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23 août 2007
L'action dans la profondeur
Dans les armées occidentales, la notion d'action dans la profondeur a été entérinée par la doctrine AirLand Battle, développée pour faire face à la menace soviétique en Europe ; jusqu'à nos jours, on tend encore ainsi à délimiter l'espace entre zone profonde, zone de contact et zone arrière (deep, close, rear), et de nombreuses notions en découlent, comme l'exploration dans la profondeur (plusieurs dizaines à plusieurs centaines de kilomètres), le feu opératif (à des distances similaires) ou les commandements de zone arrière. En soi, cette délimitation de l'espace ne s'éloigne pas vraiment de celle élaborée au XIXe siècle par Jomini, et dont certaines expressions sont toujours utilisées (base d'opération, ligne de communication, etc.), à la différence près que la troisième dimension et la portée des armes modernes a été intégrée.
On mesure donc la mutation doctrinale que provoque l'interconnexion des champs de bataille, encore illustrée récemment par des incidents montrant la vulnérabilité des zones arrières et l'absence de profondeur stratégique : des familles de soldats britanniques et danois déployés en Afghanistan et en Irak ont reçu des coups de téléphone menaçants ou insultants, après avoir probablement intercepté des appels passés à partir de téléphones portables. Avec un effet sur les familles, déstabilisées par ces intrusions vocales et redoutant des actions violentes (par exemple venant de minorités étrangères présentes dans leur pays), mais aussi sur le moral des troupes, notamment par les restrictions afférentes dans l'emploi des communications.
De telles méthodes sont naturellement à double tranchant, et elles peuvent fort bien se retourner contre leurs auteurs ; nombre de combattants irréguliers ont été piégés, ces dernières années, par l'emploi inconséquent de technologies modernes. Mais ces méthodes montrent également que penser en réseau doit devenir la règle dans tous les domaines des opérations militaires, que le soldat individuel doit être intégré avec tous ses liens affectifs, et qu'un éventail complet d'actions adverses possibles, indépendamment de l'espace, doit impérativement être intégré dans toute planification d'emploi. Ainsi, pour revenir aux exemples cités, chaque contingent projeté dans une mission même de maintien de la paix doit faire l'objet dans le pays d'origine non seulement de mesures de sécurité opérationnelle, mais également de planifications prévisionnelles fondées sur la possibilité d'actions psychologiques menées sur leur entourage.
De ce fait, la structuration de l'espace ne peut plus être celle que nous a léguée la doctrine militaire du XXe siècle, mais doit tenir compte des capacités, de la volonté, de la légitimité et de l'opportunité d'agir des acteurs belligérants (ou potentiellement actifs dans un conflit). Par conséquent, la véritable action dans la profondeur - sans nier les difficultés tactiques et techniques liées à l'emploi de troupes loin de leur base d'opération - consiste non pas à pénétrer les espaces, mais bien à pénétrer les esprits ; non pas à influencer la disposition des forces adverses, mais bien à affecter la circulation des idées et émotions opposées ; non pas à porter la guerre sur le sol de l'ennemi (elle y fait déjà rage, pour peu que ce lieu soit accessible aux biens, aux personnes et aux informations), mais bien à mener celle qui inévitablement se déroule autour de nous.
Publié par Ludovic Monnerat le 23 août 2007 à 20:10
Commentaires
"...consiste non pas à pénétrer les espaces, mais bien à pénétrer les esprits..."
Et quand on aura constaté que cette stratégie est soit condamnée à l'échec (1) soit suicidaire dans le cas peu probable où elle réussirait (2), les derniers éléments sains tenteront, s'il est encore temps, de restaurer l'ordre cohérent des espaces.
(1) cf. la fable du scorpion et de la grenouille.
(2) la perspective de vivre dans un monde où les "esprits", quels qu'ils soient, auront été suffisemment arasés pour satisfaire à l'imperium du "vivre-ensemble" me fait encore plus peur qu'une confrontation directe. Bon, cette perspective est hautement théorique, étant donné que les divers ratios démographiques nous sont désormais largement défavorables, que ce soit en Europe ou aux USA.
Publié par fass57 le 23 août 2007 à 22:01
"penser en réseau doit devenir la règle dans tous les domaines des opérations militaires"
Est-ce vrai que 75% de nos offs rens n' ont pas encore compris que l' ennemi actuel est structuré en étoile de mer et non en araignée ?
Publié par Luc B le 24 août 2007 à 0:21
"Et quand on aura constaté que cette stratégie est soit condamnée à l'échec (1) soit suicidaire dans le cas peu probable où elle réussirait (2), les derniers éléments sains tenteront, s'il est encore temps, de restaurer l'ordre cohérent des espaces."
