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18 octobre 2005

Une presse antidémocratique ?

Le journaliste Alain Hertoghe s'est livré hier à une revue de presse française édifiante concernant un documentaire diffusé par Canal+ et intitulé « Etats-Unis : à la conquête de l'Est ». Ce reportage, qui montre les efforts américains pour propager la démocratie et appuyer le renversement de régimes autocratiques, est en effet accueilli d'une façon souvent négative par les critiques cités. Extrait :

Dans le supplément télévision du Nouvel Observateur, Eric de Saint Angel est beaucoup plus amusant. "Bien évidemment, écrit-il, l'administation Bush, avec sa clique de va-t-en guerre et de stratèges plus souvent tortueux qu'inspirés, n'est pas étrangère à ces événements", qualifiés de "machinations extérieures et de jeux géopolitiques". Pas très malins, visiblement, ces Serbes, Géorgiens, Ukrainiens et Kirghizes qui adoraient leurs autocrates respectifs et qui, tels des marionnettes du cow-boy Bush, les ont renversés sans le vouloir vraiment...

Pour Hertoghe, l'anti-américanisme primaire est à la fois grotesque et drôle, et l'absence de l'Europe dans la promotion active de la démocratie doit être regrettée. Une telle position est déjà avancée pour un membre - certes ostracisé - des médias, mais à mon sens elle s'arrête à mi-chemin. Dans ces commentaires dédaigneux et méfiants, c'est bien une action antidémocratique qui est entreprise ; quelles que soient les motivations des uns et des autres, s'opposer à des initiatives favorables à la démocratie revient à s'opposer à la démocratie elle-même. Suspecter le pire derrière des actes louables n'est pas une preuve de pragmatisme, et le dénoncer témoigne d'un blocage cognitif ou émotif. Un refus d'admettre les faits tels qu'ils se déroulent.

Au fait, est-ce que s'opposer à la démocratie ne fait pas des médias des acteurs devant être contrés, voire combattus - avec des moyens démocratiques, bien entendu ? Voilà une question qu'il serait souhaitable de discuter. Calmement !

COMPLEMENT (18.10, 1740) : Le commentaire de Ralph Peters aujourd'hui dans le New York Post mérite le détour. Il s'en prend ainsi de manière particulièrement rude à la presse traditionnelle :

A herd mentality has taken over the editorial boards. Ignoring all evidence to the contrary, columnists write about our inevitable "retreat" from Iraq, declaring that "everyone knows" our policies have no chance of success.
That isn't journalism. It's wishful thinking on the part of those who need Iraq to fail to preserve their credibility.
We are dealing with parasitical creatures who, never having done anything practical themselves, insist that the bravery and sacrifice of others has no meaning. Their egos have grown so enormous that they would sacrifice the future of Iraq's 26 million human beings just so they could write "I told you so." And, of course, the greatest military experts are those who never served a day in uniform.

Créatures parasitaires? Voilà qui va plutôt loin...

Publié par Ludovic Monnerat le 18 octobre 2005 à 9:33

Commentaires

Les faits tels qu'ils se sont déroulés dans les pays de l'est sont largement commentés et surtout documentés sur le site du Réseau Voltaire. La notion d'"anti-américanisme primaire" est incroyablement à la mode en ce moment et un bon moyen de culpabiliser les personnes souhaitant dénoncer les exactions américaines dans le monde, qui elles, ont un but bien précis : l'indépendance énergétique des Etats-Unis.

Publié par Dwelsch le 18 octobre 2005 à 10:54

Alain Hertogue est aussi l'auteur d'un livre plein d'enseignement sur la presse française : 'La guerre à outrances : Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak' (www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/270213422X/).

Publié par Alex Keaton le 18 octobre 2005 à 12:42

La question est : Dwelsch fait-il de l'humour en prenant le "réseau voltaire" comme référence ou a-t-il un problème sérieux avec le monde réel?

