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21 novembre 2005

Le partage de l'information

Un excellent article publié dans Business Week témoigne d'une mutation en cours dans le monde commercial : l'abandon progressif du courrier électronique au profit de plate-formes plus ouvertes et interactives pour l'échange et le partage de l'information, ainsi que pour l'avancement de projets. L'overdose de courriels qui menace la plupart des cadres, encore agravée par les appareils permettant leur consultation à distance, semble en effet devenue un facteur rédhibitoire. Des systèmes autorisant sur un même document des corrections ou des commentaires en temps réel, de la part de tous les collaborateurs impliqués, évite tous ces échanges de fichiers attachés et les problèmes de synchronisation que chaque entreprise ou administration connaît aujourd'hui. Tout comme chaque armée.

C'est bien entendu cet angle qui ici m'intéresse le plus. Les commandements militaires sont de gros producteurs de documents, y compris en vue de l'engagement. Pour prendre un exemple tout proche, l'ordre d'opérations et ses annexes nécessaires au déploiement et à l'emploi d'un contingent de 50 militaires suisses et de 3 hélicoptères à Sumatra, après le tsunami, comptait environ 50 pages A4. La dernière édition du Guidelines of Operational Planning, le règlement de planification de l'OTAN, prévoit pas moins de 40 annexes, de sorte qu'une grande opération peut imposer plus de 100 pages A4. Tout cela n'a d'ailleurs rien de nouveau : l'ordre pour l'attaque sur la Somme en 1916 établi par le général britannique Haig comptait 57 pages réparties en 32 sections.

Les armées utilisent aujourd'hui de façon standardisée des applications de type Office, le plus souvent sur Windows (l'armée suisse est passée cette année à XP). Du coup, Outlook devient le point de convergence des informations à partager, que ce soit par le courrier (fichiers et messages), par le calendrier (fixation des séances) ou par les tâches (missions administratives). Des logiciels spécialisés peuvent venir faciliter la planification en organisant les documents nécessaires, mais l'architecture reste essentiellement la même. Un ordre ou une annexe modifié par plusieurs officiers l'est en mode correction, de façon séquentiel et non parallèle, à moins de fractionner par avance le document entre les rédacteurs autorisés. La synchronisation des connaissances est malaisée.

Des systèmes permettant une planification interactive en temps réel avec tous les membres d'un état-major et leurs subordonnés directs autoriserait certainement des gains de temps importants ; et pour une formation militaire, l'accélération de ses cycles décisionnels peut littéralement être une question de vie ou de mort. Les réseaux de commandement embarqués vont déjà dans cette direction en autorisant le partage automatique d'indications « manuscrites » faites sur un écran tactile projetant une carte numérisée. On imagine aisément l'efficacité d'une planification distribuée, au cours de laquelle un concept d'opérations serait esquissé, tracée, approfondi, vérifié, complété, évalué, « wargamé » et finalisé en ayant en permanence le produit sous les yeux.

Cependant, les militaires se méfient à juste titre des technologies conçues pour l'environnement concurrentiel des entreprises commerciales, et non pour l'environnement conflictuel dans lequel ils sont appelés à évoluer. Le risque posé par le partage toujours plus efficace de l'information, c'est de se focaliser sur les éléments susceptibles d'être véhicules par des chiffres et des mots, voire des schémas, et donc de perdre tout le reste. Le contact personnel, le regard, la voix sont des éléments essentiels pour atteindre une véritable compréhension entre individus engagés dans une même action. Wikis, weblogs ou flux RSS ne diront jamais toute la réalité.

Publié par Ludovic Monnerat le 21 novembre 2005 à 7:38

Commentaires

Le problème que vous soulevez est bien entendu un sujet d'actualité:

Sur le principe: il est vrai que la possibilité "d'une planification distribuée, au cours de laquelle un concept d'opérations serait esquissé, tracée, approfondi, vérifié, complété, évalué, « wargamé » et finalisé en ayant en permanence le produit sous les yeux" est séduisante.

Mais:

Comme vous le soulignez dans votre conclusion: "Le contact personnel, le regard, la voix sont des éléments essentiels pour atteindre une véritable compréhension entre individus engagés dans une même action. Wikis, weblogs ou flux RSS ne diront jamais toute la réalité.

Par ailleurs, un excès de planification entrave au final la réactivité face à l'événement. Les shémas directeurs, les lignes de conduites etc sont nécessaires, mais ils ont tendence à induire, si l'on y prend pas garde, le syndrôme de la "fiche réflexe". Ils fabriquent des "assistés", en quelque sorte.

Or, lorsque l'on travail au quotidien "sans filet", en prenant des décisions qui mettent en jeu la sécurité des personnels engagés, la crédibilité de votre institution et tout simplement votre responsabilité pénale, il n'est pas question de rester les deux pieds dans le même sabot en attendant qu'un analyste stationné à plusieurs kilomètres et qui ne possède qu'une vision certes d'ensemble, mais sommes toute virtuelle vous dise quoi faire... Vous n'avez pas le temps d'attendre. C'est à vous que revient de prendre la décision, vous êtes d'ailleurs formé et payé pour cela. Cela vaut aussi bien pour une unité de combat, qu'au maintien l'ordre et en terme de sécurité publique et routière.

En fait, ces inovations, si elles étaient massivement validées boulverseraient totalement le concept même de chaîne de commandement et de direction opérationnelle.

Pour l'heure elles se cantonnent uniquement dans l'organique, et ce n'est pas toujours heureux.
Les "informations" que je reçois quotidiennement, (pas toutes utiles à mon action hein!) m'arrivent par 5 à 6 canaux différents.

Pour résumer mon tour d'horizon:
"OutlooK 3.0", la "messagerie organique" qui fonctionne, je crois, avec Open office, l'intranet défense, la messagerie "RUBIS" (outil de communication crypté spécifique à la gendarmerie), La messagerie Cassiopée (sorte d'intranet local me reliant à toutes mes unités et aux échelons supérieurs). Dois-je rajouter le Fax, mon téléphone fixe et mon téléphone portable...Et éventuellement les consignes verbales de mon colonel...

Bref, il arrive fréquamment que des notes de services ou tout type de document partent des états majors sans jamais arriver dans les unités concernées...faute de les avoir trasmis par le bon canal (et idem dans l'autre sens! c'est de bonne guerre!!)

Certes, cette "chienlit" est "transitoire" (passage de windows à Open se supperposant avec l'évolution des systèmes!). Tout devrait rentrer dans l'ordre d'ici une année ou deux avec une fusion salutaire de ses trop nombreux canaux qui finalement fragmentent et dispersent l'information tout en noyant leur correspondant.

Mais de tels principes adaptés à l'opérationnel?
NON MERCI! Du moins pas dans leur forme actuelle!

Publié par Winkelried le 21 novembre 2005 à 12:09

Je me demande comment des organisations qui traitent de la survie des gens utilisent des moyens même pas aptes à l'emploie de bureau comme les logiciels Microsoft dont on vient de trouver l'ennième bug ce matin.

Je ne me souviens plus qui mais une porganisation (NSA?) avait déjà totalement renoncé à Windows pour passer à un système sous Linux

Publié par Mikhael le 22 novembre 2005 à 11:11