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15 décembre 2006

La pensée conventionnelle en échec

Il est assez surprenant et inquiétant de voir revenir la méthode du body count dans les opérations en Afghanistan : lorsque le commandement américain annonce avoir tué plus de 2000 ennemis depuis septembre dernier, on se demande bien en quoi ceci est un signe de succès. Naturellement, ce chiffre doit nécessairement comprendre une proportion importante de cadres islamistes et de combattants fanatiques, et un aller simple pour le paradis constitue de toute manière l'objectif final de leur action ; mais il serait surtout intéressant de voir quels sont les autres effets des actions ayant abouti à cette saignée au niveau des perceptions, des adhésions, des allégeances. Les gains apparents en matière de sécurité, à court terme, peuvent cacher à long terme des pertes en matière de confiance.

Le problème principal est celui de la contre-insurrection : la domination sans appel des forces armées américaines et coalisées en Afghanistan en combat frontal, depuis fin 2001, ont fait que le terrorisme et la guérilla restent les seules méthodes à disposition des Taliban et de leurs alliés islamistes. Et l'augmentation constante de leurs activités montre non seulement que le conflit reste en cours, mais également que les méthodes adoptées par l'OTAN et les Etats-Unis, avec une prédominance des actions coercitives, ne parviennent pas à transformer en victoire politique et sociétale le succès initial de leurs armes. L'opération "Enduring Freedom" n'est pas un échec, mais la pensée qui la sous-tend depuis 4 ans y mène directement.

En toute logique, la présence de 1500 opérateurs de forces spéciales devrait avant tout privilégier une stratégie axée sur le développement des forces armées locales, sur la consolidation du pouvoir politique de Kaboul et sur la disqualification des Taliban à travers l'amélioration des conditions de vie de la population. Mais ces forces non conventionnelles semblent au contraire utilisées avant tout d'une manière très conventionnelle, en appui des forces régulières telles que l'infanterie canadienne, et pour des missions avant tout offensives et destructrices. Un peu comme si les principes de la contre-insurrection, pourtant réappris péniblement dans la jungle du Vietnam et appliqués partiellement avec un succès retentissant fin 2001, avaient un mal fou à être intégrés par l'institution militaire américaine - et par ricochet au sein de l'OTAN.

Cette réalité apporte une réponse aux discussions sans fin sur les effectifs devant être déployés, en Afghanistan comme d'ailleurs en Irak : il ne sert à rien de multiplier les soldats qui cherchent une solution militaire et physique à un conflit qui se joue sur un terrain politique et psychologique.

Publié par Ludovic Monnerat le 15 décembre 2006 à 11:03

Commentaires

" conflit qui se joue sur un terrain politique et psychologique. "
vous oubllez l'aspect éco et financier
rien n'est fait à ma connaissance pour gagner la guerre économique dans ce pays, ce qui passerait par : "l'amélioration des conditions de vie de la population" (ce qui ne serait pas difficile à faire compte tenu de l'extrème pauvreté du pays)
d'après vous la guerre n'est que celle des militaires "durs" et c'est un échec
comment se fait il que "les Américains" puissent faire de telles erreurs ?
"ils" devraient faire appel à vos services !

Publié par JPC le 15 décembre 2006 à 12:20

Ce que je trouve toujours "amusant" c'est qu'on fait toujours une histoire lorsque deux personnes de la coalition sont au tapis, mais 2'000 mujaheedins, c'est rien, c'est une une partie de la solution!
On a trop tendance à "dématérialiser" l'adversaire... Ca me rappelle les "unités" qu'on chargeait dans des trains...
Moralement, il y a ici matière à palabrer!

Publié par dahuvariable le 15 décembre 2006 à 12:51

__Ca me rappelle les "unités" qu'on chargeait dans des trains__

C'est un trés mauvais réflexe intellectuel et historique si vous arrivez à comparer des familles européennes juives innocentes, avec femmes, enfants et vieillards, victimes, contre leur gré, d'un projet exterminateur, à des guerriers de l'Islam, engagés de leur propre chef dans un conflit de civilisation, avec un projet de domination religieuse.
Nous ne sommes plus en 1940, il serait temps de réactualiser les grilles de lectures afin d'éviter de faire passer des islamistes pour des victimes.

Publié par Three piglets le 15 décembre 2006 à 15:33

@ Three piglets, le Gauchisme c'est l'art de gauchir les perceptions et l'histoire. Le drame c'est que comme le Sida c'est contagieux et que baisser les culottes comporte un risque à droite comme à gauche. C'est une pandémie qui n'est pas prête d'être éradiquée.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 15 décembre 2006 à 17:01

Je me rappelle avoir dit au tout début de ce Blog que nous gagnerons cette guerre comme toutes les autres, sauf que nous sommes assurés de la perdre sur le plan politique parce que c'est écrit. Les idéologies fortes ne disparaissent jamais, elles se transforment et alimentent cette Félonie endémique de l'Occident. Rome ne serait jamais tombé si les Félons n'avaient pas ouvert les portes de la connaissance au Barbares. Le danger n'est pas hors des murailles et je me demande si le pari de Bush, offrant cette démocratie que les Islamistes ne pouvaient accepter d'un croisé mais que le monde arabe des dirigeants maintenant menacés vont utiliser en forçant les récalcitrants gauchisants occidentaux à maintenir la pression plutôt que de se retirer. La guerre d'Irak pourrait apparaitre comme la « deuxième guerre civile américaine », une guerre pour la libération des Arabes, des Arabes riches américains qui n'auront pas de mal à convaincre les Islamistes qui sont dans leur phase de récupération des acquis.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 15 décembre 2006 à 17:53

Effectivement, vu de notre côté du monde, 2000 terroristes en moins, cela résonne comme une belle victoire.

