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19 novembre 2005
Offensive virtuelle en Asie
La tournée asiatique de Georges W. Bush, marquée par des déclarations très fortes à l'endroit de la Chine et par une entente marquée avec les autres acteurs de la région, est l'illustration la plus visible d'une stratégie que je qualifierais d'offensive virtuelle. La position américaine face à la montée en puissance chinoise et à l'inquiétude qu'elle suscite de l'Indonésie au Japon oscille depuis des années entre la confrontation et la conciliation, entre le spectre d'une nouvelle guerre froide et la perspective d'une intégration progressive. Plusieurs éléments laissent penser qu'une voie médiane, susceptible de répondre à différents cas de figure, est aujourd'hui tracée.
L'offensive américaine est claire sur le plan des idées (domaine cognitif). En rappelant l'interdépendance entre liberté économique et liberté politique et en faisant de Taiwan l'exemple à suivre, le président américain a pris les dirigeants chinois au dépourvu, les laissant largement sans voix et sans prétexte à réaction. Même si cette réalité continue de surprendre les médias européens, dont l'auto-intoxication révèle à cet égard tous ses effets pervers, les Etats-Unis incarnent aujourd'hui une liberté à laquelle aspirent une bonne partie des populations qui subissent un régime autocratique. Les Chinois ne pourront pas éternellement être assujettis, et la Grande Muraille informationnelle chinoise est prise d'assaut.
L'offensive américaine est plus discrète sur le plan économique (domaine physique). En résistant largement aux sirènes du protectionnisme, la Maison-Blanche a pris le parti de laisser les échanges économiques suivre leur cours croissant, même si la question monétaire reste un sujet de désaccord. Les gains de productivité impressionnants de l'économie américaine lui permettent en effet de relever le défi des produits à bas prix dont la Chine inonde les marchés mondiaux. Le déséquilibre que traduit le déficit commercial est appelé à être corrigé, et les entreprises US gagneront à l'intensification des échanges. La grande peur suscitée par les Japonais au début des années 90 ne se reproduira pas.
L'offensive américaine est encore plus discrète sur le plan relationnel (domaine psychologique), mais la composante militaire y joue un rôle majeur. Le positionnement avancé d'un porte-avions nucléaire US au Japon, la réduction des troupes terrestres dans ce pays comme en Corée, l'interopérabilité croissante des forces US avec ses alliés ou encore le renforcement des moyens aériens et navals sur l'île de Guam indiquent tous une influence plus vive et plus flexible des Etats-Unis dans le Pacifique, ainsi que l'exploitation de leur force pour établir une coalition susceptible de parer à toute aventure militaire chinoise. Les forces armées américaines continueront de régner dans cette région, mais elles feront davantage en coopération et en interaction que par le passé.
Sur ce plan, la défense antimissile est un angle que Washington exploite avec efficacité. Depuis le tir d'un missile ballistique nord-coréen au-dessus du Japon, en 1998, et avec l'augmentation des missiles sol-sol chinois pointés sur Taiwan, les capacités de protection susceptibles d'être fournies par les Etats-Unis sont un atout maître. D'une part, la constitution d'un bouclier antimissile stratégique basé au sol permet de renforcer les liens avec les pays souhaitant bénéficier d'un tel dispositif. D'autre part, le développement d'un bouclier antimissile de théâtre basé en mer permet de renforcer l'impact de la présence maritime US. Et même si l'efficacité de ces systèmes doit être mise en doute, leur utilité en termes de persuasion comme de dissuasion est réelle.
Comment évaluer cette stratégie qui se dessine ainsi sous nos yeux? Je définis une offensive virtuelle comme une action visant à susciter chez un acteur l'engagement de ses ressources dans un sens favorable à l'attaquant, en d'autres termes à faire un ami d'un ennemi. En donnant à la Chine aussi bien des limites que des perspectives, les Etats-Unis tentent d'accompagner et de gérer la croissance rapide de cet immense pays. Une voie médiane, pragmatique et flexible qui semble la meilleure possible.
COMPLEMENT (20.11 1525) : Juste pour le plaisir des yeux, voici une image du lancement du missile SM-3 utilisé par le système AEGIS comme vecteur antimissile. Vu le nombre de tubes visibles sur l'image du croiseur, une telle capacité est certainement dissuasive. Ou incite à multiplier les tirs, de missiles réels ou de leurres...
