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16 novembre 2005

La vengeance américaine

Les violences urbaines en France ont permis à nombre de commentateurs américains et anglophones de prendre leur revanche avec le fier coq gaulois, qui ne s'était pas fait prier pour se gausser des Etats-Unis lors de certains événements difficiles. De part et d'autre de l'Atlantique, la même hargne vindicative et la même Schadenfreude ont produit les mêmes jugements définitifs, les mêmes conclusions à la faillite de l'autre. Toutefois, si la pratique de l'anti-américanisme peut à la rigueur s'expliquer par les besoins de la construction européenne, par une logique d'opposition servant - faussement, d'ailleurs - une identité en devenir, on remarque ces jours un anti-européanisme compulsif qui ne peut être uniquement la monnaie de notre pièce.

Les éditorialistes conservateurs les plus fameux du monde anglo-saxon, ces deux dernières semaines, ont écrit des colonnes particulièrement sombres sur l'avenir de l'Europe, à la lueur - j'allais dire flamboyante - des cités françaises rongées par le chaos. On peut notamment citer le cas du Canadien Mark Steyn, dont la causticité et la pertinence n'ont manqué de s'exprimer :

So Europe's present biculturalism makes disaster a certainty. One way to avoid it would be to go genuinely multicultural, to broaden the Continent's sources of immigration beyond the Muslim world. But a talented ambitious Chinese or Indian or Chilean has zero reason to emigrate to France, unless he is consumed by a perverse fantasy of living in a segregated society that artificially constrains his economic opportunities yet imposes confiscatory taxation on him in order to support an ancien regime of indolent geriatrics.

Un autre exemple est celui de Charles Krauthammer, qui a donné dans Time un résumé tout aussi abrupt de la situation :

On the one side are the protester-arsonists, many if not most of them Muslim, whom the Interior Minister called racaille (rabble) - young, restless, violent, vibrant, angry, jobless, envious and fecund. And on the other side is an aged and exhausted civilization, the hollowed-out core of European Christendom, static, aging, contented, coddled, passive and literally without faith. Who would you think will win in the end?
[!]
The best way to know the future is to look at simple demographics. There are an estimated 5 million Muslims in France. Of course, no one knows for sure, not just because of the uncounted illegal immigrants but because in France the government is prohibited by law from even asking about ethnicity and religion. It is not surprising that you don't deal with a problem whose very contours you refuse to see or even inquire about.

Ces affirmations doivent naturellement être prises en compte, et les facteurs démographiques ont l'avantage d'être des bases solides pour les réflexions prospectives. Malgré cela, cette focalisation sur l'origine ou la religion de communautés est en soi insuffisante pour parvenir à des conclusions aussi dramatiques. Le futur de l'Europe n'est pas certain : il attend d'être écrit, et c'est précisément aujourd'hui que les idées et les volontés nécessitent un vigoureux coup de fouet pour trouver une application dans les prochaines années et décennies. Si une confrontation à venir est effectivement inévitable, comme je l'ai écrit et dit non sans susciter des réactions outrées, les éditorialistes revanchards d'outre-Atlantique seront surpris par les énergies qu'elle va révéler.

Leur vision de l'Europe oscillant entre le musée en déclin et la clinique gériatrique, certes dans l'air du temps, s'arrête en effet à la surface des choses. Ce continent n'est pas éteint, le feu couve toujours dans son sous-sol ; la colère, la rage et la haine n'ont pas été anesthésiées par des années d'étouffement cognitif. Elles sont d'ailleurs capables du pire, et les massacres commis dans les Balkans sur fond de fractures ethniques et religieuses peuvent se reproduire, sur une échelle différente, en Europe occidentale. Ce potentiel de révolte qui habite la majorité silencieuse, et qui nourrit en désespoir de cause les franges extrêmes de l'éventail politique, ne peut être indéfiniment ignoré par ceux qui aspirent à sa maîtrise par la contention des individus, par le contrôle de l'information et des armements.

L'affrontement des idées est bien à l'œuvre, comme le montrent l'auto-intoxication et l'auto-censure pratiqués par des médias avides de préserver leur pouvoir ou d'influencer l'avenir. Et je pense que l'Europe ne sera pas au cours de ce siècle le seul champ de bataille décisif pour l'avenir des sociétés humaines. La lutte décentralisée et multiforme contre le chaos et la barbarie nous attend tous. Dans ce contexte, la vengeance américaine est à l'opposé d'une compréhension stratégique globale.

Publié par Ludovic Monnerat le 16 novembre 2005 à 9:58

Commentaires

Bien qu'incontournables, les angoissantes projections démographiques seraient parfaitement acceptables si les générations futures voudraient perpétuer la quintessence des expériences aquises au cours des siècles en occident, qui, malgré le terme, ne sont pas nécéssairement confinée aux territoires occidentaux ou à des groupes ethniques exclusivement européens.
(La culture, à mon avis, n'a pas comme support excusif le biologique, sans quoi il serait impossible à quiconque, par exemple, d'apprendre une langue extra-culturelle.)

