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30 septembre 2009
Le syndrome du cockpit
La conduite militaire à l'ère numérique compte pour principal écueil la tentation de l'omniscience. Parce que l'informatique facilite immensément la génération, la transmission, le stockage et la visualisation des données, il est tentant de confondre quantité et qualité de l'information, de penser que l'on sait l'essentiel parce que l'on sait beaucoup. J'irais même plus loin en nommant cela le syndrome du cockpit : de la même manière qu'un pilote dispose sous ses yeux de tous les indicateurs nécessaires à sa fonction, qu'il s'agisse uniquement de voler ou en plus d'engager des systèmes d'armes, on se donne aujourd'hui l'impression de disposer d'un tableau de bord permettant de conduire un corps de troupe, une Grande Unité, voire même l'armée tout entière.
Le principe du cockpit est simple et attractif : toutes les informations essentielles sont amenées dans le champ de vision du pilote, qui peut donc immédiatement les exploiter pour agir ou réagir. Du moins est-ce ainsi que cela devrait en théorie fonctionner ; dans la pratique, les informations concernant un éventuel adversaire - comme la mission centrale des armées reste le combat, il vaut mieux s'en soucier - peuvent être insuffisantes (camouflage) ou fausses (déception). Il peut être satisfaisant de recevoir l'information censée répondre à nos besoins, et pratiquer une sorte de culture télévisuelle, mais l'information-clef ne se laisse que rarement appréhender de la sorte. Il faut s'investir, voire se battre, pour l'avoir.
Bien entendu, les systèmes informatiques sont parfaitement adaptés à la logique mathématique des domaines essentiellement linéaires, comme la logistique et l'aide au commandement. En revanche, ils se révèlent particulièrement inadaptés à la logique paradoxale de la stratégie, à l'affrontement des volontés qui caractérise le combat sous toutes ses formes. Il est donc inutile, et souvent même contre-productif, de maximiser l'efficience de sa propre mécanique interne sans avoir l'appréhension de l'enchaînement des mesures et contre-mesures que suppose un affrontement entre deux acteurs - ou davantage. Savoir n'est pas encore comprendre, et comprendre n'est pas encore décider.
Il faut parfois faire preuve de discipline pour éteindre la télévision. Il en faut peut-être autant pour éteindre son ordinateur, couper les smartboards, renoncer aux e-mails, bref pour se couper du flux des données. On peut accepter un cockpit pour commander à une machine, dont il constitue dès lors l'interface, mais pas pour conduire des hommes, et ceci même en l'absence de toute situation conflictuelle. Et si de telles affirmations résonnent comme des évidences, il faut avoir expérimenté le fonctionnement quotidien de grands états-majors répartis entre plusieurs emplacements, reliés par vidéoconférence et vivant au rythme des SOP pour savoir la valeur d'un fonctionnement analogique.
Publié par Ludovic Monnerat le 30 septembre 2009 à 21:12