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27 janvier 2007
Irak : le vent du boulet
Et si les renforts américains en route vers Bagdad ne faisaient qu'accélérer la défaite de l'insurrection sunnite, aujourd'hui bien entamée déjà ? Cette thèse, inimaginable pour quiconque se fie à la couverture des médias traditionnels (surtout francophones) et donc au "désastre" qu'ils annoncent depuis bientôt 4 ans, est celle avancée par un analyste irakien proche de l'ancienne opposition à Saddam Hussein. L'aspect intéressant de ses propos réside dans l'angle adopté : c'est parce que l'insurrection a subi des pertes croissantes, parmi les combattants (suite à l'action de contre-insurrection) comme parmi les non-combattants (violences interconfessionnelles), qu'elle sent désormais le vent du boulet. Et seuls les djihadistes sembleraient enclins à poursuivre la lutte :
The wider Sunni insurgency - the groups beyond Al Qaeda - is being slowly, and surely, defeated. The average insurgent today feels demoralized, disillusioned, and hunted. Those who have not been captured yet are opting for a quieter life outside of Iraq. Al Qaeda continues to grow for the time being as it cannibalizes the other insurgent groups and absorbs their most radical and hardcore fringes into its fold. The Baathists, who had been critical in spurring the initial insurgency, are becoming less and less relevant, and are drifting without a clear purpose following the hanging of their idol, Saddam Hussein. Rounding out this changing landscape is that Al Qaeda itself is getting a serious beating as the Americans improve in intelligence gathering and partner with more reliable Iraqi forces.
In other words, battling the insurgency now essentially means battling Al Qaeda. This is a major accomplishment.
Last October, my sources began telling me about rumblings among the insurgent strategists suggesting that their murderous endeavor was about to run out of steam. This sense of fatigue began registering among mid-level insurgent commanders in late December, and it has devolved to the rank and file since then. The insurgents have begun to feel that the tide has turned against them.
In many ways, the timing of this turnaround was inadvertent, coming at the height of political and bureaucratic mismanagement in Washington and Baghdad. A number of factors contributed to this turnaround, but most important was sustained, stay-the-course counterinsurgency pressure. At the end of the day, more insurgents were ending up dead or behind bars, which generated among them a sense of despair and a feeling that the insurgency was a dead end.
The Washington-initiated "surge" will speed-up the ongoing process of defeating the insurgency. But one should not consider the surge responsible for the turnaround. The lesson to be learned is to keep killing the killers until they realize their fate.
Il est naturellement très difficile à distance de mesurer l'exactitude de ses propos, qui se basent apparemment sur des sources locales, mais qui peuvent très bien relever d'une opération d'information visant à contrer le défaitisme croissant dans la classe politique américaine. Pourtant, ce sont exactement ces sources qui fournissent les meilleures indications sur l'évolution d'un conflit de basse intensité, qui se joue avant tout sur les facteurs immatériels tels que la volonté et la légitimité. L'étude des chiffres disponibles, elle, fournit une direction générale : les pertes des forces de sécurité irakiennes diminuent, les pertes américaines stagnent, les attaques physiques augmentent et les pertes en non-combattants aussi ; tous signes d'une insurrection en voie de radicalisation et de marginalisation dans une lutte intrasociétale à sens unique. Et pour laquelle les renforts américains sont une bien mauvaise nouvelle.
Plus tard, il sera possible de dire si l'Irak est effectivement le Guadalcanal de cette guerre globale, le point focal où l'attrition quotidienne joue un rôle décisif, et où la capacité à poursuivre la lutte est la condition sine qua non de toute victoire. Mais des combats prenant toujours plus la forme d'un nettoyage ethnique et confessionnel sont exactement la forge où viennent se fondre les casus belli et d'où peut émerger une nation plus stable, plus homogène, plus forte aussi, et plus libre. Libre notamment de combattre les djihadistes qui, par dizaines de milliers, ont déjà perdu la vie dans le piège irakien...
Publié par Ludovic Monnerat le 27 janvier 2007 à 18:54
Commentaires
La guerre en Irak peut toujours être remportée, mais le paradoxe est qu'elle ne se joue pas dans les rues de Bagdad, mais dans les rédactions des médias d'outre-atlantique. Et où qu'elle se joue, elle restera une lutte d'endurance.
Espérons que ces bonnes nouvelles finiront par transparaître dans les médias, histoire de donner un second souffle à une population américaine prête à tomber dans les dangereuses promesses démocrates.
