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28 octobre 2009
De l'inimitié entre les peuples
Pardonnez-moi ce titre pompeux, mais c'est tout ce qui m'est venu à l'esprit pour exprimer mon désappointement suite à certains épisodes malheureux allant dans ce sens. Lors de mon récent séjour à Milan, je n'ai manqué de remarquer un nombre non négligeable (disons une cinquantaine - beaucoup moins qu'à Florence) de vendeurs à la sauvette d'origine africaine, et dont les allées et venues au gré des présences policières tend à démontrer le caractère précaire, sinon illicite, de leur activité. Mais ces vendeurs de sacs à main, jouets pour enfants et autres colifichets font preuve de retenue à l'endroit du chaland, lequel leur reste d'ailleurs pour l'essentiel indifférent. Il n'en va pas de même pour ceux qui vous abordent dans le seul but de vous extorquer de l'argent, sans vraie contrepartie.
Voici quelques années, j'avais vécu à Berne un épisode qui m'avait laissé un goût plutôt amer. Alors que je me promenais dans un parc de la ville, perdu dans mes pensées, je me suis fait aborder par un grand type souriant de toutes ses dents, me serrant la main, me disant qu'il venait de Jamaïque, qu'il était super cool, qu'il me souhaitait une très bonne journée, et qu'il voulait même m'offrir un cadeau pour me porter chance, une sorte de bracelet artisanal. Surpris et naïf en diable, j'ai accepté ce "cadeau". C'est ensuite qu'il m'a expliqué (en anglais) qu'il était dans une situation difficile, que tout le monde n'était pas super cool avec lui, qu'il n'avait pas une très bonne journée, et que comme il venait de me donner un cadeau, je pourrais bien lui donner un cadeau à mon tour. A cet instant, il souriait beaucoup moins, et moi aussi. Pleinement conscient - quoique tardivement - de me faire plumer, mais désireux d'éviter toute algarade, je n'ai pas tardé à lui remettre un billet sans rapport aucun avec la valeur de son colifichet, et à prendre congé de lui.
Du coup, récemment, dans le Castello Sforzesco, lorsqu'un autre type au profil similaire m'a abordé avec un grand sourire en me tendant la main, en me disant "hi man, Africa !", en me donnant un colifichet à peine différent, j'ai immédiatement - et poliment, bien entendu - pris mes distances, refusé de serrer sa main comme de prendre son "cadeau", et poursuivi mon chemin. Et je suis peu à peu entré dans une colère profonde, pour m'être trouvé contraint de ne pas serrer une main tendue, de ne pas montrer la moindre générosité, bref d'avoir à choisir entre être un égoïste et un pigeon. Tout en observant discrètement le manège des quelques Africains tournoyant entre les touristes, sous le regard hyperconcentré d'un guetteur assis au centre de leur dispositif, j'ai tenté de comprendre l'écœurement que m'inspirait un tel gâchis.
Pourquoi faut-il de telles situations, dont il ne peut résulter que de la rancœur et de l'amertume ? Pourquoi ne voit-on pas que l'immigration incontrôlée ne produit que des frustrations de part et d'autre ? Quelle opinion peuvent bien avoir ces vendeurs à la sauvette, ces escrocs de bouts de chandelles, face à cette ville aux visages fermés, aux regards froids, au mépris palpable, qui les contraint à vivre de rapines ? Quelle chance ont-ils de mener une existence digne et reconnue, alors qu'ils n'ont pas reçu l'éducation permettant d'intégrer une société postindustrielle, qu'ils n'ont pour la plupart aucune compétence à faire valoir par ici, sinon un instinct de survie qui leur a permis d'arriver là ? Et que peut en penser l'autochtone qui travaille dur, élève une famille, paie des impôts, bref s'investit pour la collectivité, et qui en même temps voit traîner par dizaines ces hommes à moitié désœuvrés ?
Publié par Ludovic Monnerat le 28 octobre 2009 à 22:10