Je peine à comprendre votre objection, Fass57 ; ce que je dis, c'est simplement que l'emploi des forces armées doit se faire par rapport aux populations, et non par rapport au terrain, comme on tend encore à le penser par réflexe. Dans l'approche militaire traditionnelle, la carte géographique donne l'essentiel des informations à prendre en compte : axes, obstacles, passages obligés, hauteurs dominantes, etc.
Publié par Ludovic Monnerat le 24 août 2007 à 7:44
Je ne peux qu'évidemment être d'accord avec votre dernier paragraphe, quand cette conception s'applique au plan strictement opérationnel, sans déborder sur la psyché générale d'une armée. Je m'explique plus clairement: je pense en fait à un reportage récent sur l'engagement français en Afghanistan, où l'on suivait notamment un jeune capitaine; celui-ci tenait clairement ce discours d'empathie active avec les intérêts de la population occupée, mais le problème venait du fait que ces valeurs d'empathie paraissaient se superposer, voir remplacer, les valeurs martiales qui devraient toujours structurer une identité militaire. Cela me paraît problématique au niveau d'un individu, cela me semble infiniment préoccupant si cela s'étend à toute la composante armée d'un bloc civilisationnel.
Publié par fass57 le 24 août 2007 à 9:32
La psyché générale doit rester celle d'un bras armé au service d'une nation et d'une population ; sans cela, pas besoin d'armée. En revanche, l'éventail et la priorité des armes en question évoluent constamment, de même que les terrains sur lesquels elles doivent être déployées. Vaincre et convaincre doivent donc être indissociables.
Publié par Ludovic Monnerat le 24 août 2007 à 10:42
@ Fass 57 : mettre en avant les valeurs martiales au contact de la population, dans un pays comme l' Afghanistan, amènerait quel résultat selon vous ?
L' histoire récente fournit un bon exemple : le comportement américain dès l' entrée en Irak. A vous de juger.
Publié par Luc B le 24 août 2007 à 13:57
Il ne s'agit évidemment pas de se comporter comme Attila en terrain conquis, ce n'est pas de l'opérationnel dont je parlais (1).
Plutôt de l'aspect sociétal et psychologique, que ce soit au niveau de l'individu ou des grands ensembles. Au niveau de l'individu, on pourrait évoquer le cas de ces militaires qui partent en déploiement avec une mentalité courante de militaire, c'est à dire pas trop à gauche et raisonnablement nationaliste, et qui reviennent en tenant un discours de militant altermondialiste ou caritatif. Au niveau des grands ensembles, quand l'empathie "opérationnelle" devient "civilisationnelle", cela donne très vite un terreau propice à la ramification de toutes les variations possibles du "vivre-ensemble". Une sorte de phénomène réplicant par contact, d'absorption par capillarité.
Or, pour moi, c'est un prédicat de base que la cohérence des "espaces", tant géographiques que symboliques (les deux aspects sont intimement liés, l'érosion de l'idée de frontière étant un des drames de l'époque) doit toujours être absolument préservé.
C'est donc à mon sens une erreur de base de penser restaurer une certaine paix en oubliant cette cohérence.
(1) Quoique la manière anglaise en Irak, plus cordiale et empathique que la façon américaine, aboutit in fine à un résultat quasiment similaire.
Publié par fass57 le 24 août 2007 à 14:22
« !Quoique la manière anglaise en Irak, plus cordiale et empathique que la façon américaine, aboutit in fine à un résultat quasiment similaire. »
Ce n'est qu'un préjugé et une propagande anti-américaine, au mieux c'est la perception européenne de « boire le champagne » dans une flute pour le vieux pays, dans une coupe pour les autres! il n'y a pas de méthodes distinctes mais bien le vieux jeu du Bon, de la Brute et du Truand. Cette trilogie opérationnelle reste le vrai fond de l'Armée comme du Civil. Les Truands s'enrichissent, les Brutes s'assouvissent et les Bons tirent les ficelles. Ils sont bien différenciés ce qui permet de contrôler les abus. Le problème avec les Gauchisants c'est qu'ils sont les trois à la fois, complètements atomisés, imputables de rien, cavaliers de l'apocalypse moderne ils ficellent ce monde libre en trompant le faible ou l'ignorant et brandissant l'oriflamme de la Vertu ils conquièrent les cœurs et les esprits. Cette pourriture nous envenime et nous subissons en ce moment au Canada notre plus grande bataille pour la liberté et force est de reconnaitre que ces Gauchisants ont un terreau propice dans ce grand pays étiré, sous peuplé et ignorant des valeurs occidentales pour ses jeunes générations ( c'est ce qui arrive quand on mange plus de taboulé que de fèves au lard ;-)
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 25 août 2007 à 15:22
@ Roland
Pour une raison inconnue, je ne peux aboutir à la fin du forum de 51 messages (celui qui faisait suite aux infos de la RMS). Je n'arrive qu'aux 3/4. Je ne sais donc comment vous faire parvenir la réponse que je vous destinais. Si vous avez une solution...
Publié par Albert le 25 août 2007 à 15:34