« La chasse à l'homme | Accueil | Face à l'ennemi intérieur »
8 août 2005
Des conscrits fragiles
La santé mentale des conscrits suisses est examinée aujourd'hui dans Le Temps d'une façon fort intéressante (accès libre), sous la plume de Thierry Meyer. Il apparaît en effet que 38% des appelés, en 2005, sont dirigés vers un psychologue lors de leur recrutement, contre 28% en 2003 et 2004. Cette augmentation n'est peut-être pas aussi significative qu'au premier abord, vu que la connaissance accrue des questionnaires introduits en 2003 autorise probablement un volume croissant de simulateurs. Malgré cela, constater que plus d'un quart des jeunes hommes de ce pays éprouvent des difficultés majeures à leur socialisation reste alarmant. Plus d'ailleurs pour la société suisse que pour son armée.
Face à cette réalité, il est tentant d'incriminer la légèreté de l'éducation, les parents absents, les écoles en panne d'autorité, pour expliquer cette proportion importante de "cas psychologiques" au recrutement. Dans l'institution militaire, on reste ainsi attaché à l'idée ancienne selon laquelle l'école de recrues vous transforme en homme, parce qu'elle vous confronte à des difficultés et à des pressions de moins en moins perceptibles dans la vie civile. Il y a beaucoup de vrai dans cette conviction, car l'expérience militaire contribue souvent à affermir les caractères et à renforcer la sociabilité des individus. Mais d'autres causes doivent être envisagées pour expliquer cette inaptitude frappante chez nombre de jeunes suisses.
La question est de savoir lesquelles. Une question que je laisse ouverte, parce qu'elle dépasse assez nettement le seuil de mes compétences...
Publié par Ludovic Monnerat le 8 août 2005 à 13:08
Commentaires
Je ne suis pas un spécialiste mais comme chaque Humain je suis doté d'un cerveau et je me permet de l'activer un peu ( on parle de 10% d'utilisation de nos cellules en moyenne ). Je pense que la santé mentale repose en grande partie ( mise à part certaine maladies spécifiques ) dans l'ordonnance des choses. Les étapes de la vie sembles bien marquées dans la nature. Je pense qu'une petite fille de 12 ans accoutrée comme Madona ou un adulte de 30 ans habillé comme un adolescent, et je sous entends un comportement mentale du même acabit n'aide pas à comprendre notre propre évolution; nous plonge dans un dédoublement de personnalité où l'image prend la place de la vrai personne. Je me demande si la solution n'est pas de redécouvrir l'Initiation en l'adaptant et en la modernisant. Les rites religieux, l'entrée à l'école et le service militaire pour faire court étaient perçus comme des étapes initiatiques pour devenir un Homme ( les Femmes avaient une initiation un peu différente ). Évidemment certains ne manqueront pas de parler du rôle néfaste du " bisutage " qui reste une déviation du fonctionnement en dominance des animaux grégaires que nous sommes.
L'initiation
http://senegaltraditions.free.fr/traditions_rituelles/initiation.htm
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 8 août 2005 à 16:21
Peut-être l'expérience militaire n'est-elle pas le seul moyen de renforcer la sociabilité des individus... J'irai même jusqu'à dire que ce n'est sûrement pas le meilleur. Ca dépend si on entend sociabilité dans le sens soumission et obéissance inconditionelles ou dans le sens conscience de l'individu de son rôle et de ses responsabilités dans une société humaine à laquelle il choisit d'appartenir.
Publié par Gwenaëlle le 8 août 2005 à 17:46
"La possibilité d'introduire, à terme, une école de recrues destinée spécifiquement aux jeunes qui sont limités dans leurs capacités physiques pourrait même être envisagée, souligne-t-on ainsi dans les hautes sphères de l'armée."
A mon avis, cela représente une option rationnelle et réaliste au regard de l'inévitable évolution de nos société et aussi à la modification des menaces face auquelles l'action brute ne représente déjà qu'une portion congrue et que d'autres compétences seront de plus en plus sollicitées.
Publié par fingers le 8 août 2005 à 18:27
C'est aussi vrai que si l'armée développait une communication un peu plus attrayante que la promesse d'une "franche camaraderie!" et "l'affermissement du carctère!", cela pourrait aussi peut-être aider un peu... :)
Enfin...