Publié par Ruben le 18 octobre 2005 à 12:47

La vague d'antiaméricanisme est condamnable. Toutefois, adopter un regard critique par rapport aux actions américaines est tout à fait compréhensible du point de vue européen. Car nous partageons en gros les mêmes valeurs, mais nous avons l'avantage d'être moins impliqués. Cette position nous permet (ou devrait nous permettre) d'adopter un point de vue plus détaché, voire de proposer d'autres solutions (ex. crise iranienne).

Quoi qu'il en soit, l'origine de cette méfiance semble surtout provenir de l'action militaire américaine menée en Irak. Peu de personnes sensées et démocratiques ne s'opposent à la liquidation du régime de Saddam. En revanche, les prétextes et la voie choisie pour y parvenir laissent certainement beaucoup d'Européens perplexes, voire méfiants. Dans une dizaine d'années, l'on pourra déterminer si la fin justifiait vraiment les moyens utilisés!

Dans ce contexte, il est faux de forcément accuser certains médias d'être antidémocratiques.

Alex

Publié par Alex le 18 octobre 2005 à 13:09

Si ne pas être d'accord avec la politique états-uniennes est antidémocratique, le Réseau Voltaire est sans doute l'organe de presse le plus antidémocratique. Il me semblait donc approprié de le citer ici pour avoir vos réactions. Merci Ruben.
Le monde réel serait donc un endroit où quelques hommes auraient le pouvoir de décider de baillonner certains médias pour des raisons politiques ? Sur quels critères ? Comment définir un politiquement correct ? Excusez-moi, mais qui fait de l'humour ?

Publié par Dwelsch le 18 octobre 2005 à 13:55

> Toutefois, adopter un regard critique par rapport aux actions américaines est tout à fait compréhensible du point de vue européen.

Sauf que des pays comme la France sont membres de l'Alliance. S'opposer à la Libération de l'Iraq, comme jadis refuser aux alliés américains de survoler leur territoire pour bombarder la Libye, c'est être de fait les alliés de l'Iraq ou de la Libye.

> Quoi qu'il en soit, l'origine de cette méfiance semble surtout provenir de l'action militaire américaine menée en Irak.

Et inversément. Dans L'Obsession antiaméricaine, Jean-François Revel développe l'inconséquence de cette position (si vous vous opposez à tout, mais que vous n'avez aucune alternative crédible, comment voulez-vous encore être pris au sérieux par les Américains ?).

Il y a en Europe une sorte de déni de la guerre. C'est ce que dit Robert Kagan je crois.

Face aux évènements, deux attitudes sont envisageables : soit agir, assumer les conséquences et recalibrer son action sur base des résultats (la conscience opérante, en l'occurrence le pragmatisme américain), soit hésiter et reculer devant la perspective de s'impliquer concrètement (la « prudence » européenne). Voici le raisonnement de cette seconde conscience : puisque agir implique le risque de se tromper, pourquoi, dès lors, ne pas se réfugier dans la sphère du langage ? Elle succombe à la tentation de ne plus agir et de ne plus faire que parler. La « belle âme », c'est ainsi que Hegel l'appelle, vit dans l'angoisse de souiller la splendeur des préceptes moraux qu'elle abrite en elle. Se gardant de toute action, elle se contentera de déplorer le triste cours des choses et se figera dans une posture exclusivement contemplative. Ce refus de prendre part activement au destin du monde la transmue ainsi en « conscience jugeante ». En réalité, cette conscience, qui prétend trôner au-dessus de la fébrilité des affaires humaines, est , nous dit Hegel, la conscience la plus basse et la plus vile. Elle salit les victoires de la conscience opérante et fait son miel des échecs et autres déboires de cette dernière. Non contente d'être mesquine, elle se fait hypocrite : elle ne reconnaît pas que le fait de se confiner dans l'inaction est déjà une sorte d'engagement tacite (le refus de choisir est-lui même un choix), une acceptation du statu quo, laquelle peut s'avérer lourde de conséquences.

> En revanche, les prétextes

Qu'ils adressent leurs reproches au Conseil de Sécurité (qui a condamné Saddam et autorisé la force dans la 1441), pas à ceux qui ont permis de rétablir le droit dans la région.

