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5 septembre 2005
Servir son pays
A une époque où le patriotisme reste largement décrié, au mieux comme une relique de temps révolus, au pire comme l'antichambre du nationalisme, et où l'institution militaire est majoritairement décrite dans les médias comme une organisation exagérément coûteuse, génétiquement répressive et vouée à l'extinction progressive, il faut être singulièrement indépendant de cœur et d'esprit pour servir son pays dans les rangs de l'armée - et aimer l'un comme l'autre. Surtout lorsque le milieu familial et social ne prédestinent pas à une telle orientation, voire y serait même plutôt opposé. Pourquoi dès lors le faire, fût-ce envers et contre (presque) tous ?
Chacun a probablement une réponse un brin différente, mais il me semble avant tout que c'est une affaire de valeurs et de convictions. S'engager à servir son pays dans les rangs de l'armée, un outil stratégique focalisé sur les pires menaces, revient à accepter définitivement la prédominance des intérêts collectifs sur les intérêts particuliers. Altruisme, sacrifice, discipline : voilà des mots qui illustrent le sens de la cause. Contribuer à la sécurité et à la stabilité d'une société donnée, surtout en-dehors des périodes où l'urgence de la situation révèle l'évidence d'une telle action, revient ainsi à s'engager personnellement, à reconnaître le rôle central de la coercition, et à accepter la lourde responsabilité d'être prêt à l'employer - ou de soutenir son emploi.
Bien entendu, de tels propos sont empreints d'un idéalisme en voie de raréfaction. Il suffit de sillonner les couloirs de l'administration militaire fédérale ou des places d'armes du pays pour voir des comportements assez différents. Il existe de nombreuses personnes pour lesquelles travailler dans le cadre de l'armée n'est qu'une manière comme une autre de gagner sa vie. L'état d'esprit extraordinaire qui pousse à se surpasser, et dont j'ai par exemple été témoin à Sumatra, n'est pas une chose commune - même parmi les militaires de carrière. C'est pourtant un petit nombre de fidèles et de passionnés, prêts à travailler sans compter et dans l'ignorance générale, qui fait d'abord avancer la machine.
A titre personnel, et sans que cela ne constitue une exception, je n'ai pas souvenir d'un seul week-end cette année où je n'ai pas - même ponctuellement - travaillé pour l'armée dans mes différentes fonctions. Même en vacances à Grimentz, même en cours à la NATO School, même en voyage en Suède, j'ai toujours accompli et transmis des travaux d'une certaine importance. J'ai certes la chance de travailler avec des chefs et des camarades qui s'engagent de façon similaire, et rien de tout cela ne serait possible sans des valeurs communes, sans une passion pour le service, sans une volonté constamment renouvelée d'agir. Ni sans une perception aiguë des risques contemporains et des menaces futures, bien entendu.
Il est cependant un secret derrière ces engagements que je prends la liberté de soulever : une bonne partie des cadres de l'armée les plus volontaires ont été antimilitaristes à une période de leur vie, des rebelles qui ont fini par trouver leur place dans le système, c'est-à -dire à y exprimer leurs facultés particulières. On peut même dire que l'état d'esprit antimilitaire volontiers propagé dans notre pays constitue une excellente sélection pour obtenir des cadres critiques et indépendants d'esprit, dont l'engagement est mûrement réfléchi et ne doit rien ou presque au mimétisme. Qui l'eût cru ? :)
Publié par Ludovic Monnerat le 5 septembre 2005 à 10:16
Commentaires
Un texte qui fait plaisir à lire. :)
Mais on ne peut hélas pas demander à chacun d'être pareillement passionné, peu importe le domaine dans lequel on évolue.
Tout au plus peut-on tenter de faire partager cette passion afin de susciter un certain enthousiasme et , dans le meilleur des cas, l'adhésion :)
Publié par fingers le 5 septembre 2005 à 10:43
« S'engager à servir son pays dans les rangs de l'armée, un outil stratégique focalisé sur les pires menaces, revient à accepter définitivement la prédominance des intérêts collectifs sur les intérêts particuliers ». (L. Monnerat)
En gros je suis d'accord avec votre point de vue. Cependant, je connais trop de personnes qui voulaient accéder au rang d'officier pour des raisons de prestige ou d'intérêt professionnel. Des officiers, qui en l'occurrence n'avaient souvent ni l'étoffe, ni le charisme nécessaire.
D'un autre côté, l'engagement au profit de l'armée, tel que vous le décrivez, dépend également de la situation des personnes concernées. En dehors d'événements ponctuels et extraordinaires, comme l'engagement à Sumatra, il est difficile de demander à un père de famille d'imposer l'armée en tant que seconde épouse!
Au sujet de la dernière réflexion, je reste quelque peu perplexe. Je connais plusieurs militaires de carrières (instructeurs, pilotes professionnels) qui n'ont jamais été des rebelles ou des antimilitaristes.
Alex
Publié par Alex le 5 septembre 2005 à 13:13
Le paradoxe de cet antimilitarisme bien de chez nous qui serait la vertu cachée, l'ingrédient secret de ses élites, me fait penser au paradoxe des Vaudois à qui on fait dire: "Pour la modestie, y en a point comme nous". Le pire, c'est qu'ils auraient raison de le dire. (Parole de Vaudois né à Neuchâtel et vivant à Genève.) Et un autre pire, c'est si vous, vous n'aviez pas raison à propos de l'armée.
