« « Manœuvre napoléonienne » et « offensive à outrance ». La manœuvre dans l'armée française entre 1880 et 1914 | Accueil | Un choc qui paralyse : la stratégie de la marine impériale japonaise de Port Arthur (1904) à Pearl Harbour (1941) »
12 février 2010
Choc, feu, manœuvre et incertitude dans la guerre : l'exemple du combat de Rossignol (22 août 1914)
La neuvième communication a été présentée par le lt col Olivier Lahaie, Chef d'escadron, directeur des études d'histoire à Saint-Cyr-Coëtquidan, docteur en histoire moderne et contemporaine.
Le combat de Rossignol est l'exemple d'un affrontement imprévu, impensable.
Dans le cadre du Plan XVII, le généralissime français vise à une double offensive, avec un effort porté au sud du front, en direction de l'Alsace, et un effort porté au nord, en fonction du comportement des troupes allemandes. Ceci aboutira à une attaque des troupes françaises - IIIe et IVe Armées - dans les Ardennes, pendant que deux armées allemandes s'avancent au nord-ouest, dans le cadre de la manœuvre prévue par le plan Schlieffen-Moltke. C'est donc dans un terrain coupé que se livrera un combat de rencontre.
Du côté français, on ne comptait pas sur un engagement sérieux pour le 22 août 1914 ; c'est le corps d'armée colonial qui s'avancera sur Rossignol, comme partie est du fuseau de la IVe armée. La cavalerie du corps d'armée colonial se forme en avant sur une colonne, avec l'infanterie sur une autre colonne, et l'artillerie organique en appui. Au matin du 22 août 1914, les avant-gardes françaises butent sur les troupes allemandes ; mais c'est uniquement la 3e division d'infanterie coloniale qui affrontera tout un corps d'armée adverse, les autres éléments du corps d'armée colonial étant séparés par le terrain compartimenté et eux-mêmes au contact avec d'autres éléments allemands.
Le commandement français ne se rend pas compte tout de suite que c'est une position déjà solide, avec des tranchées et des mitrailleuses, qui s'oppose à son avant-garde ; les ordres de poursuivre la poussée sur Neufchâteau aboutissent à des charges qui sont brisées dans le sang. Ce sont au contraire les Allemands qui vont repousser constamment les troupes françaises, lesquelles doivent organiser une défense dans le village de Rossignol et sont dès midi dans une situation critique. Une lutte terrible oppose les Français, toujours plus désespérés, aux Allemands, et les premiers finissent par être submergés en fin d'après-midi. La 3e division d'infanterie coloniale est ainsi sacrifiée, et ne parvient à retarder que de 24 heures la poussée allemande. Les autres éléments du corps d'armée colonial subissent également de lourdes pertes.
Les causes de cet échec cuisant sont d'abord la sous-estimation des effectifs allemands par le commandement français, qui croit voir l'aile droite de l'adversaire là où se trouve son centre (et qui estime la présence de 5 corps d'armée là où 13 sont présents), et le mépris général du renseignement dans le commandement français, renseignement considéré comme un risque pour le maintien de l'esprit offensif. L'automatisme de l'offensive fausse tous les raisonnements, et la perception des rares informations est biaisée par la conviction qu'une attaque soutenue parviendra quoi qu'il en soit au succès. Ainsi, les informations sur la présence de nombreux soldats allemands devant leurs troupes, transmises par la population locale au commandement du corps d'armée colonial, ne seront simplement pas prises au sérieux ; pour leur part, les bulletins de renseignements transmis par le 2e bureau du GQG à la veille des combats n'annoncent que peu de troupes, mais ils sont vieux de 3 jours et totalement périmés.
Les combats de Rossignol sont ainsi emblématiques de la guerre des frontières, avec à la clef des pertes énormes du côté français, dont 75% en raison de l'artillerie adverse.
Publié par Ludovic Monnerat le 12 février 2010 à 16:11