Y'en a marre du discours systématiquement hostile. Un conflit éclate quelque part. Les Américains interviennent ? Normal, ils sont impérialistes, unilatéralistes, veulent tout régenter et se prennent pour les « gendarmes du monde ». Ils n'interviennent pas ? Normal, ils sont alors isolationnistes, égoïstes, cyniques, indifférents.

Publié par Alex Keaton le 18 octobre 2005 à 13:59

Pour Alex : Je pense qu'il y a une différence entre adopter un regard critique et blâmer de façon automatique, comme certains critiques cités par Alain Hertoghe le font. Ou entre poser une question nuancée et donner une réponse manichéenne. La méfiance ne doit pas rester que cela, une sorte d'appréhension négative et instinctive ; elle doit tôt ou tard être corroborée ou infirmée par des faits pour servir à quelque chose.

Dans ce contexte, je pense que l'accusation de mener une action antidémocratique, parce que fondée sur une opposition automatique, ne peut être écartée de la sorte. Et j'entends par là provoquer une interpellation, notamment sur la responsabilité du discours public tel qu'il apparaît dans les médias...

Publié par Ludovic Monnerat le 18 octobre 2005 à 14:19

"Au fait, est-ce que s'opposer à la démocratie ne fait pas des médias des acteurs devant être contrés, voire combattus - avec des moyens démocratiques, bien entendu ?"

C'est une question intéressante.
La question du "combat contre les médias", et plus généralement du contrôle de l'information, n'est pas souvent abordée de façon si frontale. Un des moyens très utilisé pour contrer les médias, ou tout du moins les orienter, est le lobbyisme.

Offrir un contenu exclusif à des acteurs médiatiques est une forme de lobbyisme.
Ce contenu peut prendre la forme d'une invitation à une conférence privée, d'une rencontre avec des personnes "difficiles d'accès", ou la possibilité de suivre des unités de combat sur le terrain. Ce type de lobbyisme permet de diffuser une information contrôlée, et parfois même d'utiliser le média comme caution. Les lobbyistes sont très variés et on peut citer pêle-mèle, et pour exemple, le Pentagone, des terroristes islamistes, des instituts dirigés par des parlementaires, des généraux à la retraite ou des hommes d'affaires et qui fonctionnent avec ou sans subventions d'états, ou encore des fondations du moyen-orient qui soutiennent plus ou moins ouvertement le terrorisme. Ces différents lobbies ne partagent bien évidemment pas tous la même idéologie, et non pas tous à coeur la défense des valeurs démocratiques.

Il existe également la possibilité de créer ses propres réseaux d'information, comme Xinhua, l'agence de presse chinoise, ou le projet français de chaîne de télévision par satellite "C2i" qui aurait pour objectif de diffuser la vision diplomatique française à l'étranger (principalement vers le moyen-orient), ou encore "La voix du Califat" et son présentateur masqué, dont les bulletins sont diffusés en streaming sur le web (http://www.isonly.net/~blue_cats/cgi-bin/upload/source/up2816.rm).

Il est dommage de constater que les organisations occidentales, et particulièrement européennes, ne semblent pas prendre toute la mesure de la nécessité vitale que constitue le contrôle de l'information, face à des groupes sans scrupules qui arrivent très bien à diffuser leur propagande haineuse.

Au sujet de la dérive des réseaux d'information, et pour répondre à Ruben, l'exemple du Réseau Voltaire, qui se présente comme un réseau indépendant, est édifiant. Ce texte montre que même le Parti Communiste Français (PCF), ne veut plus avoir de liens avec le "réseau" à cause de ces déviances. http://www.amnistia.net/news/articles/voltaire/voltaire_552.htm

