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25 octobre 2005
L'interprétation du vote
Les Irakiens ont donc bel et bien accepté la constitution soumise au référendum voici 10 jours, mais de justesse ; malgré le soutien de 79% des votants sur le plan national, il aurait suffi de 11% de refus supplémentaire dans la province pour que la minorité sunnite oppose son veto au texte. Il va être intéressant de constater comment ce résultat va être interprété par les médias occidentaux. La plupart d'entre eux sont en effet impliqués dans l'une des luttes qui se sont cristallisées sur le conflit irakien, en l'occurrence celle opposant l'interventionnisme au pacifisme. Et l'on devrait a priori découvrir au moins quatre perceptions différentes.
La première perception consiste à présenter ce scrutin comme factice, comme une parodie de démocratie, comme un manège référendaire pratiqué sous occupation et donc invalide. C'est la perception que plusieurs médias et commentateurs ont choisie au lendemain des élections de janvier dernier. En raison du petit nombre d'attaques commises le 15 octobre dernier, et du rôle plus important joué par les forces de sécurité irakiennes, cette interprétation va être plus difficile à recycler. Mais les faits ne sont que rarement un obstacle aux convictions les plus ancrées, et il faut s'attendre à lire ou à entendre cela.
La deuxième perception consiste à voir dans ce scrutin la preuve d'une inéluctable guerre civile, prélude à un éclatement du pays entre les sunnites d'une part, les chiites et les kurdes d'autre part. En révélant l'opposition totale de ces communautés quant à leur conception de l'Etat irakien, ce vote serait ainsi le catalyseur de violences intercommunautaires qui existent déjà . Bien entendu, ce serait oublier que la minorité sunnite est représentée au gouvernement comme au parlement dans une proportion correcte, et qu'une mobilisation totale de sa part aurait permis de bloquer le texte. Mais la guerre civile à la une reste une perspective tentante.
La troisième perception consiste à analyser ce scrutin comme la première expression nationale de la population irakienne, et donc la prise de conscience des rapports de force qui existent en son sein par le biais du facteur démographique. Ce vote aurait ainsi le mérite de valider un processus politique complexe et disputé, mais aussi de souligner les fractures profondes dans l'électorat - et les risques de violences qu'elles impliquent. Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution, il fournit cependant une base pour les prochaines élections et pour l'avènement d'un Etat fédéral susceptible de trouver une répartition consensuelle des pouvoirs.
La quatrième perception consiste à faire de ce scrutin la preuve irréfutable que la démocratie fonctionne désormais en Irak et que l'expression de la volonté populaire, à elle seule, constitue une fin en soi. Dans cette perspective, ce vote serait un pas de plus vers la démocratisation inéluctable du Moyen-Orient, sous la houlette bienveillante des forces armées américaines, étant entendu que les perdants de chaque scrutin vont tous naturellement apprendre à accepter le verdict populaire - et les gagnants la prise en compte de toutes les opinions. Une perception que l'on voit fleurir ça et là sous la plume des partisans de l'intervention militaire.
Sans doute existe-t-il d'autres interprétations possibles, mais celles-ci me semblent déjà suffisamment différentes. A mon sens, la troisième perception est celle qui s'approche le plus de la réalité, car elle intègre les faits révélés et ne désigne pas une seule issue. J'ai bien peur qu'un tel pragmatisme soit rare!
COMPLEMENT (26.10 1450) : Finalement, une bonne partie des médias a choisi une tactique différente, consistant à minimiser l'importance de l'événement et à ne lui accorder qu'une place réduite. L'acceptation d'une Constitution par 78% des votants, avec une participation de 63% et un nombre très réduit de violences, avait pourtant été jugée impossible par de nombreux commentateurs.
On notera tout de même quelques éditoriaux intéressants. La perception n°2 est propagée par exemple par 24 Heures (dont l'auteur, Philippe Dumartheray remballe brièvement ses prédictions apocalyptiques avec un discret "dont acte") et par La Liberté. On trouve également des médias qui reflètent la perception n°3, comme Libération, Le Figaro ou la Tribune de Genève.
Mon tour d'horizon est bien sûr tout sauf complet. Cependant, je ne suis pas le seul à juger cette discrétion des médias comme une forme d'aveu.