Car la question est bien celle-là : est-ce que l'occident sera capable de transmettre son "héritage" aux populations de cultures diverses qui s'installent, continuront de s'installer et de prospérer (démographiquement) sur les territoires européens?
Car, indiscutablement, l'européen de la fin du 21ème siècle ne ressemblera physiquement pas à celui du 19ème siècle. Mais sera-t-il toujours occidental?

C'est certain que la honte ou le dénigrement de son propre "héritage" n'aide pas à sa perpétuation, et tant que des larges courants continueront d'en nier la valeur et la validité, peu de personnes se présenteront pour reprendre le flambeau de ce est perçu comme méprisable.

Evidemment, ces propos n'engagent que moi.

Publié par fingers le 16 novembre 2005 à 10:59

Je ne crois pas qu'il s'agisse de "vengeance", même si l'ironie de la situation est beaucoup plus mise en avant aux US qu'en France (où elle est censurée).

Le sentiment anti-français est bien sûr très fort aux USA, et pré-existait à la guerre Irakienne. Une des raisons en est que dans le "politically correct" américain, les Français étaient quasiment le seul groupe étranger qui pouvait être critiqué sans risque d'accusation de racisme => beaucoup de reproches adressés aux Français visaient en fait d'autres groupes, ou étaient juste la valve de sécurité face à la pression PC. Mais malgré cela, les Français ont continuer de bénéficier d'une sorte d'aura, tant dans les milieux de gauche (les philosophes de gauche français sont à l'origine du Politically Correct) que dans ceux de droite (il est très bien vu de rajouter des mots français dans tout discours), au point que beaucoup d'Américains ont mis beaucoup d'années à accepter la réalité de l'anti-américanisme en France.

Ce qui me semble mieux expliquer les articles actuels est que beaucoup d'Américains avaient prévu la situation française actuelle bien avant le 9/11, mais qu'ils ne pouvaient en parler publiquement à cause de la dictature du politically correct. Ce que l'on lit aujourd'hui chez les éditorialistes américains n'apporte pratiquement rien de neuf par rapport à ce qui se disait en privé depuis plusieurs années : les seules nouveautés sont les circonstances, qui démontrent les analyses, et que ce soit public. On remarquera d'ailleurs que les éditorialistes américains évitent le "told you so" ("je vous l'avais bien dit") tout en suivant une argumentation très réfléchie et cohérente : la raison en est simplement qu'ils y avaient déjà pensé, qu'ils en avaient déjà débattu, mais ne l'avaient pour la plupart jamais écrit publiquement.

En France, il est de bon ton de trouver les Américains incultes et stupides. Mais en fait les débats intellectuels qui s'y déroulent ont souvent plusieurs années d'avance sur la France. Ca ne signifie bien sûr pas qu'ils ont raison (et s'il y a débat c'est qu'il y a plein d'avis opposés !), mais c'est une source à prendre en considération.

Publié par APG le 16 novembre 2005 à 11:37

Aux Pays-Bas et au Danemark, la population a pu réagir aux agressions des immigrés parce que les médias n'y sont pas tenus pour empêcher le débat et la législation pour empêcher la concurrence entre les idées. Si une réaction était possible en France, il y a longtemps qu'elle aurait eu lieu.

L'exutoire des inquiets et des mécontents de la politique d'immigration y est le Front National ; mais celui-ci, même s'il réussissait à compenser l'ostracisme organisé contre lui, n'a plus de discours cohérent depuis plus de dix ans.

Publié par Hunden le 16 novembre 2005 à 13:33

Je ne connais pas la situation au Danemark et aux Pays-Bas mais Hunden a tout à fait raison de rappeler l'importance du Front National : lancé par Mitterrand comme un piège pour la droite, s'étant développé comme épouvantail à la solde de tous les partis au pouvoir (pour faire passer toute mesure impopulaire il suffit d'accuser ses adversaires de "faire le jeu de Le Pen" ou au pire de demander un discours à Le Pen pour détourner l'attention), le Front National est maintenant devenu un piège pour la société toute entière.

Publié par APG le 16 novembre 2005 à 14:40

Tout de méme, certains journalistes US font un sacré racourci voir méme de la désinformation comme cette dame de je ne sais plus quel chaine indiqué que pour les musulmans Francais, le paradis, c'est les USA et la Grande Bretagne parce que l'on n'y interdit pas le voile et que l'on peut aller à la mosquée prier quand on veut...

Le gouvernement n'a pas interdit l'accés aux lieux de culte et les femmes peuvent mettre le voile dans la rue sans risquer d'amende...

On nous fait passer pour un pays repressif alors que les forces de l'ordre doivent y aller avec les pincettes avec les "jeunes".