Publié par Ares le 15 décembre 2006 à 20:39

Terroristes? Pour eux. ils sont des combattants de la Liberté, tentant de bouter l'adversaire hors de leur frontière, comme ils l'ont fait avec les soviétiques. Ils étaient alors financés par la CIA et l'Arabie saoudite! On se félicitait de ces Moudjaideens qui résistaient à l'envahisseur!
Même problème, autre perspective!

Publié par dahuvariable le 16 décembre 2006 à 13:53

"il ne sert à rien de multiplier les soldats qui cherchent une solution militaire et physique à un conflit qui se joue sur un terrain politique et psychologique."

On dirait que le bon sens est de retour?


Pour le "mauvais sens", voir:
http://www.ludovicmonnerat.com/archives/2006/01/iran_planificat_1.html


Hélas que de temps perdu, hein?

Publié par Mikhaël le 16 décembre 2006 à 18:10

Pour le sous lieutenant Winkelried : c'était pour le retour du "troublion".

vae victis

Publié par Mikhaël le 16 décembre 2006 à 18:12

"Améliorer les conditions de vie de la population, ce qui ne serait pas difficile"...
Pourquoi croyez-vous que le CICR s'est fait jeter dehors de l'Irak ? Vous imaginez que les islamistes n'ont pas compris depuis longtemps ce facteur-là ? Regardez ce qu'ils font partout où ils sont présents : de l'aide aux plus pauvres, de l'organisation sociale, etc.
Vous partiriez en Afghanistan pour aider les populations, si qqn était assez salaud pour vous y envoyer ?

Publié par Roland le 16 décembre 2006 à 20:50

Les islamistes aident les plus pauvres? Eh ben... Argumentez parce que là je ne vois vraiment pas où... A part asservir les populations, je ne vois aucun aspect social à leurs actions !

@Dahuvariable : Combattants de la liberté? Je ne suis pas du tout d'accord. Vous pensez sérieusement ce que vous dites? J'espère bien que non. Pour vous donc, le régime des talibans était un idéal de liberté?

Publié par Ares le 16 décembre 2006 à 21:44

Les "frères musulmans" (fondés par al Bannah, grand père à Tareq Ramadan) ont comme stratégie de fond de prendre le pouvoir par le bas, donc en "travaillant le social", avec des objectifs jihadistes d'imposition de la sahria, j'en conviens.

Mis il ne s'agit pas de "combattants de la liberté" pour autant, aussi les dictatures nazi-fascistes avaient donné "dans le social".

Publié par Mikhaël le 18 décembre 2006 à 0:16

@ Ludovic,
quelles différences faites-vous entre les Américains en Afghanistan et les Américains en Iraq ?
Pourquoi semblez-vous pessimiste sur le cas afghan, tout en maintenant que les troupes US sont en train de mettre les insurgés et autres guerilleros en échec en Iraq ?

Publié par ludovic l. le 19 décembre 2006 à 12:56

Mikhael a en partie répondu à l'objection de Ares. Je voudrais aussi rappeler l'action du FIS en Algérie en son temps et semble-t-il l'action actuelle des islamistes au Maroc. Cette même stratégie est appliquée en Indonésie.
Je ne pense pas que les dictatures nazi-fascistes ont donné dans le social. C'est une stratégie de prise de pouvoir. Après on fait liquider les SA (grosses brutes primaires difficilement contrôlables à connotation populiste) par les SS. Qui eux ne font pas trop dans le social...

Publié par Roland le 26 décembre 2006 à 16:45

Je vous rappelle que nazi signifie national-socialiste ! Et que le socialisme passe par le peuple, y compris et surtout par les classes les plus pauvres, qui en 1933 étaient les plus nombreuses en Allemagne.
Hitler lui-même a été mendiant un jour... Son argumentation politique, celle qui l'a mené au pouvoir, reposait principalement sur la différence entre les classes sociales.

Publié par Ares le 27 décembre 2006 à 18:59

Et que reprochait-on aux SA alors ? Ils étaient constitués précisèment de dissidents du communisme (il y a des cas en France entre FN et PC aussi), d'éléments populaires frustrés, primitifs et pas facilement contrôlables...
Beau film, les Damnés, n'est-ce pas ? Le teuf-teuf du bateau qui s'approche au petit matin...

Publié par Roland le 27 décembre 2006 à 21:29