Publié par Stéphane le 27 janvier 2007 à 19:11
J'avait signalé l'amélioration du PIB Irakien sur le Wiki, ainsi que les progrés dans la restauration des marécages du sud du pays -mode écolo oblige- ;).
Ce que je trouve en autre "ennuyeux", c'est l'incapacité à répondre à la consommation de courant dans le pays malgré les efforts déployé depuis des années; coté exportations de brut, cela ne vas pas fort non plus.
Publié par Frédéric le 27 janvier 2007 à 20:44
Pas d'accord, Stéphane : si tout se jouait dans les médias américains, cela signifie que tout dépend des Etats-Unis, alors que leur rôle ne cesse de diminuer en Irak. Il y a bien une lutte pour l'Irak et une lutte pour la perception de l'Irak. En d'autres termes, deux centres de gravité, bleu à Washington (+), rouge à Bagdad (+).
Publié par Ludovic Monnerat le 27 janvier 2007 à 21:23
Un bémol tout de même. L'analyste travaille dans un institut de recherche proche des néoconservateurs américains. La réalité sur le terrain n'est peut être pas aussi bonne.
Publié par bruno le 27 janvier 2007 à 21:36
Oui, c'est pour ça que j'ai mis un lien vers son CV, qui précise également ses rapports avec l'ancienne opposition à Saddam Hussein. D'où mon interrogation sur le bienfondé de son analyse. Mais travailler dans un think tank néoconservateur n'offre pas en soi un argument pour contester celle-ci !
Publié par Ludovic Monnerat le 27 janvier 2007 à 21:48
Bonsoir,
En l'état, je ne comprends pas ce qui me semble être une assimilation entre révolte sunnite et les djihadistes. Les deux ne me semblant pas recouvrir (forcément) les mêmes réalités.
Les sunnites étant, pour moi, la minorité irakienne dont est issu Saddam Hussein.
Les djihadistes étant les combattants (essentielleemnt non irakiens si mes souvenirs sont bons) d'Al Quahida.
Par ailleurs, c'est traiter le conflit uniquement sous des angles ethniques. Comme si les chiites étaient une seule et même entité. Or, les chiites sont également traversés de courants différents dont certains veulent, à ma connaissance, s'en prendre aux forces américaines (voire aussi au gouvernement en place).
Publié par lyonelk le 27 janvier 2007 à 23:16
Quel que soit le degré de véracité de ces informations qui se veulent rassurantes, elles m'inquiètent ! Non parce que les Etats-Unis risqueraient finalement de gagner, mais parce que cette analyse montre qu'aucune leçon n'est tirée des difficultés. Ah oui, on est bien dans une vision néocon, suivant laquelle il y aurait un ennemi d'essence démoniaque,avec un nombre fini de démons à détruire. Comme si les cruautés en tous genres ne faisaient pas croître la haine, donc le nombre des combattants, et comme si ce n'était pas la concorde qu'il fallait, avant tout, promouvoir, en examinant les intérêts en cause, en donnant à chacun les satisfactions qu'on peut lui donner.
Bref, encore une fois, une guerre sans but défini, et même plus que jamais, car au départ il y avait au moins le "grand moyen-orient démocratique"...
Publié par François Delpla le 29 janvier 2007 à 17:25
http://www.brook.edu/fp/saban/iraq/index.pdf
Très intéressant, ce document. Notamment les chiffres sur l'évolution mois-par-mois du nombre d'Iraquiens dans les forces de sécurité. Ceux sur l'insurrection sont déprimants, car ils donnent l'impression d'un ennemi invincible et invisible, ressuscitant en dépit de ses défaites militaires (c'était le sujet d'une note précédente).
Mais une chose m'a halluciné : la contribution financière de la France à la reconstruction, en page 31. J'espère qu'il s'agit d'une erreur. Si c'est vrai, quelle honte ! Et cela mériterait certainement une question aux candidats à la présidentielle (on peut essayer via leurs sites web).
Publié par Harry le 30 janvier 2007 à 1:00
Que pensez-vous de cette interprétation :
http://extremecentre.org/2007/02/02/tombstone-iraq/
Merci.
Publié par Letel le 5 février 2007 à 10:29
Eh bien, je pense qu'il y a du vrai dans tout cela : l'Irak a été choisi pour être le lieu obligatoire de l'affrontement face à la nébuleuse islamiste. Mais ceci implique la volonté de transformer le Moyen-Orient par l'injection d'une liberté d'expression, de vote et d'entreprise qui, précisément, rend obligatoire l'engagement des islamistes.
