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17 février 2006
Entre l'immédiat et le lointain
Un œil sur l'instant suivant et l'autre au terme de la prochaine décennie : tel est le grand écart que je dois régulièrement adopter dans le cadre de mes activités militaires. Il y a quelque chose de vaguement déroutant à s'impliquer dans des discussions détaillées sur les structures de formations dans leur futur lointain tout en s'attachant à veiller constamment au développement et à la mise à jour de leur incarnation actuelle. Pourtant, cette perspective si particulière est le propre de toutes les institutions militaires, dont les transformations prennent un temps considérable lorsqu'il s'agit de construire et un temps limité lorsqu'il s'agit de détruire. « Voir loin, commander court » reste une maxime valable. Au niveau militaire comme au niveau stratégique.
Discerner les facteurs de changement ou de constance est une manière de réconcilier ces deux orientations divergentes. Dans le flot tumultueux de l'actualité surnagent ainsi des informations qui laissent transparaître une réalité nouvelle ou réaffirmée ; des indices de mutations profondes ou de pérennités significatives qui permettent, en combinant pragmatisme et imagination, raisonnement et intuition, d'entrevoir un possible développement de la situation. Autant dire que nous sommes loin de la science exacte, et que n'importe quel charlatan pourrait justifier de la sorte ses élucubrations les plus ridicules. Mais en l'absence d'un algorithme miracle, je ne vois guère d'autre méthode pour essayer de déchiffrer la complexité de notre monde. Surtout lorsque chacun s'y essaie et met en commun son talent comme ses connaissances avec autrui.
Les indices de rupture sont marquants dans le domaine des perceptions, notamment lorsqu'ils révèlent un basculement des esprits. L'un de ceux qui m'a le plus frappé, ces dernières années, était le texte écrit par l'ancien premier ministre Benjamin Netanyahou suite à l'horrible attentat de la Pâque juive, en mars 2002, car il annonçait en filigrane la mobilisation de toute une génération pour se battre. La décision de la police britannique d'employer des méthodes de type militaire (détermination sans faille) pour combattre le terrorisme islamiste, la capacité des forces armées américaines à opérer en Irak ou en Afghanistan sans susciter la résistance des populations locales (force des idéaux), la compétition morale derrière les opérations d'aide humanitaire ou encore la manifestation musulmane à Berne samedi dernier (irrédentisme assumé ouvertement) sont également révélatrices.
Les indices d'invariance sont plus difficiles à percevoir, parce qu'ils échappent le plus souvent à l'attention des médias. La solidité du soutien de la population américaine au maintien des troupes en Irak, malgré une couverture médiatique focalisée sur les aspects négatifs de l'opération, est ainsi un facteur significatif (redistribution de l'influence sémantique). L'augmentation constante du tourisme et des séjours extracontinentaux, malgré les menaces concrétisées par des attentats nombreux, l'est également (importance du mouvement). Le problème, c'est que les bribes d'avenir qui se révèlent de la sorte nécessitent un canevas général pour être correctement interprétées. Il faut intégrer une conception du monde suffisamment juste et malléable pour esquisser son futur.
La capacité à gérer simultanément l'immédiat et le lointain passe donc par l'étude du passé, par la compréhension des forces qui transforment l'histoire.
Publié par Ludovic Monnerat le 17 février 2006 à 21:15
Commentaires
Juste avant de réfléchir à ce que pourrait être un "canevas général" pour l'analyse des "bribes d'avenir", je vous propose d'ajouter à votre liste "d'indices de rupture", la loi votée à Londres mercredi 15 février dernier, créant le délit d'apologie (glorification) du terrorisme, même indirecte. Ce texte encore trop peu commenté (il attend une confirmation technique de la Chambre des Lords) ouvre grand la voie à l'application du principe de précaution, décrit dans l'une des récentes chroniques de checkpoint-online. www.checkpoint-online.ch/CheckPoint/Forum/For0105-TerrorismePrincipePrecaution.html
Publié par louis le 17 février 2006 à 22:30
@louis
C'est d'ailleurs plus large que cela.
Plusieurs nations, notamment la France, s'équipent de dispositions légales de protections. Même si ces dispositions restent peu utilisées, vraisemblablement pour pas provoquer une lever de bouclier contre celles encore à venir, elles sont là , à portée de main pour lorsqu'il sera inévitable de les utiliser...
Publié par Respire le 18 février 2006 à 8:41
"La capacité à gérer simultanément l'immédiat et le lointain passe donc par l'étude du passé, par la compréhension des forces qui transforment l'histoire."
En cela nous retrouvons Renan qui affirmait que les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont une profonde connaissance du passé.
Maintenant, a contrario, il convient de ne pas céder aux sirènes du "déterminisme" historique, qui pour séduisant qu'il soit sur le plan intellectuel, fausse toute analyse objective dans la mesure où il l'astreint au "déjà vu".
L'Imagination est ainsi le corolaire indispensable de la connaissance historique pour un travail de prospective crédible.
Publié par Winkelried le 18 février 2006 à 10:03
A mon avis il est aussi indispensable de poser les bonnes hypotheses de depart, pas necessairement les hypothses que l'on souhaite.
"sans susciter la résistance des populations locales". Je doute!
"La solidité du soutien de la population américaine au maintien des troupes en Irak" La aussi je doute.
Publié par Fred le 18 février 2006 à 10:18
Toujours à l'avant-garde de la technique militaire.
New special forces vehicle kicks ass - the llama
http://www.worldtribune.com/worldtribune/06/front2453784.065972222.html
Publié par François Guillaumat le 18 février 2006 à 12:51
"After extensive tests, the uncomplaining work-horse animals were found to easily out-perform donkeys. What's more, they need refuelling only every other day."
Oui, François, mais ont-ils parlé des crachats? Ou de l'odeur? Si la performance du lama n'est pas en doute, sa loyauté à l'espèce humaine est une autre question. Surtout que les opérateurs SF peuvent avoir de porter une barbe... :)
Publié par Ludovic Monnerat le 18 février 2006 à 15:26
Si on les élève comme animaux de compagnie, c'est qu'ils ne doivent pas être bien encombrants. Une exportation en vue pour l'industrie militaire suisse ;-)
Publié par François Guillaumat le 18 février 2006 à 15:39
Et même lematin commence à encourager les gens à plus de civisme... Si ce n'est pas un indice de rupture :)))
http://www.lematin.ch/nwmatinhome/nwmatinheadactu/actu_suisse/exercons_notre__zivilcourage.html
Publié par Deru le 19 février 2006 à 8:01