Aprés plus de 2 semaines de troubles, la police n'a pas tiré à balles réelles n'y blessé sérieuresement quelqu'un, je ne sais pas du tout si les forces des autres pays d'Europe aurait eu une telle retenue.

Publié par Frédéric le 16 novembre 2005 à 15:23

Un peu hors suget, mais je suis tombé sur cette article du Monde on annonce que l'humanité en plus de veillir, va manquer de femmes dans 20 ans, triste nouvelle :

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-709622,0.html

Publié par Frédéric le 16 novembre 2005 à 15:43

Oh! oh! Que voilà un billet bien subversif, camouflé sous ses beaux atours ... du bel ouvrage, vraiment, je m'incline, avant que d'y souscrire bien évidemment.

Je crois par ailleurs que l'essentiel à été développé dans de très bons commentaires, notamment ceux d'APG.

L'habillage du véritable sujet rejoint en fait celui de l'auto intoxication transatlantique des médias et démontre encore une fois la superficialité de ces derniers, toujours prompts à sombrer dans la caricature...

Sinon, oui, l'Europe n'est pas encore exactement un hospice, le "fighting spirit" n'y est pas mort, seulement endormi. Et oui encore, le FN en France constitue bel et bien un "exutoire" sous contrôle, au sens propre comme au sens figuré. Il a toute sa place dans le système politique et idéologique actuellement aux commandes, on serait d'ailleurs bien en peine de s'en passer.

Publié par Winkelried le 16 novembre 2005 à 16:49

Demography is everything!

La Chine présente un sex-ratio à la naissance selon les études de 117 à 120 pour 100 contre 105 (temps normal) à 109 (après guerres) dans les pays occidentaux. L'hypothèse la plus fréquente est qu'il y aurait sélection avant la naissance, voire infanticide. Cette hypothèse a été remise en cause récemment, certains accusant plutôt l'infection à l'hépatite B qui a un impact sur la conception des garçons :
"Oster, Emily. "Hepatitis B and the Case of the Missing Women." Journal of Political Economy 113:6."
http://www.eurekalert.org/pub_releases/2005-11/uocp-hba110805.php

A partir du Sex Ratio à la naissance, on peut estimer quel sera l'OSR (Operational Sex Ratio) 15 à 30 ans après, c'est-à -dire à l'époque des mariages (il faut tenir compte dans le calcul du fait que les femmes épousent en moyenne des hommes plus âgés (plus ou moins selon la culture)), et s'attendre à des tensions.

Cependant, l'OSR n'a pas été démontré comme étant corrélé au taux de conflits collectifs, contrairement au Ratio de Mesquida, qui est le nombre d'hommes âgés de 15 à 30 ans sur le nombre d'hommes total. Il semble donc plus important pour la paix que la croissance de la population soit contrôlée qu'il y ait un nombre équilibré d'hommes et de femmes. On peut d'ailleurs le comprendre en se référant aux sociétés polygynes (= 1 homme peut épouser plusieurs femmes) où le niveau de violence est certes beaucoup plus élevé que dans les cultures monogames, mais où il n'y pas nécessairement de conflits coalitionnels.

Le Ratio de Mesquida est bien sûr utile pour analyser la guerre en cours (je suppose que les militaires l'ont maintenant bien intégré !), et au global savoir qui va transmettre ses gènes et qui ne le pourra pas est l'enjeu même des conflits culturels, y compris dans les "cités".

J'avais écrit sur ce thème sur Evoweb notamment dans ces deux posts :
http://www.evoweb.net/blog/arc20040321.htm#BlogID255
http://www.evoweb.net/blog/index.php/2004/08/19/p96/Demography-is-everything-China-2015.html
et le Ratio de Mesquida est expliqué sur Evopsy : http://www.evopsy.org/article115.html (avec des liens vers les abstracts des articles scientifiques)

Publié par Evoweb le 16 novembre 2005 à 17:18

Voici des termes bien scientifiques pour moi qui n'est qu'un BEP ;)

Autre suget d'inquiétude pour l'Occident : la transmission du savoir et la capacité d'innover.

Alors qu'au XXeme S., l'immense majorité des découvertes scientifique et leur exploitation au quotidien était le fait de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Les nations comme l'Inde et la Chine mettent les bouchées doubles voire triples et leur nombre d'ingénieurs formé chaque années dépassent de trés loin ceux sortant des universitées de l'Ouest. Et comme 2 tétes valent mieux qu'une, et que les bases technologiques sont quasiment les mémes pour tout le monde...

Pour en revenir aux médias "superficielles", il suffit de lire les "people" qui peuplent les devantures de nos points presse bien franchouillard...

Publié par Frédéric le 16 novembre 2005 à 17:54

Pour Evoweb, votre article avec les exemples de choix est excellent. Et la réponse que font en général les dirigeants est de parer au plus presser. On prévient d'abord et on essaie ensuite d'arréter la voiture ;)

Publié par Frédéric le 17 novembre 2005 à 13:51