Publié par Ludovic Monnerat le 19 novembre 2005 à 16:52
Commentaires
Bien que la puissance américaine en asie du Sud-Est soit évidente, il est intéressant d'observer les modifications qui peuvent intervenir dans la région, même si elles demeurent encore discrètes.
Il est légitime de se demander si la Chine, avec son développement économique en progression continue, continuera à se contenter d'une puissance militaire si faible (un officier français la décrivait récemment comme actuellement incapable de tenir militairement le détroit de taïwan ou de lancer un véritable assaut parachutiste sur l'île, bien qu'elle possède de vraies ressources en termes de missiles balistiques et qu'elle ai récemment relancé [médiatiquement] sa production [faible] de navires amphibies).
On peut également s'interroger sur les capacités de Taïwan a se défendre contre une hypothétique invasion chinoise, alors que des analystes rappellent la courte durée du service militaire obligatoire et les penchants pro-chinois de certains partis politiques taïwanais, voire de certaines unités militaires.
La volonté d'indépendance militaire japonaise doit également être prise en compte. Même si ses capacités restent relativement faibles, la volonté de se doter d'une véritable puissance militaire, voire d'armement nucléaire demeure.
La capacité militaire nord-coréenne mérite également une attention particulière. Les investissements militaires de la dictature semblent porter leurs fruits avec des capacités de défense améliorées décrites par différents rapports (principalement sud-coréens).
Un de ces rapports présentait il y'a quelques mois l'installation par la Corée du Nord de plateformes de lancement (missile/SAM/artillerie) à flan de montagne, et montées sur rails, permettant de dissimuler et de protéger chaque plateforme après un tir.
L'analyse de Ludovic est parfaitement crédible et bien étayée mais il me paraît important de noter les différentes évolutions des autres acteurs régionaux.
Publié par Mugon le 19 novembre 2005 à 18:06
La fin de l'été 2005 a vu se dérouler des manoeuvres aéronavales cino-russes.
Le journal le Figaro titrait alors: "Pékin et Moscou tirent à blanc sur le pentagone".
Le thème de ses exercices ayant impliqué quelques 20 000 militaires chinois et 2000 Russes? Une mission de "maintien de la paix" mandaté par l'ONU afin de restaurer le calme dans un pays en proie à un conflit inter-ethnique...
Il est assez piquant de constater qu'à cet effet, ont été utilisés des bombardiers strégiques à long rayon d'action Tupolev et Antonov, des sous marins Chinois(flambant neuf)et qu'il à été procédé au tir de 3 missiles balistiques...bref tous moyens utiles à une mission "casque bleus"!!
Au delà , le message de ces détails matériels, le message de Pékin est clair:
La RPC n'entend pas demeurer plus longtemps une puissance "régionale".
Elle affiche clairement son intention (et ses capacités) à reprendre possession de Taïwan où comme le souligne Mugon, elle possède des appuis non négligeables.
La rapidité et l'importance de son réarmement, associée à une réforme qualitative de l'organisation et de l'instruction de ses forces vont au delà de la simple "remise à niveau".
Par ailleurs, en envoyant des hommes dans l'espace et en avouant son projet de construire sa propre station orbitale, elle répond point par point à la "menace dissuasive" américaine de "bouclier es étoile"(qui avait déjà contribué à l'effondrement de l'URSS).
Bref,il faut désormais compter avec elle comme grande puissance, dans tous les domaines, et pas seulement comme membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU.
Alors, rodomontades ou réalité?
Les deux mon colonel!
La capacité technologique chinoise est encore insuffisante pour se lancer durablement dans l'aventure.
Mais avec une croissance de 9% par an et un budget militaire qui croit de 1/10ème chaque année de puis 10 ans, elle comble peu à peu son retard. Le budget annuel de la défense était officiellement de 22 milliards en 2005, il devrait être porté à 30 milliards en 2006, chiffre que les experts de la CIA estiment en deça d'une réalité qui devrait avoisiner les 55 milliards, soit quelque 4,5% du PNB.
Certes, c'est toujours en l'espèce, 8 fois moins que les USA et 3 fois moins que l'UE. Mais cela augmente sans cesse...
