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18 janvier 2007
Le poids décisif de l'individu
L'importance toujours plus grande prise par les individus est une réalité désormais bien connue au sein des armées. Avec la fin des manoeuvres de masse, dont la Guerre du Golfe reste à ce jour la dernière véritable occurrence (le nombre de soldats partis à l'assaut des troupes irakiennes ayant été divisé par 4 entre 1991 et 2003), et donc la dévaluation de la force brute et mécanique, ce sont les petites unités et les soldats individuels qui font désormais la différence. C'est bien ce qu'explique le général français Vincent Desportes, connu pour son livre "Comprendre la guerre", en soulignant l'importance de la tactique dans le dernier numéro de Héraclès :
Nous assistons à un retour vers la tactique.
D'abord parce que, désormais, dans les nouveaux contextes, les forces sont généralement déployées pour des objectifs infrastratégiques. Ensuite parce que, lors des engagements, les actions sont le plus souvent conduites aux plus bas niveaux, au plus à celui du GTIA, mais beaucoup plus couramment au niveau du S/GTIA, voire du détachement interarmes.
Il y a donc, pour les forces, une impérieuse nécessité de se réapproprier la tactique parce que le succès ou l'échec d'une opération viendront désormais davantage de ceux des multiples actions de petit niveau que de la perfection ou de l'imperfection du plan opératif. L'heure du "caporal stratégique", c'est en fait l'heure du "sergent tactique". Le chef d'état-major de l'armée de terre le dit clairement : "C'est la manoeuvre aux plus petits échelons tactiques, au sol, qui contribue à l'atteinte de l'effet stratégique."
Ces propos soulignent bien la fin d'une époque, celle des armées où personne ne réfléchit et où tout le monde exécute (pour reprendre le mot de Frédéric le Grand), pour une réalité où réflexion et action sont indissociables à chaque échelon - la perspective temporelle des effets considérés évoluant encore au fil de la hiérarchie. Or les armées ont une grande difficulté à s'adapter à cette réalité ; pour un brigadier expliquant à des soldats l'importance des "petits chefs" à l'aune du "caporal stratégique", un autre reproche aux soldats de discuter en plénum le plan en cours de développement dans la compagnie (deux exemples vécus l'an dernier). De nos jours, parmi les troupes engagées au sol, seules les forces spéciales exploitent à fond les qualités individuelles grâce à des processus, des méthodes et des équipements spécifiquement adaptés. Dans les troupes conventionnelles, à l'exception des spécialistes en nombre limité, l'individu reste encore largement un numéro, un élément interchangeable.
Au sein de mon bataillon de grenadiers, une troupe capable de mener des opérations spéciales (nommées opérations particulières en Suisse...), on applique ainsi une méthode participative qui implique chacun dans l'analyse, la préparation, l'exécution et l'évaluation d'une action. Le plan est discuté et rediscuté pendant des jours, au fil de l'entraînement et selon les derniers renseignements reçus, jusqu'à l'insertion de l'élément d'engagement, l'action sur l'objectif et l'extraction vers la base opérationnelle avancée. Et les meilleures idées pour cette action ne viennent pas toujours des officiers, formés en tant qu'aspirants à la tactique, mais bien parfois des sous-officiers et des soldats, qui connaissent l'effet attendu de l'action et qui tentent de l'atteindre au mieux. Rien de tel qu'un plan élaboré en commun pour augmenter l'adhésion comme la motivation.
De telles méthodes sont-elles applicables à des unités conventionnelles, en particulier aux bataillons d'infanterie, qui jouent un rôle essentiel dans toutes les opérations autres que le combat symétrique de haute intensité ? La qualité du matériau humain confié par la société à l'armée de milice suisse, qui rejete environ un jeune homme sur deux pour inaptitude au service, le laisse penser. Mais accepter le poids décisif de l'individu implique avant tout une relativisation des hiérarchies, un apprentissage de l'initiative, une mise en valeur du sens critique, une décentralisation des décisions, ou encore une acceptation de la différence. Toutes choses qui sont à l'opposé de la culture militaire classique, celle des armées qui ont fait des Etats-nations les maîtres de la guerre, et celle qui depuis un demi-siècle mène presque systématiquement à l'échec...
Publié par Ludovic Monnerat le 18 janvier 2007 à 20:53
Commentaires
les militaires ont ici quelques décennies de retard par rapport à ce qui se fait dans les entreprises
les usines ne sont plus tayloriennes, mais organisées en réseaux, cf la théorie des systèmes
les islamistes réussissent bien dans leur genre parce qu'ils sont organisés en réseaux d'unités élémentaires largement autonomes
l'armée US s'est transformée depuis longtemps dans ce sens, comme vous le dites, d'abord à partir des forces spéciales
vous aviez déjà traité ce problème / CheckPoint
... les militaires français sont une fois de + de grands visionnaires (dans leur rétroviseur)
Publié par JPC le 19 janvier 2007 à 16:30
Oui, une structure alvéolaire, avec l'échelon inférieur entraîné et toujours susceptible de pallier l'absence ou la mise hors combat de l'échelon supérieur.
Publié par fass57 le 19 janvier 2007 à 19:03