Publié par Guillaume Barry le 5 septembre 2005 à 16:15
Que rajouter, si ce n'est qu'il faudrait, comme Haddock dans "Tintin au Tibet", vite faire une photo des derniers prosélytes convaincus tels que vous, quelques autres et moi-même (let's crash the party!) avant que, comme le moine tibétain, ils ne lévitent vers d'autres cieux ou ne disparaissent à la prochaine grande glaciation...
Sans rire j'apprécie en ma qualité de futur ex-sergent de voir qu'il existe encore, envers et contre tout et (presque) tous, des esprits éclairés, brillants et modérés pour qui l'usage du vocable précité (altruisme, sacrifice, discipline) peut se voir compris et appliqué sans connotation et pour qui l'armée peut être l'endroit ou se pratique une critique sociale constructive et avisée, en parralèle d'un service nécessaire à la patrie (oui, oui, la Patrie, notion évanescente à certaines oreilles...).
Puissent-ils être entendus par la masse grandissante des brebis dubitatives (quand elles ne sont pas immédiatement galeuses) qui ne voient dans ces mots que les contraintes qu'un certificat médical de complaisance se chargera de contourner ou qui rejoignent la troupe par dépit et en rangs...disons...dispersés (cf. l'autre post relatif au billet de Variable).
Par contre et là j'ai quelque peine (manque d'imagination ?), pour tous les rebelles anti-armée que j'ai pu croiser, et Dieu sait qu'ils sont nombreux au bout du lac de Genève, je crois pouvoir dire que leur aversion monomaniaque de la chose n'a permis qu'à très peu d'entre-eux de réaliser une carrière d'officier volontaire et volontariste. Autant s'imaginer un cul-de-jatte sauter à la perche...mais il existe sûrement quelques exceptions.
Joli billet en tous cas, Ludovic.
Publié par Sgt. Maeder le 5 septembre 2005 à 16:41
Je suis assez d'accord sur l'ensemble du texte. Personnellement, il y a deux maximes que j'apprécie:
La première est de dire que le GSSA est peut-être ce qui est arrivé de mieux pour l'armée suisse, à la condition d'être capable d'écouter se qui est dit et d'en tirer les leçons. Car j'ai trouvé nombres de critiques -notamment sur la manière de conduire les hommes- entièrement justifiés.
La deuxième est de dire que très souvent (il existe toujours des exceptions :-) un bon officier a été un soldat emmerdant (désolé du terme, mais il est parfois même modéré.) En effet, les qualités de décision, réflexion, indépendances d'esprit et compréhension lui permettent d'agir à sa guise... et de parfaitement savoir quand contourner l'idée générale.
Ou l'autre version: un bon officier est un soldat qui sait désobéir. Petite réflexion: dans l'empire austro-hongrois, l'une des plus hautes décorations était attribuées aux officers qui avaient désobéi sur le champs de bataille et [mais ???] remporté la victoire. Pour ceux qui avaient perdu: le conseil de guerre....
Publié par Pierre-André le 5 septembre 2005 à 21:03
"Servir son pays"
       Une question bien difficile, 17 ans après avoir terminé les 4 mois dans les pires souffrances psychologiques au sujet du pouvoir de mort offert par l'armée suisse à chacun de ces citoyens dés le premier jour. (Le merveilleux outil Fas57, robuste lourd, précis. Votre ami, le soleil noir).
       L'homme, la guerre, aujourd'hui, demain, contre, pour le contrôle des ultimes ressources fossiles, pour défendre la démocratie, pour la pureté de l'âme, pour le gain de la sagesse, pour l'histoire, pour cimenter des relations cantonales en sprechen English insiamo, gugent.
Pour la beauté d'un exercice de tirs nocturnes inter armes dans les Alpes au clair de lune, pour apporter l'obéissance, le respect, pour s'éclater devant la boîte de singe explosant, pour sauver, pour les hélicoptères lors des catastrophes, pour défendre les palabres des puissants dignitaires de la planète, pour la tradition, pour dissuader les révolutions, pour des enjeux stratégiques de plus en plus pointus dissous diffus inquiets;;;
       Toutes les justifications de "servir son pays" sont nombreuses, néga-positives.
Mais il me semble qu' actuellement nous ayons une chance grandiose, la communication... et que si à 20 ans j'avais eu accès au blog de mon capitaine en création de futur lieutenant-colonel...
       Alors "servons notre monde" contre "nos pays"
Publié par Styx le 6 septembre 2005 à 4:25
Après la disparition du service militaire obligatoire en France, 9 jeunes sur 10 sont aujourd'hui favorables à un service civique obligatoire (Baromètre de la citoyenneté TNS SOFRES - CIDEM - La Vie - France 3 - France Info). On peut servir son pays en tant que civil ou militaire. L'important est d'accepter à un moment la prédominance des intérêts collectifs sur les intérêts particuliers.
Un réserviste opérationnel.
Publié par Gérald Alexandre Roffat le 8 avril 2006 à 23:06