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5 mars 2006
Entre séduction et paralysie
La volonté est l'un des ressorts essentiels de la puissance, au même titre que les capacités, la légitimité et le savoir ; son rôle dans la coercition est primordial, ce qui explique pourquoi Clausewitz disait que la guerre est un "duel de volontés", alors même qu'elle est bien plus que cela. S'attaquer à la volonté d'un acteur vise à le faire agir d'une manière déterminée ou au moins influencée par l'attaquant, indépendemment des moyens, des valeurs et des connaissances de la cible. Les facteurs psychologiques qui sous-tendent la volonté forment ainsi un domaine d'action à part entière, connu depuis la nuit des temps, et dans lequel la peur comme la confiance, l'amour comme la haine, l'attirance comme la répulsion, font office de régisseurs. Dans l'expression "gagner les coeurs et les esprits" emblématique de tout conflit de basse intensité, le premier élément se réfère ainsi à la volonté.
Cette dernière était bel et bien en jeu dans l'affaire des caricatures de Mahomet : ce bilan intermédiaire, si j'ose dire, montre non seulement que la publication des dessins a entraîné des mesures de rétorsion y compris en Occident, où la liberté d'expression reste une valeur fondamentale, mais également que les menaces des extrémistes musulmans ont une influence sur la décision de publier. A dire vrai, la violence physique réelle ou potentielle est aujourd'hui une pratique standardisée dans bien des zones en conflit, et les journalistes ne sont pas uniquement manipulés en Irak par des actes d'intimidation relevant du terrorisme ; il est toutefois important de relever que des minorités violentes peuvent recourir à une coercition également tyrannique sur notre sol et imposer leurs convictions jusque dans nos lois.
Mais la volonté n'est pas uniquement susceptible d'être affectée dans un sens inhibiteur, par la paralysie ou la déstabilisation de la cible ; un mode d'action des plus efficaces est celui de la séduction, notamment parce qu'il est aisé de dissimuler sa nature offensive. On en trouve un bon exemple aujourd'hui, dans un article du Matin qui continue d'exploiter l'affaire de l'informateur placé par le service d'analyse et prévention auprès du centre islamique de Genève : l'auteur du texte, Ian Hamel, présente Hani Ramadan comme une victime très choquée, injustement soupçonné alors qu'il se contente de fournir l'aide dictée par sa "religion d'amour", et prudemment décidé à faire valoir ses droits. Quant à la diffusion de l'idéologie islamiste à laquelle se livre Hani Ramadan, pourtant révélée par son apologie de la lapidation, le lecteur romand devra s'en souvenir par lui-même.
La difficulté du domaine psychologique réside dans le fait qu'il est exploité quotidiennement par la communication, par la publicité et par la fiction : faire peur et faire envie sont deux angles bien entendu essentiels pour influencer le comportement des consommateurs comme des électeurs. Mais paralyser ses contradicteurs et séduire de nouveaux fidèles prend une autre dimension lorsque le recours à la violence est réel et lorsque les valeurs diffusées sont contraires à celles inscrites dans la constitution. Ces actions appellent une résistance démocratique et une discussion publique, loin des tabous du politiquement correct - ces concessions illégitimes aux pressions minoritaires - et sur la base de faits. Et il est heureux de constater que la vulnérabilité des médias face à la coercition directe se produit en parallèle à la perte de leur contrôle sur l'information publique.
Publié par Ludovic Monnerat le 5 mars 2006 à 10:20
Commentaires
Hier, un jeune Suisse de passage ici en Bretagne, me disait que dans un souci de paix et de concorde, vous alliez introduire à moyen terme dans votre corpus législatif des règles anti-islamophobes. DE manière à aligner ce système politico-religieux au même niveau que vos religions traditionnelles pour avoir aussi une représentation équitable. Cela se faerait sous la pression de cercles philosophiques et religieux. La même démarche serait en cours à Bruxelles pour l'Union européenne.
Est-ce vrai?
Publié par Padrig le 5 mars 2006 à 11:50
"Vous alliez introduire à moyen terme dans votre corpus législatif des règles anti-islamophobes. DE manière à aligner ce système politico-religieux au même niveau que vos religions traditionnelles pour avoir aussi une représentation équitable."
Tu tapes beaucoup trop large et ta première phrase n'est pas en rapport logique avec la seconde. Peux-tu approfondir ta question ?
Publié par Deru le 5 mars 2006 à 12:14
"le lecteur romand devra s'en souvenir par lui-même."
Je ne suis pas d'accord. L'article visait le dysfonctionnement du SAP qui a fauté en recrutant une personne inapte et en se rendant trop visible.
Il n'y avait dès lors aucune raison objective de revenir dans cet article sur l'historique de Ramadan, qui n'est en l'espèce qu'un décorum.
Publié par Deru le 5 mars 2006 à 12:22
Pas d'accord, évidemment : je pense justement que "l'historique" de Ramadan, c'est-à -dire ses activités de propagande, sont étroitement liées à la décision du SAP de suivre de plus près le personnage. Passer sous silence les faits qui ont été reprochés à Hani Ramadan lors de l'affaire de sa suspension revient à sortir de son contexte l'intérêt du service de renseignement intérieur, et donc à donner l'impression d'une persécution sans objet. Quelles que soient les fautes commises par le SAP, celles-ci doivent être distinguées de son intention et elles n'ont rien à voir avec le danger que peut représenter un personnage comme Hani Ramadan.
