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21 octobre 2005
Irak : la victimisation aiguë
Les militants anti-guerre ne s'intéressent aux soldats que lorsque ceux-ci peuvent être décrits comme des victimes. Cette maxime s'applique également aux journalistes pratiquant librement le combat de la persuasion, comme le démontre une fois de plus Alain Campiotti aujourd'hui dans Le Temps. Sous le prétexte d'un film décrivant le sort de quelques membres de la Garde nationale appelés à servir en Irak, ce journaliste-combattant se livre en effet à un portrait d'ensemble (« Les héros ont la mort dans l'âme ») visant à décrire la situation mentale de tous les militaires américains déployés en Irak ou en Afghanistan.
En utilisant des anecdotes individuelles (personnages isolés et montés en épingle comme des généralités, alors que leur sort au contraire les distingue de la grande majorité) ou des chiffres non conclusifs (études partielles, portant sur « 49'000 » anciens de guerres qui ont vu plus d'un million d'hommes se relayer, sans que la représentativité de l'échantillon ne soit démontrée), c'est à une profonde distorsion de la réalité que se livre Campiotti, ce qui lui permet de conclure sans nuance dans le sens de ses convictions :
C'est une autre arme de l'insurrection, qu'on doit bien connaître du côté de Falloujah ou de Tora Bora: les Américains qui quittent leurs bourgs et leurs campagnes pour aller se battre dans le sable ou la montagne en reviennent avec des cauchemars.
On notera en passant l'incongruité de cette remarque, les habitants de Falloujah ayant massivement participé au référendum sur la constitution irakienne, alors que les montagnes de Tora Bora sont depuis longtemps désertées ; à s'être fait des conclusions hâtives dans un conflit, on risque toujours de les répéter à l'envi et en dépit du monde réel.
Mais le plus important réside bien entendu dans le fait que Campiotti écarte soigneusement de son « éclairage » bien polarisé tous les éléments qui viennent contredire sa thèse des héros devenus victimes. Que les opérations de combat fassent des dégâts autres que physiques, cela va sans dire, et les vétérans des conflits méritent des soins particuliers ; mais à force de les victimiser sans se soucier de leur avis, c'est une image résolument fausse qui est propagée.
L'évolution des effectifs que connaît l'US Army ne corrobore en rien les allégations de Campiotti, et il est révélateur que ce dernier ait choisi de n'en pas toucher un mot. Durant l'année fiscale 2005, la composante active a recruté à 1% près autant de nouveaux soldats en moins qu'en moyenne les 10 années précédentes, et seule la volonté du Congrès d'augmenter ses effectifs - contre l'avis des militaires - a provoqué un manque de 7000 soldats (le Corps des Marines, lui, a dépassé ses objectifs). La Garde nationale et la réserve sont également en-dessous au niveau du recrutement. Mais ces carences sont plus que compensées par les taux de rétention, avec une moyenne de 108% pour toute l'US Army, et qui sont les plus élevés pour les unités déployées en Irak et en Afghanistan.
En d'autres termes, l'argumentation biaisée de Campiotti peut être sans autre altérée : pour chaque « héros » qui a la mort dans l'âme, plusieurs ont le cœur plus vivant que jamais et s'engagent dans une cause en laquelle ils croient. La lutte des perceptions qui entoure l'opération militaire américaine en Irak ne cessera pas de sitôt, et le spectacle des Irakiens se rendant tranquillement aux urnes doit nécessairement être compensé par d'autres images pour tenter de justifier le ton pessimiste et catastrophiste des médias.
Publié par Ludovic Monnerat le 21 octobre 2005 à 10:35
Commentaires
Sans rapport direct avec l'article de Campiotti, je suis tombé plus ou moins par hasard sur le blog de Kevin Sites, qui avait tourné les images du marine tirant sur un blessé irakien près de la mosquée de Falluja. Ces images diffusées en novembre 2004 avaient fait scandale et donné lieu à une enquête du JAG et du NCIS.
L'article de Kevin Sites au sujet de ces images est plutôt intéressant pour mieux comprendre le déroulement de cet incident et les faits y sont traités de façon relativement nuancée.
Publié par Mugon le 21 octobre 2005 à 12:24
Cet incident, quelles que soient les nuances apportées par Kevin Sites, est cependant resté emblématique de l'image duale des soldats propagée si souvent par les médias - à la fois victimes et criminels. A lui seul, cet incident isolé et non représentatif (et dont l'auteur est sorti blanchi de l'enquête) a dominé toute la deuxième moitié de la bataille de Falloujah en novembre 2004.
Publié par Ludovic Monnerat le 21 octobre 2005 à 16:59