Néanmoins, la croissance chinoise demeure fragile. Sa boulimie de matières premières et d'energie en tout genre l'oblige à fonctionner à flux véritablement tendus, pas de stock, et souvent même de ruptures de stock mettant à mal non seulement l'industrie et le bâtiment, mais également les programmes d'armements (la livraison des dernières vedettes made in China a connu un retard certain!). Enfin, les transfèrts de technologie demeure une difficulté pour l'heure non négligeable. Mais les "scrupules" des occidentaux, conscient du danger, résisteront ils longtemps à l'attractivité du marcher chinois? Il se pourrait bien que la logique commerciale, aux USA et au sein de l'UE finissent par l'emporter (comme d'habitude?) sur les notions "d'embargo" technologique destiné à retarder aux maximum l'émencipation techno-économique du géant asiatique.
Actuellement, la voie suivit pat les Etats Unis, celle d'une voie "médiane" décrite par Ludovic semble bien apparaitre comme la meilleur option. Une adaptation "aigre-douce" de la politique de "containment".
Publié par Winkelried le 20 novembre 2005 à 11:05
A propos de la Chine, j'ai découverts récemment, le site d'un général de l'armée de l'air (fr) ancien attaché militaire à Pekin, ses réflexions valent le coup d'œil et recouvrent assez largement les thèmes de ce billet : (dommage qu'il n'ait pas de blog !)
http://bstorg.free.fr/
http://bstorg.free.fr/Chine/DEFCHIN.htm
Publié par nobody le 20 novembre 2005 à 11:26
Un article intéressant du Washington times d'aujourd'hui, relatif à la manière dont la RPC semble vouloir empiéter, avec détermination, sur les "plates bandes" de "l'oncle Sam" en Amérique du sud.
Alimentation, transfert de technologies, coopération technique et militaire sont apparamment au programme, notamment avec le président Chavez, tout heureux de jeter ainsi une pierre dans le jardin de la maison blanche.
Mais pas d'alarme à avoir, concluent les experts officiels...
Publié par Winkelried le 20 novembre 2005 à 14:28
Jolie photo. J'en voudrais un comme ça, moi aussi ;-)
Trève de plaisanterie. Ce genre de lancement sera à nouveau (et à tort bien sûr) un prétexte pour les mouvances pacifistes pour reprocher à Washington l'escalade militaire et la provocation.
Peut-on à cet égard affirmer que le système de bouclier antimissile américain est de nature purement défensive?
Publié par Sisyphe le 21 novembre 2005 à 0:24
La question de savoir si un système est défensif ou offensif est souvent artificielle. Un bouclier est naturellement défensif dans sa nature ; dans son effet, comme il vise à neutraliser une arme de dissuasion, il peut tout aussi bien devenir offensif, puisqu'il autorise théoriquement l'emploi de ses propres missiles balistiques sans risque de représailles. Ce que l'on peut dire avec certitude, c'est que les systèmes antimissiles modifient les rapports de forces, réel ou imaginaires.
Publié par Ludovic Monnerat le 21 novembre 2005 à 7:46
L'offensive virtuelle decrite avec justesse ne s'apparenterait-elle pas a une tentative de contrer le developpement grandissant d'un "soft power" chinois?
C'est vrai, l'emergence de la Chine dans l'ordre regional inquiete. C'est un fait acquis pour les Etats-Unis. Mais pour ses voisins asiatiques, le marche chinois fascine, le taux de croissance force l'admiration, et son potentiel fait reflechir. Seul Le Japon de Koizumi apparait definitivement determiner a se poser en rival de ce futur hegemon, non sans mal.
La Chine pratique avec brio une diplomatie de grande puissance combinee a une diplomatie de voisinnage, developpe un soft power fonde sur la coherence d'un systeme de valeurs purement asiatiques. Elle travaille son image et ses relations.
Les mouvements d'integration economique qui caracterisent la zone et les tentatives de construction d'un ordre regional asiatique propre (different de celui herite d'une guerre froide ou de la lutte commune contre une menace terroriste globale, encore different de celui de l'Union Europeenne) montrent l'existence d'une gestation geostrategique a laquelle les americains se doivent repondre.
Bush va donc a la messe a Pekin et vante la democratie taiwanaise depuis le Japon, arrondi les angles en Coree du Sud...
Une guerre vituelle faite de visions concurrentes pour un ordre regional encore en gestation. La flexibilite est effectivement de mise. Jusqu'a quand ?
Publié par Yu le 23 novembre 2005 à 16:27