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28 octobre 2005

La faille des dictatures

Lors d'une discussion à bâtons rompus ce midi avec l'un de mes camarades, dans une gargote fort prisée de la capitale, ce dernier a sorti l'une de ces vérités dont l'étrangeté apparente suscite le rire : « l'ennemi principal de toute dictature, c'est sa propre population. » C'est une chose que l'on peut avoir tendance à oublier si l'on se fie trop aux apparences martiales et posées qu'affectionnent les régimes autocratiques. Mais le mécontentement, la frustration, la colère voire la révolte de la population constituent une menace permanente, qui exige une réponse adaptée. Du coup, il est fréquent que les forces de sécurité soient davantage aptes à la répression qu'à la protection, à la mise en coupe réglée du pays qu'à sa mise sur le pied de guerre.

L'Irak en 2003 a fourni un exemple éclatant de cette faille : les organisations armées fidèles au régime de Saddam Hussein se sont faites littéralement massacrer au sud de l'Euphrate ou dans les rues des villes ; quant à l'armée régulière, et même une partie de la Garde républicaine, elle s'est évaporée presque sans combattre. En fait, l'évolution technologique appliquée aux armements favorise tellement les armées démocratiques, qui pratiquent librement les échanges d'information et optimisent constamment leurs cycles décisionnels, que les dictatures classiques leur sont de plus en plus vulnérables. Je ne donne pas cher de la peau de l'armée syrienne si deux divisions mécanisées américaines - l'équivalent de trois d'entre elles sont actuellement en Irak - se lancent dans une percée jusqu'à Damas. Mais ensuite ?

Car l'essentiel est bien là : pour survivre durablement, les régimes autocratiques ont besoin d'exercer une telle emprise sur leur population que celle-ci peut finir par perdre son sens civique, accepter les fractures imposées par un pouvoir qui divise afin de régner. Comme les Etats-Unis l'ont appris en Irak, il est bien plus difficile de construire une démocratie que d'abattre une dictature, même si l'un et l'autre vont parfois de pair. Et il est compréhensible que des esprits à courte vue pensent qu'un ordre totalitaire est moins pire qu'une liberté chaotique. Du coup, la meilleure protection des dictateurs contre les offensives militaires visant à les renverser est désormais le spectre du chaos qui va nécessairement leur succéder. Après moi, le déluge !

Bien entendu, ceci n'est valable que lorsque le régime en question apparaît suffisamment raisonnable pour ne pas constituer une menace imminente. Tel ne semble plus être le cas de l'Iran aujourd'hui, alors que l'implication de la Syrie dans des actions armées en Irak et au Liban lui donne également un profil menaçant. Il n'est pas rare que les dictatures tentent de remédier à la faille que constitue leur opposition intérieure en mobilisant plus ou moins artificiellement leur population contre une menace extérieure. Les propos actuels des dirigeants iraniens peuvent d'ailleurs difficilement être interprétés dans un autre sens. Mais une telle focalisation ne permet pas longtemps de détourner les esprits, alors qu'elle offre une justification toute trouvée pour une action coercitive adoubée par la communauté internationale.

Aussi étrange et contradictoire que cela puisse paraître, la démocratie s'affirme de plus en plus comme la meilleure structure politique pour projeter efficacement - au moins à terme - la puissance des armes.

Publié par Ludovic Monnerat le 28 octobre 2005 à 21:29

Commentaires

« l'ennemi principal de toute dictature, c'est sa propre population. »

Je ne suis pas d'accord et c'est même le contraire. Ce sont les démocraties qui sont à la merci de leur population. Les dictatures et c'est bien connu sont menacée de l'extérieur. Un dictateur ne peut rien faire tout seul. Il a besoin des enfants du peuple pour réaliser son projet, il s'appuie sur eux et alors s'installe un piège que tous endossent jusque dans la mort. L'Irak le prouve et ils se battent encore pour Sadam ou ne font rien pour favoriser la démocratie. L'embargo de l'ONU fut un véritable siège mené de l'extérieur et le travail des Américains après leur intervention a été gigantesque pour convaincre et ils n'ont pas eu de grosses majorités chez les Sunnites. On pourrait prendre le cas de l'Allemagne encore plus flagrant car la population était plus homogène que l'Irak. Le Chili, l'Argentines... La menace est venu de l'extérieur. Regardez la longévité des dictatures par rapport aux démocraties, les Américains l'on bien compris en limitant à deux mandats la présidence.

Dans cette Gargote le Fendant était trop bon, vous faites fausse route ;-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 28 octobre 2005 à 22:27

Comment? On insinue perfidement que deux officiers suisses sirotent quelque breuvage euphorisant durant leurs discussions militaro-géo-politico-stratégiques ? Dans le même esprit, je devrais donc mettre sur le compte du sirop d'érable vos propres affirmations... ;)

Bien entendu, notre désaccord demeure entier. Qu'une dictature s'appuie sur le peuple pour prendre le pouvoir est naturellement possible ; les cas historiques sont suffisamment nombreux. Mais je pense encore une fois qu'une dictature est rapidement confrontée à une menace intérieure par l'illégitimité même de son pouvoir. Non, les Irakiens ne se sont pas battus et ne se battent pas pour Saddam ; une infime minorité, toute visible et violente qu'elle soit, ne doit pas nous tromper à cet égard. La participation et le résultat des 2 scrutins électoraux tenus cette année en Irak sont le meilleur indicateur de ce que pensent et veulent les Irakiens.

Il va de soi que les dictatures ont à faire face à des menaces extérieures, et que l'existence de ces menaces est une chose qui peut favoriser l'émergence d'une dictature. Après tout, durant la Seconde guerre mondiale, les pouvoirs extraordinaires accordés au Conseil fédéral et au Général faisaient de la Suisse une quasi-dictature dans certains domaines (censure notamment). Toutefois, et encore une fois, cela ne change pas dans la durée cette vérité selon laquelle toute dictature finit tôt ou tard par se retourner contre sa population - et je trouve que vos exemples du Chili et de l'Argentine sont éclairants sur ce point. Même les Malouines n'ont pas pu sauver Galtieri et sa clique.

Quant à la longévité des dictatures par rapport aux démocraties, n'est-elle justement pas la preuve que les armes des régimes autocratiques parviennent à l'emporter très souvent sur la volonté populaire? Il est vrai que la menace extérieure, aujourd'hui comme avant, prend souvent la forme d'idées, et qu'elle finit par renforcer la menace intérieure. Mais celle-ci existe forcément. On ne peut transformer impunément les êtres humains en rouages anonymes et corvéables.

Publié par Ludovic Monnerat le 29 octobre 2005 à 9:43

Il ne faut pas oublier le régime de terreur qu'utilisent les dictateurs pour régner en maitres absolus. Il ne faut pas oublier que les appareils sécuritaires sont énormes, unqiuement pour réprimander les élans de liberté. L'ennemi de la dictature reste la population car elle aspirera toujours à un mieux inconciliable avec les buts du pouvoir en place.

Le fendant n'était pas de mise, c'est interdit en Suisse! Et le contrôle est très strict!!! ;-)

Publié par variable le 31 octobre 2005 à 16:24