Publié par Ludovic Monnerat le 25 octobre 2005 à 17:03
Commentaires
Vous avez décidément un espoir infini en la capacité de remise en question des médias...
Il est clair que seule l'option #1 sera choisie. Ensuite, nous aurons droit aux inquiétudes quant aux velléités "islamistes" du nouvel Etat irakien (nouvelle créature de Frankenstein créée par les Etats-Unis - "au moins la dictature de Saddam ne l'était pas", entendra-t-on!) ainsi que les habituelles remontrances subtiles genre: "pourquoi maintenir une présence militaire maintenant que la constitution est votée? N'est-ce pas l'aveu que tout ceci n'est qu'une mascarade"?
Ensuite, on accusera l'Etat irakien d'être tout aussi totalitaire que son ancêtre à l'aide de quelques scandales liés à des interrogatoires ou des tortures en prison. Cela a déjà commencé avec les critiques sur le procès de Saddam, présenté ici comme un grand-père sympathique.
De toutes façon, ce sera la faute à Georges W Bush, à l'avidité des marchés financiers, et aux extrémistes catholiques qui règnent sur les USA une bible en main et un flingue dans l'autre.
Même si un millions d'habitants de Bagdad prenait l'avion pour manifester leur joie de vivre dans un Irak libre et démocratique, croyez-vous que M. Campiotti verrait dans cette démonstration, avec son regard acéré de vieux routard à qui on ne la fait pas, une nouvelle manipulation de l'Oncle Sam? Croyez-vous que Françoise Weilhammer va admettre que George W Bush pouvait avoir raison sur quoi que ce soit sans s'étrangler avec son micro?
Ils sont indécrottables, je vous dit. On prend les paris? Heureusement qu'il y a les blogs pour donner une vision moins manichéenne du monde... Mais pour nos chers médias indépendants sauf dans l'idéologie qui imprègne leurs rédactions, ce sera encore et toujours "Blame America First!!"
Publié par Stéphane le 25 octobre 2005 à 23:52
"Même si un millions d'habitants de Bagdad prenait l'avion pour manifester leur joie de vivre dans un Irak libre et démocratique"
Je voulais dire:
"Même si un millions d'habitants de Bagdad prenait l'avion pour manifester à Genève leur joie de vivre dans un Irak libre et démocratique"
Publié par Stéphane le 25 octobre 2005 à 23:53
Vous avez raison " Stéphane " les terroristes virtuels n'ont qu'une seule cible, donc 1 seul choix, soit l'option # 1 et ses clones que seul le maquillage différencie afin de faire croire, que l'Amérique est un mythe, soit une construction de l'esprit qui ne repose pas sur un fond de réalité... ;-)
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 26 octobre 2005 à 5:06
"Vous avez décidément un espoir infini en la capacité de remise en question des médias..."
Serait-ce un tout premier (petit) pas dans la bonne direction ?
En tout cas, le Washington Post vient de reconnaitre, fiasco Judith Miller oblige,
qu'elle et ses collègues avaient apparemment commencé à "mentir pour encourager la guerre en Irak à la demande du gouvernement Bush" dès... 98 !
"the Times, along with The Post and other news organizations, ran many alarming stories about Iraq's weapons programs before the election of George W. Bush. A quick search through the Times archives before 2001 produces such headlines as "Iraq Has Network of Outside Help on Arms, Experts Say"(November 1998), "U.S. Says Iraq Aided Production of Chemical Weapons in Sudan"(August 1998), "Iraq Suspected of Secret Germ War Effort" (February 2000), "Signs of Iraqi Arms Buildup Bedevil U.S. Administration" (February 2000), "Flight Tests Show Iraq Has Resumed a Missile Program" (July 2000). (A somewhat shorter list can be compiled from The Post's archives, including a September 1998 headline: "Iraqi Work Toward A-Bomb Reported.") The Times stories were written by Barbara Crossette, Tim Weiner and Steven Lee Myers; Miller shared a byline on one.