Publié par fingers le 8 août 2005 à 18:38
On devrait refaire les mêmes tests à la sortie de l'armée, qu'elle intervienne pendant l'école de recrues ou au bout des obligations militaires. Pour ma part, c'est bien en sortie précipitée de l'armée que j'ai eu besoin d'un psychologue. Et pour qu'on ne vienne pas me raconter que j'ai le psychique fragile, le résumé de ma modeste aventure: http://www.lzi.ch/lol/index.php/2005/06/08/75
Publié par LolZ le 8 août 2005 à 23:41
Il me parait prématuré de tirer des conclusions d'une augmentation sur une année (2005). Statistiquement cela n'est pas une tendance vérifiée. Tout comme une année de canicule ne reflète pas nécessairement un changement de climat.(ou même plusieurs à l'échelle de la météorologie).
Publié par El le 9 août 2005 à 1:50
Pour ma part, je crois que l'armée est en partie responsable de ce phénomène. Cette dernière, avec son nouveau système de recrutement, voulait opérer une sélection plus fine des personnes astreintes au service. En soit, cet objectif était tout à fait louable et nécessaire. Pourtant, ce nouveau procédé, qui a conduit à une augmentation du pourcentage de personnes non-astreintes, a également fait croire qu'il existait de fait un choix quant à l'accomplissement ou non du service. D'ailleurs en discutant avec des recrues potentielles, l'on se rend compte que ces dernières se comportent en tant que tel : « est-ce que je veux vraiment accomplir mon service militaire ? ». Dans ce contexte, je suis d'avis que l'on a pas assez insisté sur les devoirs liés à un non-accomplissement de ses obligations militaires.
C'est pourquoi il est absolument nécessaire de mettre en place, soit des mesures pour récompenser les personnes accomplissant leur service, soi pour désavantager clairement celles qui ne l'accomplissent pas.
Alex
Publié par Alex le 9 août 2005 à 8:45
Les chiffres paraissent délirants, mais à mon avis la proportion de simulateur doit être colossale. Je n'imagine pas un instant que 38% des appelés, fut-ce d'une année, soient des débiles bavants.
Je grossis le trait, mais ce pourcentage est énorme: si on considère que la présence sous les drapeaux n'implique pas des compétences hors du commun (ce serait contre le principe même d'une armée de milice) le taux de déchet parmi les appelés est intenable. Aucun pays ne peut survivre avec une telle proportion d'inadaptés dans sa population.
A mon avis, il y a des cohortes de jeunes qui se contentent de témoigner d'un "mal de vivre" ou d'autres "difficultés d'existence" et sont rapidement pris en charge par des psychologues complaisants, qui n'hésitent plus à les libérer de leurs obligations militaires. Certes, les jeunes en question payeront l'amende toute leur vie, mais c'est toujours quelques semaines de gagnées dans l'immédiat. Quant à la pénalité financière, elle sera relativement modeste si le jeune ne vise pas un haut salaire au cours de son existence.
L'espoir d'une vie pépère basée sur le court terme, l'esquive absolue de toute obligation, et l'absence d'ambition: voilà le jeune Suisse d'aujourd'hui, tel que je le rencontre souvent. Peut-être aussi qu'un certain nombre d'entre eux estiment qu'avant longtemps, l'armée de milice sera abolie et qu'ils seront du coup libérés de leurs amendes.
Je crois vraiment qu'il y a des milliers de jeunes suisses qui font ce raisonnement. C'est rassurant quant à leurs capacités intellectuelles, mais inquiétant quant à leurs valeurs.
Publié par Stephane le 9 août 2005 à 8:50
"Les chiffres paraissent délirants, mais à mon avis la proportion de simulateur doit être colossale. Je n'imagine pas un instant que 38% des appelés, fut-ce d'une année, soient des débiles bavants."
Je suis entièrement d'accord avec Stephane: une bonne proportion des exemptés sont de parfaits simulateurs, et je le sais d'expérience ( certaines anecdotes sont d'ailleurs particulièrement croustillantes :)) ).
