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17 janvier 2010
Une affaire à approfondir
L'affaire Sudaro n'est pas faite pour renforcer la confiance dans les procédures de sélection des cadres supérieurs de l'armée comme de l'administration fédérale : le fait qu'un homme ayant semble-t-il fabriqué tous ses diplômes académiques ait pu pendant des années occuper des postes à hautes responsabilités constitue en effet un risque majeur sur le plan de la sécurité, par les possibilités de chantage que cela a créé, ainsi que pour la crédibilité du système tout entier, notamment pour ceux qui ont été confrontés au personnage. Les hiérarchies concernées vont procéder à une étude approfondie des raisons pour lesquelles une telle falsification a pu durer si longtemps, et donc ne feront pas de commentaire dans l'intervalle. Ce n'est pas une raison pour passer sous silence un tel sujet.
En premier lieu, il ne faut pas croire que les informations relatées voici 10 jours par la télévision suisse-alémanique, déclencheur de la tourmente médiatique comme de la chute du suspect, ont été une révélation au sein de l'armée. Depuis plusieurs années déjà, il pesait sur le « docteur » Sudaro des soupçons précis, des rumeurs faisant état d'un titre de doctorat factice ; le fait qu'il soit impossible de dénicher toute trace d'une thèse à son nom en est probablement la cause. En revanche, on ignorait que l'ensemble des titres dont il se prévalait était d'une nature similaire : l'idée qu'un personnage puisse falsifier à ce point son parcours, alors qu'au demeurant il était officier d'état-major général avec le grade de colonel, était apparemment trop extravagante pour être sérieusement considérée.
Au contraire, la hiérarchie militaire n'a pas hésité au printemps 2009 à mettre sur le devant de la scène le projet nommé « strategy check » conduit par Sudaro, notamment via la publication officielle de l'armée ; ce projet a consisté à examiner l'ensemble des composantes militaires pour en tirer des sources d'économie potentielles, et a été largement approuvé par le commandement de l'armée. Quelques semaines plus tard, cependant, le faux docteur quittait - apparemment de façon précipitée - ses fonctions, et son organisation de planification de la Défense était dissoute. Il faudra sans doute des recherches approfondies pour démêler le faux du vrai dans toutes les activités du faussaire, qui un temps a joui d'une confiance immense, au point d'être promis à un rôle-clef au sein de l'armée.
En théorie, les services de sécurité au plus haut échelon sont bien protégés contre l'intrusion de personnages présentant, pour des raisons diverses, des risques majeurs ; en Suisse, les contrôles personnels de sécurité peuvent être très approfondis et examiner toutes les facettes d'un candidat à une fonction sensible. L'affaire Sudaro montre cependant que ces protections ne suffisent pas, et que les mécanismes peuvent être biaisés par un individu particulièrement habile à gagner le respect des principaux dirigeants, et prêt à aller très loin pour satisfaire une ambition sans doute dévorante. Il serait donc erroné aujourd'hui de se focaliser sur le faux docteur : il est plus important, sans chasse aux sorcières, de reconstituer les décisions, les appréciations et les influences qui lui ont permis de faire une telle carrière.
Publié par Ludovic Monnerat le 17 janvier 2010 à 22:51