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21 octobre 2009
L'étrange notion de bourbier
S'il est un mot qui revient avec une régularité de métronome à propos des conflits armés contemporains, c'est bien celui de bourbier. Référence immédiate et convenue au conflit du Vietnam (le mot en anglais, "quagmire", étant encore plus parlant), cette notion a depuis été appliquée indifféremment à la Somalie, à la Bosnie, dans les années 90, et bien entendu de nos jours à l'Irak comme à l'Afghanistan. On désigne ainsi une armée qui s'embourbe, qui s'enfonce, une opération qui va de mal en pis, un désastre en marche et dont l'interruption relève de l'évidence, quoi qu'en disent les cloportes galonnés qui s'en font les avocats.
Il est vrai que les militaires ont puissamment contribué à ce cliché en empoignant de manière hyper conventionnelle des conflits qui ne l'étaient pas, en promettant sans cesse des victoires insaisissables, en affirmant que la lumière était au bout du tunnel sans pouvoir apparemment s'en approcher. Rechercher l'affrontement décisif sur le champ de bataille alors que les centres de gravité sont ailleurs est une méthode éprouvée pour épuiser ses propres ressources, à commencer par son soutien populaire et politique (pour une démocratie). A employer des moyens lourds et des méthodes pesantes sur des sables mouvants, on s'enfonce inexorablement.
Il est également vrai que certaines guerres éclair (Guerre des Six Jours entre Israël et ses voisins en 1967, 100 heures de combats terrestres contre l'Irak en 1991) ont entretenu l'illusion que l'emploi des armes peut aboutir promptement à un résultat décisif, alors que cela suppose un adversaire militaire acceptant le combat symétrique. Mais dès lors que la victoire passe par l'adhésion des populations, c'est un travail en profondeur qui s'impose, avec d'une part une lente déstabilisation, un isolement progressif de l'adversaire, et d'autre part une intégration toujours plus poussée de ses propres forces dans l'environnement sociétal qu'elle sont chargées de défendre, de protéger ou de normaliser.
La notion de bourbier n'a donc pas de sens ; une opération de basse intensité se déroule forcément au ralenti, et l'absence de victoire immédiate n'est pas synonyme d'échec. Les armées contemporaines restent encore mal outillées, sur le plan des doctrines, des structures et des moyens, pour relever de tels défis, mais il en a toujours été ainsi ou presque ; cela n'a pas empêché les insurrections, guérillas et autres mouvances non conventionnelles de régulièrement mordre la poussière face à un adversaire certes plus fort, mais surtout plus intelligent et plus flexible qu'eux. Il n'y a pas de sables mouvants pour qui accepte de se plonger dans un environnement conflictuel et d'y rester le temps qu'il faudra.
Publié par Ludovic Monnerat le 21 octobre 2009 à 10:38