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12 janvier 2007
Un ennemi invisible et intangible
L'un des aspects les plus étonnants de la guerre qui oppose les démocraties libérales aux fondamentalistes musulmans n'est autre que le contraste entre l'exposition médiatique des belligérants, et notamment de leur situation matérielle comme immatérielle.
D'un côté, les nations occidentales en général et les Etats-Unis en particulier sont surexposés. Une agence de presse comme AP fait le décompte quotidien des pertes militaires en Irak, alors que d'autres organes médiatiques compilent noms, prénoms, origines et photos des soldats tombés. Les dépenses liées aux opérations en cours sont décortiquées et critiquées, les controverses politiques ou doctrinales sont relayées et amplifiées, les opinions du public sont sondées en permanence. La posture investigatrice et justicière de la presse aidant, le discours officiel tend même à être écarté d'emblée au profit d'un discours donnant une large place à la contestation. Souvent, on n'hésite pas à appliquer des expressions simplistes et péjoratives pour désigner des personnages publics, comme faucon ou tête brûlée, et ainsi imposer une caricature moralisatrice en lieu et place d'une relation factuelle.
D'un autre côté, les mouvances et réseaux islamistes en général sont sous-exposés. On ne connaît d'eux que les chefs principaux, parce qu'ils sont ouvertement recherchés par les nations occidentales et/ou parce que leurs déclarations sont reprises par les médias, qui d'ailleurs les jugent le plus souvent sur leur occurrence et non sur leur contenu. On ne connaît pas le cumul de leurs pertes au combat, qu'aucun organe médiatique ne daigne comptabiliser et qui sont presque toujours annoncées par leurs adversaires. On ne connaît pas ou presque ni leurs ressources financières, issues de nébuleuses dopées par la charité islamique et les pétro-dollars, ni leurs controverses stratégiques, parfois révélées par des messages interceptés, ni les fluctuations de leur volonté. On les traite comme des entités invisibles et intangibles dont la seule manifestation est une preuve de succès, et non comme des acteurs guettés par l'échec.
Cette réduction différenciée est bien entendu largement liée aux impératifs et limites des médias contemporains. La nécessité de ramener un conflit déstructuré à une narration simple et concise aboutit d'un côté à une personnification exagérée, avec quelques dirigeants responsables - et donc coupables - de tout, et d'un autre côté à une véritable dépersonnification, avec des belligérants transformés en facteurs environnementaux. Du coup, le moindre insuccès américain en Irak devient un échec de Bush ou de Rumsfeld, alors que le plus grand succès américain n'est l'échec de personne ; un peu comme un commentateur sportif qui ne compterait les buts et les actions que dans un seul camp, tout événement est aussitôt jugé par rapport aux principaux belligérants étatiques, avec une réévaluation critique de leur position, et jamais par rapport aux belligérants non étatiques. Alors même que les uns et les autres sont en conflit et se trouvent à une distance plus ou moins grande de leurs objectifs.
La surexposition médiatique mène ainsi à une perspective tronquée qui peut fort bien influencer l'issue du conflit. Les études les plus récentes montrent désormais que cela a été le cas dans la guerre du Vietnam : à plusieurs reprises entre 1965 et 1972, les dirigeants de Hanoi ont été sur le point de juger leur effort voué à l'échec et de jeter l'éponge, mais la couverture médiatique entièrement centrée sur les Etats-Unis et leurs alliés a au contraire imposé dans les esprits l'idée d'un adversaire impossible à vaincre, d'une guerre impossible à gagner. Le même phénomène se produit aujourd'hui : un ennemi aux multiples visages finit par n'en avoir aucun, par n'avoir plus figure humaine, par être dépourvu de ce doute permanent, de cette volonté fragile, de ces capacités fluctuantes qui caractérisent tout belligérant. Il devient le vent, la terre, l'eau ou le feu - selon l'interprétation qu'on lui donne. Comment vaincre des éléments ?
Pour se faire une idée réaliste de la situation, il faut donc s'efforcer de tenir un score mutuel, de fixer des critères de succès aussi objectifs que possible et d'évaluer à leur aune la situation des belligérants impliqués.
Publié par Ludovic Monnerat le 12 janvier 2007 à 22:23
Commentaires
Il y a tout de même un élément manquant dans votre analyse, alors que vous parlez très souvent de conflit dyssymétrique. Ce sont les USA qui ont envahi l'Irak et non l'inverse. Les Irakiens étaient bien placés pour savoir qu'aucune résistance frontale n'était possible. Leur restait ce qui se passe maintenant. Une guérilla qui fait ses deux ou trois morts américains par jour, ce qui finira bien par user leur adversaire (le processus est déjà bien engagé...). Alors c'est vrai que la guerilla a besoin de la clandestinité. Certains intervenants dans ce site ont la nostalgie de Gladio, d'autres parlent de "clubs" en France où se mitonneraient de futures actions de résistance (euphémisme, bien sûr) contre l'envahisseur musulman. Ces propos n'ont pas pu vous échapper. Gladio et ces clubs sont ou ont été tout aussi clandestins. Et ce qui est bon pour la résistance européenne contre les musulmans est bon pour les musulmans contre l'envahisseur américain. C'est aussi simple que cela.
D'autre part, on ne peut prôner les vertus démocratiques occidentales et ne pas voir que ces vertus ont aussi des défauts, entre autres la transparence.
