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23 septembre 2009
Les retombées toxiques des pressions budgétaires
Quelles sont les conséquences pour l'armée de la transformation accélérée qu'elle subit depuis 10 ans, et qui désormais doivent bien davantage aux réductions budgétaires qu'à la transformation du contexte stratégique ? Bientôt 6 ans après l'introduction de l'Armée XXI, dont le modèle est toujours plus éloigné des conditions-cadres actuelles, certains éléments de réponse apparaissent clairement, en particulier ceux qui ont trait au fonctionnement interne de l'institution.
Premièrement, il existe aujourd'hui au sein de l'armée une sorte de lutte permanente, de concurrence exacerbée, voire même de course à la survie. La nécessité de réduire fortement et constamment le volume du personnel remet en question toutes les structures existantes, et la crainte de disparaître, de sacrifier le produit de tant d'efforts, amène presque immanquablement chaque organisation à contester l'ampleur, sinon l'existence, d'autres organisations comparables ou convergentes. Au lieu de l'union sacrée qu'exigerait la gravité de la situation, nous assistons à une lutte de tous contre tous qui régulièrement sort du cadre de l'armée pour atterrir dans la classe politique ou dans les médias.
Deuxièmement, les décisions prises même au niveau le plus élevé sont systématiquement remises en question. Parce que les ressources disponibles ne permettent plus de tout faire, chacun a la tentation de choisir entre les missions reçues, c'est-à-dire de fixer ses propres priorités, et donc somme toute de faire ce qu'il veut. A raison ou à tort, la faisabilité est souvent opposée à l'autorité. Du coup, les ordres sont considérés comme provisoires à l'instant même d'être émis, parce que l'on subodore un contrordre prochain, justifié par l'insuffisance des ressources, un changement de chef ou une nouvelle restructuration.
Troisièmement, la gestion prend le pas sur la conduite, et la centralisation accrue force encore le trait. Parce que l'armée est confrontée à des problèmes généraux, on élargit les solutions à toutes ses composantes, et donc on surcharge les grands chefs de dossiers par dizaines. A force de ne jurer que par les processus et le "top down", on multiplie la complexité du système, on sature les échelons supérieurs et on s'éloigne de ceux qui forment effectivement les capacités de l'armée. On en vient même à donner des ordres à toutes les unités de l'armée, directement depuis Berne, comme dans une administration, comme si les commandements n'existaient pas.
Quatrièmement, corollaire logique, on multiplie les gestionnaires au détriment des militaires. On a fait croire au commandement de l'armée que les nouvelles technologies de l'information et des processus à la mode tels que "controlling", "portfolio management" ou encore "masterplan" lui permettraient de tout voir, de tout savoir et donc de décider mieux que quiconque. En conséquence, on compte de plus en plus de gens qui ne font que traiter et transmettre des données, et de moins en moins de gens qui se chargent de générer, d'entraîner et d'engager les formations. Surtout lorsque ces données prouvent à quel point sa propre organisation est indispensable, ce qui nous ramène au premier point.
Je pourrais naturellement émailler mon propos de maints exemples précis, mais je préfère conclure par une question : dans ces conditions, peut-on s'imaginer que l'armée soit en mesure de remplir sa mission en cas de crise ?
Publié par Ludovic Monnerat le 23 septembre 2009 à 18:21