Many such stories appeared before and after the Clinton administration bombed Iraq for four days in late 1998 in what it insisted was an effort to degrade Iraqi weapons programs. Philip Shenon reported official concerns that Iraq would be "capable within months -- and possibly just weeks or days -- of threatening its neighbors with an arsenal of chemical, biological and even nuclear weapons." He reported that Iraq was thought to be "still hiding tons of nerve gas" and was "seeking to obtain uranium from a rogue nation or terrorist groups to complete as many as four nuclear warheads." Tim Weiner and Steven Erlanger reported that Hussein was closer than ever "to what he wants most: keeping a secret cache of biological and chemical weapons." "To maintain his chemical and biological weapons -- and the ability to build more," they reported, Hussein had sacrificed over $120 billion in oil revenue and "devoted his intelligence service to an endless game of cat and mouse to hide his suspected weapons caches from United Nations inspections."
http://www.washingtonpost.com/wp-
dyn/content/article/2005/10/24/AR2005102401405.html
Publié par jc durbant le 26 octobre 2005 à 9:34
A lire, un petit billet du Le Monde à L'Envers qui donne le ton sur cette fameuse remise en question des médias...
Publié par Stephane le 26 octobre 2005 à 10:23
En attendant la remise en question par la nouvelle "Net-generation" ...
Attention: une impasse peut en cacher... une autre !
Comme le rappelle l'intéressant blog de Gilles Klein,
"Pour obtenir de meilleures retombées médiatiques et souligner l'insécurité anarchique dans lequel a sombré le pays, il est donc logique que les poseurs de bombes s'attaquent, comme hier, aux hotels Sheraton et Palestine qui abritent la quasi totalité des médias occidentaux basés à Bagdad."
Quelle meilleure illustration en effet de l'impasse où se trouvent les chers résistants irakiens de nos non moins chers médias, réduits qu'ils sont maintenant, après les enlèvements et les découpages de têtes au couteau de boucher - sans parler de l'utilisation de femmes-chair à saucisse ! - , à quémander l'intérêt des médias, sans lesquels ils ne sont rien, jusque dans leurs... chambres d'hôtel !
Et quelle meilleure image de la non moins profonde impasse de nos propres journalistes, dont l'action se réduit de plus en plus à la diffusion des cassettes du jour que leur livrent fidèlement les terroristes (sans lesquels ils ne sont rien), du fond de leurs... chambres d'hôtel !
http://gklein.blog.lemonde.fr/gklein/2005/10/bagdad_attentat.html
Publié par jc durbant le 26 octobre 2005 à 11:29
L'annonce du 2 000 eme décés d'un militaire américain et l'emoi que cela à suscité passe devant les résultats de ce scrutin dans nos médias.
En matiére d'agip prop, méme si arréter finalement Ben Laden, Zarquoi et le Mollah Omar demain matin, nos journalistes ferait sans doute la 1er page sur le temps que cela à pris.
Publié par Frédéric le 26 octobre 2005 à 17:33
Nos journalistes avaient été surpris par les élections de janvier, et pendant quelques jours, s'étaient laissés allés à de regrettables concessions. Ils en oubliaient la plus élémentaire des références au Vietnam.
Cette fois-ci, il s savaient d'avance quoi dire, ou ne pas dire, en cas de succès au référendum.
Ces gens-là apprennent, vous dis-je !
Publié par Hunden le 27 octobre 2005 à 5:47
J'avais pas réalisé le carnage qu'Al Qaeda s'apprêtait apparemment à faire parmi... ses amis journalistes !
Voir l'excellent post de Bill Roggio:
"The bombings [occurred] at dusk in front of rolling television cameras and guaranteed global media coverage."
"It is a measure of desperation when al Qaeda attacks the media, as al Qaeda depends on their promotion of jihadi violence for their survival and recruitment."
"No doubt al Qaeda had its own propaganda crews taping the event. The media's reaction to viewing al Qaeda's purposeful attack on their own is unlikely to match
their fury over the accidental deaths of journalists during Operation Iraqi Freedom by U.S. forces at the very same hotel. Such is the war we fight."
The Fourth Rail: [al Qaeda] Attack on the Palestine Hotel
Written by Bill Roggio on October 25, 2005 02:44 AM to The Fourth Rail
Available online at: http://billroggio.com/archives/2005/10/al_qaeda_attack_1.php
Publié par jc durbant le 27 octobre 2005 à 7:51