Publié par Mugon le 18 octobre 2005 à 14:30

(je manque de temps et dois écrire sur un clavier pour germanophone : veuillez excuser les fautes)
Les thèses du "réseau voltaire" (dont la propagande est orchestrée par la personne ayant avancé la théorie selon laquelle les attentats du 11 septembre auraient été le fait des amériacins eux-mêmes) n'est pas crédible, même pour les plus farouches adversaires des US. Cela sert à vendre, à faire du fric sur le politiquement correct anti-américain.
Il existe toutes sortes de manières de critiquer les Etats Unis, et au nombre de ces dernières, je suis convaincu que les amateurs peuvent en trouver de plus ou moins compatibles avec la réalité et l'intelligence.
Je ne comprends pas pourquoi vous basculez sur des questions concernant la censure; si vous le faites en pensant que je suggère d'interdire les élucubrations répandues par "le réseau", vous vous trompez. J'ai moi aussi toujourrs été opposé à la censure des propagandes; je pense que la "pravda", le "sturmer" ou les écrits de Meyssan devraient rester accessibles à titre d'information historico-sociologiques. Nous sommes donc d'accord sur ce point.
La science fiction a aussi certaines qualités.

Publié par Ruben le 18 octobre 2005 à 15:22

"pas crédible"...Et pourtant, vue le nombre de fois ou je rencontre cette histoire dans les forums et autres blogs, cela me laisse pantois.

Nous sommes une génération qui à ont nourrit avec les X-Files, bien que l'exemple des "protocoles des Sages de Sion" lancé il y a plus d'un siécle et certains prennent encore pour argent comptant de nos jous montre que cela n'est pas une nouveauté.

Publié par Frédéric le 18 octobre 2005 à 16:29

Pour Alex Keaton

Moi ce qui me gêne c'est :

- Que l'on compare l'Europe aux Etats-Unis, alors que l'Union européenne est encore une espèce de Confédération d'Etats sans réel pouvoir au niveau international (difficile dans ce contexte de parler d'une seule voix et d'agir efficacement - l'UE est encore un enfant, au mieux un adolescent).

- Que l'on ne voit que l'action militaire, alors que d'autres voies sont possibles (diplomatique, économique, politique d'alliances, etc.).

- Que l'on oublie, lorsque l'on pointe les médias avec l'index, que ceux-ci (en tout cas dans certains pays) reflètent également l'opinion publique et politique dominante (la fameuse question du rôle des médias : faiseurs d'opinion ou relais d'une certaine pensée)!

Alex

Publié par Alex le 18 octobre 2005 à 16:44

Dwelsch: "Si ne pas être d'accord avec la politique états-uniennes est antidémocratique".
Le problème ne se pose pas en ces termes! Ce n'est pas la critique de la politique US qui est en cause ici, mais le fait que l'essor de la démocratie dans certains pays soit considéré de façon négative par la presse.
La revue de presse d'Alain Hertoghe montre bien qu'il ne s'agit pas d'une critique de la politique US (ce qui serait légitime), mais bien d'une critique de la démocratie et de l'économie de marché, critique cachée derrière la couverture simpliste de l'anti-américanisme.

Publié par JAG le 18 octobre 2005 à 19:44

Hors sujet;
Présentation des opérations militaires en Iraq:
http://billroggio.com/archives/2005/10/the_anbar_campa_4.php

Publié par al le 18 octobre 2005 à 20:59

Bonne animation flash, sauf la musique, les combats réel ne sont pas un jeu vidéo.

Publié par Frédéric le 20 octobre 2005 à 9:14

Les Armées utilisent les sons et la musique depuis la nuit des temps et dans le monde entier. On crie au combat, on joue de la cornemuse, du tambour etc. Pourquoi cette critique, quand on vit dans le combat... on se diverti dans le combat si non on deviendrait fous. La parade ne précède ni ne suit les Armées, elle est l'Armée. Il est définitivement plus agréable de mourir endimanché, sabre au clair dans une charge de cavalerie au son des trompettes ou du cri de Hafed Allah...Hafed Allah...Lmoka hal...Lmoka hal... au grand galop qu'englué dans la boue d'une tranchée putride avec les rats dans un silence tombal. L'Armée du futur est américaines ainsi que le registre sonore. Rejeter ces sons démontre un peu d'anti-américanisme ;-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 22 octobre 2005 à 1:22