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17 mai 2006

Donner forme à l'informe

L'Illustré a publié aujourd'hui un reportage (non disponible en ligne) de bonne qualité sur l'exercice « ZEUS », que les Forces Terrestres ont conduit la semaine dernière en Suisse romande avec la brigade d'infanterie 2 comme troupe exercée. Le texte comme les images rendent bien compte des incertitudes que soulève une opération de sûreté sectorielle, avec ses tâches de protection fixes et mobiles ; le titre, en affirmant que l'armée considère terroristes et manifestants comme ses nouveaux ennemis, va toutefois au-delà des faits : d'après nos règlements, on les désignerait dans une telle situation comme respectivement adversaires et partie adverse. Qu'à cela ne tienne : l'hebdomadaire a bien rendu la réalité, celle d'une opération mobilisant 8700 hommes bien visibles, notamment dans la protection d'objets sensibles avec des formations de combat mécanisées.

Cette première application concrète d'un type d'opération visant à garantir la capacité de conduite et de fonctionnement civile et militaire ainsi que le contrôle du territoire en cas de menace asymétrique, et dans laquelle les secteurs d'engagement sont placés sous responsabilité militaire (une disposition qui reste à démontrer dans la pratique : les exercices ne sont jamais assez impérieux pour convaincre les autorités cantonales que, parfois, dans certaines situations extrêmes, le passage sous commandement militaire est la seule solution pour stabiliser un secteur), a ainsi réussi à ramener la troupe dans les villes et les villages, à l'instar des grandes manœuvres qui étaient effectuées dans l'Armée 61. Avec une différence de taille : il ne s'agit plus aujourd'hui de prendre des dispositifs de défense préparés contre des ennemis clairement identifiés, et dont les modes d'action sont connus.

Les méthodes des acteurs asymétriques ne sont pourtant pas un mystère : la guerre d'Algérie ou le conflit du Vietnam en ont rappelé l'essentiel, et les missions qu'effectuent aujourd'hui la KFOR au Kosovo ou l'ISAF en Afghanistan en fournissent une version actualisée. C'est d'ailleurs une conséquence de l'affaiblissement des frontières nationales que de voir des missions pareillement semblables de part et d'autre : entre une opération de sûreté sectorielle et une opération de maintien de la paix, les prestations à fournir au niveau du soldat et des petites formations en matière de sécurité (patrouilles, checkpoints, fouilles de secteurs et de bâtiments, arrestations, contrôle des foules, etc.) sont très similaires. A deux exceptions près : au niveau des règles d'engagement, avec les bases légales impliquées, et plus encore au niveau du renseignement.

Car la difficulté de ces opérations de basse intensité, et souvent de longue durée, réside dans la capacité à donner forme à l'informe, à trancher dans le flou d'une menace dispersée, destructurée, intermittente, pour en saisir des éléments tangibles, susceptibles de donner prise, d'être affectés par les actions militaires. C'est la raison pour laquelle une armée de milice opérant sur son propre sol possède - en principe - des avantages substantiels par rapport à un corps expéditionnaire professionnel : son acculturation est, logiquement, bien moins difficile, et donc ses membres sont davantage susceptibles de faire office de senseurs grâce aux contacts qu'ils peuvent établir avec la population. Mais cela suppose des soldats instruits et équipés en vue d'une telle mission, dotés d'un savoir-être qui les rend humainement crédibles, et non gavés d'un savoir-faire technique et tactique déconnecté de la réalité.

J'attends mon prochain retour à la troupe pour juger à quel point ceci est possible dans notre armée...

Publié par Ludovic Monnerat le 17 mai 2006 à 20:56

Commentaires

Quel genre de materiel spécifique l'armée a-t-elle besoin pour effectuer ce type de mission dont elle ne dispose pas actuellement ?

Publié par crys le 18 mai 2006 à 15:30

De cerveaux !

Je m' explique : plus l' intensité de la guerre est basse, plus grandes sont les responsabilités accordées aux bas échelons. Et au lieu de préparer nos soldats et chefs de groupes à ce genre de guerre (tâche très compliquée), nous nous bornons à réentrainer un savoir-faire déjà largement aquis pendant la guerre froide : déplacer, placer des bataillons et leur logistique. Alors, fatalement, ça marche et l' exercice aura un bilan "globalement positif" comme tout exercice de l' armée suisse.

Je n' ai vu l' exercice Zeus que de l' extérieur, et encore pour quelques heures seulement. Et je me permets de dire que c' est un échec. Je m' explique :

La place d' armes de Moudon avait un rôle majeur pour cet exercice. J' y avais accès, pour raisons personnelles, jusqu' au vendredi 5 mai. Avec un ami également autorisé, nous nous présentons au portail en début d' après-midi, en tenue civile.

Le garde : "halte!"
Nous : "Nous sommes autorisés à entrer. Appelez votre commandant de garde, il vous le comfirmera"
Le garde : "chais pas où il est"
Nous : "Appelez son remplaçant alors"
Le garde : "chais pas qui c' est. Bon ça va passez"

Je ne dirai pas ce que nous transportions (légalement) dans notre coffre. Pour le fun nous aurions du nous amuser à simuler un assassinat de tous les officiers supérieurs de la place. Sans aucun problème.

Nicht erfüllt les mecs !

C' EST QUAND LE GROUPE TOURNE BIEN QUE LE BATAILLON A DU SUCCES. PAS L' INVERSE.

Publié par Saboteur le 19 mai 2006 à 14:12

Pour avoir vécu Zeus de l'intérieur, je peux vous dire que nous avons tiré des enseignements forts intéressants de ce que peuvent effectivement apporter la guerre électronique et les drones au niveau du rens.

L'état d'esprit et la motivation de la troupe (du moins les unités que j'ai pu visiter...)étaiett très bons malgré des conditions météos déplorables.

Par contre, je ne vous cache pas le choc qu'a constitué l'arrivée d'une quarantaine d'attachés militaires dans un PC considéré comme secret et qui ont allégrement passé outre tous les dispositifs de contrôle !

Publié par Ofrens le 19 mai 2006 à 20:13

Votre petite phrase appelle un commentaire:

"Par contre, je ne vous cache pas le choc qu'a constitué l'arrivée d'une quarantaine d'attachés militaires dans un PC considéré comme secret et qui ont allégrement passé outre tous les dispositifs de contrôle ! "

Croyez-vous vraiment que nos PC soient secret? A votre avis d´OU proviennent les ouvriers qui construisent ces Bunkers... Les japonais utilisaient DEJA cette technique pour inflitrer les dispositifs ALLIES.

Publié par Flakturm le 20 mai 2006 à 13:28

Sur le fond, nous sommes d'accord. Mais pour les soldats engagés dans l'exercice et qui faisaient de leur mieux pour assurer des postes de contrôle crédibles devant l'entrée du PC, cette "intrusion" a fait l'effet d'une baffe...

On ne dit pas pendant deux semaines à des hommes qu'ils sont responsables de la confidentialité d'un PC pour leur imposer 40 attachés militaires arrivant en autocar sans être soumis à aucune mesure de contrôle !

Publié par Ofrens le 20 mai 2006 à 16:22