Publié par Ludovic Monnerat le 5 mars 2006 à 12:46
non, parce qu'il y a déjà eu l'article du 25 février qui rappelait en partie cet historique et le "scoop" de la TdG qui a dénoncé l'affaire.
Alors bien sûr que l'historique a conduit le SAP à mettre sous enquête H.R. mais là , en l'occurrence, l'article vise uniquement le dysfonctionnement d'un service qui a engagé un inapte au service et qui est complètement ridiculisé de ce fait.
L'article ne fait ainsi que montrer ce ridicule en indiquant à quel point H.R. a beau jeu maintenant de se faire valoir comme victime.
Pourquoi faudrait-il forcément contrebalancer ce ridicule et cette faute avec le passé de l'objet de l'inspection, qui est pour moi hors sujet dans cet article.
Est-ce que le SAP aurait été moins ridicule s'il s'était s'agit d'une autre personne ?
Publié par Deru le 5 mars 2006 à 13:38
Bien sûr. Le fait que Hani Ramadan soit pour le moment, avec en toile de fond des troubles internationaux à propos de l'islam, sous les feux de la rampe n'a fait qu'accroître l'intérêt porté à cet affaire par les médias.
S'il se fût agi d'un gauchiste plus calme, opérant dans l'ombre, l'affaire n'aurait pas été ébruitée et le discrédit n'aurait pas été jeté sur le SAP.
Notons au passage la promptitude de Ramadan à s'ériger en "victime". Victime de quoi? D'une surveillance passive? Nous le somms tous alors.
Publié par Ares le 5 mars 2006 à 14:02
Du coq à l'âne. Qui fait autorité en matière de stratégie depuis Clausewitz ?
Publié par FrenchBoy le 5 mars 2006 à 15:06
Toujours pas d'accord, Deru : dans son article, Ian Hamel se contente de donner la parole à Hani Ramadan et à son avocat, et ne dit rien de critique ou même de négatif à leur sujet ; le déséquilibre est total. Il aurait pu contribuer à le corriger dans un deuxième article publié également aujourd'hui sur l'évolution du renseignement intérieur, mais il s'en sert au contraire pour en remettre une couche sur l'échec du SAP. Ce comportement n'est pas déontologique et n'est pas responsable.
Publié par Ludovic Monnerat le 5 mars 2006 à 15:57
"dans son article, Ian Hamel se contente de donner la parole à Hani Ramadan et à son avocat,"
Non absolument pas. Son article vise l'avant-projet de la nouvelle FedPol http://www.lematin.ch/nwmatinhome/nwmatinheadactu/actu_suisse/christoph_blocher1.html
http://internet.bap.admin.ch/f/aktuell/index.htm
Article qui se termine par:"Ces deux mesures auraient peut-être pu éviter - ou du moins limiter - le fiasco lié à cette taupe fédérale introduite au Centre islamique de Genève."
Puis, pour montrer l'importance des garde-fous préconisés, il donne la parole à l'objet de l'enquête dont est issu le récent fiasco (histoire de rajouter une couche sur ce "fiasco" par un exemple concret)
Mais il ne s'agit que d'un mini-décorum à l'article de fond qui vise la modernisation du cadre législatif du SAP/fedpol.
Je ne vois donc toujours pas pourquoi ce journaliste aurait dû introduire l'historique du sieur Ramadan pour présenter un projet législatif (qui permettra d'éviter de tels cafouillages).
Sinon, pour Padrig, j'ai troubé un article qui le rassurera:
http://www.sonntagszeitung.ch/dyn/news/nachrichten/599865.html
(vers les 2/3 de l'interview)
Publié par Deru le 5 mars 2006 à 16:18
Deru, j'ai parlé du second article juste pour dire qu'il aurait pu servir à rééquilibrer le premier, une technique coutumière en journalisme ; ce n'est en l'occurrence pas le cas. Apparemment, tu as mal compris mon dernier commentaire au sujet de ce déséquilibre...
Publié par Ludovic Monnerat le 5 mars 2006 à 16:22
Deru: Et pourquoi Ian Hamel ne présente-t-il pas ses propres liens d'amitié avec les Ramadan et de soutien au mouvement des Frères Musulmans et l'islam radical en général (voir ses interventions sur oumma.com)? Pourquoi n'informe-t-il pas ses lecteurs d'où il parle?
Certes, il avoue tout de même "quand" il parle et c'est déjà très révélateur du contexte: "vendredi soir" jour de la réitération de la soumission à Allah: la Salat. Question: l'interview c'était vraiement après la mosquée ou pendant?
Ian Hamel est un supporter affiché de la cause des ramadan. Il roule pour eux et ne s'en cache pas. Il n'est pas le seul dans son cas.
Cette affaire révèle peut-être un raté du côté du SAP mais ne fleure pas la rose côté journalisme. C'est le moins qu'on puisse dire.
Publié par louis le 5 mars 2006 à 17:03