas un objectif comparable à Bagdad dans l'imaginaire islamiste, mais les espaces sont gigantesques et les États qui les partagent sont d'une fragilité avérée.
Publié par Ludovic Monnerat le 20 janvier 2013 à 16:04