Je pense qu'il ne faut pas chercher à établir avant 2003 un plan qui suivrait les événements survenus jusqu'ici : personne n'a la capacité de raisonner en prenant en compte les réactions imprévisibles de tous les acteurs impliqués. En revanche, il est possible de piloter une campagne et d'adapter ses objectifs au gré de ses réactions...
Publié par Ludovic Monnerat le 5 février 2007 à 11:35
Bonsoir,
Je ne pense pas que 20 ou 30.000 hommes supplémentaires puissent changer la donne en irak.
Si quatre années n'ont pas suffit aux américains
pour rétablir la paix et vaincre l'insurrection,
ce n'est pas une prolongation d'un ou deux ans et 15%
d'effectifs en plus qui pourront y changer quelquechose.
La dizaine de division de l'army et des Marines
(toujours les mêmes) n'en finissent pas d'accomplir
des rotations en irak (certaines en sont à leur quatrième)
et le recours massif et continuel aux reservistes ne peut
que rendre cette guerre encore plus impopulaire à la longue. La victoire des démocrates est un avertissement.
L'armée américaine n'a pas été configurée au départ
pour une occupation de longue durée dans le cadre
d'un conflit de basse intensité, mais pour une action
rapide et décisive dans le cadre d'un conflit de haute
intensité. Elle est donc engagée à contre-emploi de
sa philosophie, de ses capacités et de ses ressources.
Elle se retrouve aujourd'hui dans une situation similaire
à celle des russes en afghanistan il y a 20 ans :
plus de 800 morts et 5000 blessés par an en moyenne, dans un pays qui échappe en grande partie à son contrôle, en dehors des villes et des grands axes - exception faite du nord Kurde.
Rappelons que cette guerre a déjà couté plus de 650 milliards de dollars, (6 fois plus que ce qui avait été annoncé) - l'équivalent de la totalité du programme
Apollo dépensé en 4 ans seulement !
Il arrive un moment où les buts et les finalités
politiques et militaires doivent être mis en regard des moyens dépensés, des pertes humaines occasionnées et
des considérations économiques de base.
Il y a 105 ans exactement, les britanniques alors à l'apogée
de leur puissance étaient pareillement empêtrés au transvaal.
La vigoureuse résistance de quelques milliers de Boers
avait mis en echec la belle tactique conventionnelle de l'armée anglaise.
L'empire britannique ne sortit pas grandi de l'affaire,
puisque, in fine, pour vaincre la résistance des afrikaners,
il enferma la totalité de leur population dans des camps d'un nouveau genre, spécialement conçus pour la "concentration" des civils, afin "d'assécher" le vivier qui soutenait les armées Boers.
Beaucoup devaient y mourir de faim et de maladies.
Churchill, qui y était, a écrit là -dessus.
Pour la première fois, une grande puissance démocratique, s'en était pris spécifiquement à des civils, jusque-là relativement épargnés au cours des guerres récentes, au nom de la victoire à tout prix et de la sauvegarde de ses seuls intérêts politiques et commerciaux.
Ce fâcheux précédent historique allait avoir les catastrophiques répercussions que l'on sait dans le siècle.
La fin ne peut pas justifier n'importe quels moyens, ni n'importe quel dommage "collatéral". L'Histoire a tendance à se répéter, en pire.
L'étude du LANCET qui chiffrait en 2006 à 100.000 morts irakiens au moins le bilan de l'occupation américaine, doit quand même faire réfléchir.
Pourquoi le LANCET, qui est une référence mondialement reconnue dans les domaines médicaux et scientifiques, se verrait soudain taxé de nullité et d'éxagération , au seul motif que l'étude publiée ne "colle" pas à la réalité désirée par un des protagonistes du conflit ?
Les américains n'ont pas grande expèrience de l'histoire.
Une guerre se gagne ou se perd en 4 ou 5 années
maximum.
Regardez L'indochine en 1950, l'Algérie Française en 1959, le Vietnam en 1970, l'Afghanistan en 1985, la Yougoslavie en 1996. Le sort en était scellé. 4 ou 5 ans encore pour faire bonne mesure et convaincre les plus obstinés.
Rendez-vous dans un an, puisque le "Surge" est censé réussir la pacification, sinon de l'irak, du moins de Bagdad
à cette horizon-là .
Publié par pcarril le 12 février 2007 à 4:47