Publié par Roland le 13 janvier 2007 à 9:40
A mon avis, le véritable danger n'est pas l'action des terroristes islamistes, bien au contraire, leur action depuis 1995 et surtout depuis septembre 2001, a permis de mettre au jour le risque que représente l'expansion islamique en Occident et particulièrement en Europe.
Le travail de sape de la civilisation occidentale entrepris par l'UOIF en France, par exemple, est une menace bien plus grande car insidieuse et sans conséquences immédiatement visibles.
Les terroristes ne feront jamais plus que quelques milliers de morts par an en Occident alors que des phénomènes comme l'immigration des musulmans en Europe et la natalité associée, le combat idéologique islamique face à des Européens qui ne connaissent plus que la honte d'eux-même, l'éventuelle entrée de la Turquie en Europe, sont des menaces bien plus grave pour la survie de notre civilisation.
Publié par tibo le 13 janvier 2007 à 10:24
A Roland : votre vision du conflit irakien, avec un envahisseur et une "résistance", ne correspond pas à la situation sur le terrain, où les violences interreligieuses sont aujourd'hui un aspect dominant.
Par ailleurs, je pense justement que la transparence n'est pas un défaut, dès lors qu'elle ne met pas en péril des intérêts vitaux, et c'est au contraire avec davantage de transparence, sur le fond (informations) comme sur la forme (sources utilisées), que l'on devrait décrire ce conflit du côté non étatique.
Publié par Ludovic Monnerat le 13 janvier 2007 à 11:01
Il est clair, comme vous le dites, que les centres de gravité du conflit sont la population irakienne, l'opinion publique américaine et les soldats US eux-mêmes (ce qui expliquerait pourquoi les insurgés sont exclus du tableau d'ensemble). La seule question est de savoir si cela provient du poids croissant des opinions publiques dans la conduite des guerres (schématiquement, je dirais que la victoire ou la défaite comptent moins que leur perception, soient le succès ou l'échec, pour valider la politique publique d'un gouvernement), auquel cas il faut accentuer le travail d'information afin d'inclure les données que vous citez et alors les médias ne sont donc qu'un outil. Ou si cela vient de la couverture médiatique qui négligerait, à dessein ou non, les paramètres concernant l'ennemi (à la fois parce que celui-ci ne cadre pas avec le rôle et l'image classique du combattant, mais aussi parce qu'il demeure difficile de sortir de la narration simpliste pour un média). Autrement dit, est-ce le symptôme d'une accentuation du rôle de l'information dans les guerres menées par les occidentaux (ce qui est loin d'être prouvé ou infirmé) ou bien simplement un effet d'optique liée à la difficulté de rendre compte efficacement des opérations militaires dans un cadre contre-insurrectionnel, urbain et asymétrique (sans compter les imbrications ethniques et politiques)?
Publié par stéphane le 13 janvier 2007 à 19:01
Je vois plusieurs autres points qui peuvent aller contre une information équilibrée sur les belligérants en présence. Le premier c'est que les médias des pays musulmans (souvent étatiques) font pour la plupart de la propagande et pas de l'information. Depuis des dizaines d'années ils ont formé l'opinion haineuse de leurs concitoyens qui n'a plus qu'à être cueillie par les islamistes qu'elle a engendrés. Deuxièment, on assiste à une politique délibérée des capitaux du golfe de tenir l'information au niveau mondiale, information orientée bien évidemment.C'est d'autant plus inquiétant que Aljezira est passé de 50 millions de télépectateurs en langue arabe à un milliard de télespectateurs en langue anglaise. Troisièment, les centrales d'information comme Reuters ou AFP ont un parti pris, dû pour une part à ce que leurs actionnaires principaux soient des gens du golfe, et pour une autre part à ce que les terroristes s'en prenant plus facilement aux journalistes occidentaux ceux-ci ont été remplacés par des gens du cru pour qui la plupart du temps journalisme veut dire propagande. La boucle infernale...
Publié par elf le 13 janvier 2007 à 20:54
Ce que vous écrivez me parait bien reflèter la situation de l'information. Mais il n'y a pour la plupart des cas même pas l'excuse du terrorisme qui s'en prendrait aux journalistes occidentaux. Dans le cas de la France, il s'agit visiblement d'une politique d'entreprise. Si vous écoutez RFI Afrique, au côté de Malcolm X, L'animateur de l'après-midi évoque parfois Farrakhan. RFI haut lieu de la propagande raciste anti-Blancs...et surtout anti-Sarkozy. Il ne doit visiblement exister aucune commission de surveillance de la déontologie pour cette radio.
Publié par Roland le 14 janvier 2007 à 9:04
Il faut quand même être un peu trop confiant pour croire encore que la presse est du côté de la "transparence".
Voyez par exemple, quand l'équipe de "Valeurs Actuelles" se montre trop entreprenante dans son enquête sur l'explosion d'AZF, il suffit que le système rachète le journal et licencie ces quelques journalistes, qui ne faisaient que leur métier (une espèce en voie de disparition, remplacée par les lecteurs de prompteurs et les petits télégraphistes).
http://www.leblogfinance.com/2006/11/azf_lquipe_de_r.html
"La presse, le chemin de fer du mensonge", comme disait Barbey d'Aurevilly.
Publié par fass57 le 14 janvier 2007 à 14:41