Mais c'est vrai aussi, à mon avis, qu'une grande partie de la faute incombe à l'armée elle-même, qui, malgré l'exception notable que représente ce blog, conserve un défaut de communication hérité d'on ne sait quand et certainement du à la conscription obligatoire, qui lui évite la peine d'en expliquer l'utilité, en dehors de quelques poncifs lourdeaux de certains politiciens.
Il me semble que le sens de la "défense" passe mal dans la population parce que des notions qui semblaient encore élémentaires il y a 25 ans ont perdu leur signification ou sont noyées dans une telle complexité qu'il est difficile d'en tirer un message un message simple et mobilisateur, ou à défaut d'être mobilisateur, au moins d'en accepter la nécéssité bon gré mal gré.
Actuellement, si on ne s'interesse pas un minimum par soi-même ( évidemment, dans le cas ou nos obligations ne nous y plonge pas de fait ), quitte à se transformer en géostratège très amateur du samedi soir, l'utilité et le sens de la défense ne peut que nous échapper, noyé dans le maëlstrom des messages contradictoires, dans le flux de l'information permanente ou des médias plus ou moins pris en otages par différents lobbys.
Il est du rôle non seulement de l'armée, mais de toutes les institutions liées à la sécurité, d'exposer leurs réflexions et stratégies, non seulement quand un évènement tragique se produit, mais aussi le reste du temps. Parce si nous sommes effectivement en guerre et que l'on exige de la population un certain civisme, il faut au minimum leur expliquer pourquoi. Sans quoi, il ne fait pas un pli que l'armée de milice finira par botter en touche et que les réactions les plus irrationnelles et les positions politiques les moins défendables mèneront le bal.
Actuellement, le rôle d'un blog comme celui-çi est d'utilité publique et devrait plus être la règle que l'exception.
Cela va de soi que ces réflexions n'engagent que moi...
Publié par fingers le 9 août 2005 à 10:18
Merci à fingers pour ses remarques concernant ce blog. Il est exact que la communication, au niveau militaire, peine à sensibiliser la population aux problèmes de sécurité et de défense, du moins en-dehors des votations populaires traitant du sujet. En même temps, il faut reconnaître que l'absence de cap stratégique au plus haut niveau de l'Etat ne facilite pas les choses, lorsqu'il s'agit d'expliquer des décisions dont les effets portent souvent sur plusieurs décennies... Bref, l'armée souffre considérablement de l'absence de perspective à long terme et de la focalisation sur l'immédiat.
Publié par Ludovic Monnerat le 9 août 2005 à 11:09
Le retour d'expérience doit aussi y être pour quelque chose: je ne me souviens pas, à l'aube de mes 18 ans, avoir vu ou entendu des témoignages d'ex-recrues dépeignant objectivement leur expérience sous les drapeaux (il est vrai que les blogs n'existaient pas encore!). Si, par exemple, au recrutement on avait eu 2 ou 3 personnes ayant terminé leur école de recrue très récemment (des gens dont on puisse se sentir proche; plus que des officiers de recrutement), je pense que ça aurait pu, en partie, faire tomber cette angoisse (fortement immaginaire) de cet inconnu qui pouvait nous attendre.
Publié par LolZ le 9 août 2005 à 12:10
Bon, il va de soi que l'expérience sera décrite sensiblement différemment selon le milieu dans le lequel on évolue au moment du recrutement. Je me souviens même que beaucoup se partagaient les bons plans et les meilleures combines pour se faire exempter le plus rapidement possible.
Et il va sans dire qu'ils étaient tous parfaitement sains de corps et d'esprits! :))
Bon, on est plus dans les années 80, et la situation a passablement changé. Mais je constate chez les plus jeunes ( ceux que je côtoie, du moins... ) une incompréhension complète de leur position dans la collectivité.
Publié par fingers le 9 août 2005 à 12:35
Pour Ludovic Monnerat
Vous ne vous êtes pas exprimé au sujet du nouveau système de recrutement (voir ci-dessus)
Alex
Publié par Alex le 9 août 2005 à 12:54
"... Il apparaît en effet que 38% des appelés, en 2005, sont dirigés vers un psychologue lors de leur recrutement... "
Je suis stupéfait de la réaction que suscite ce billet. Quoi de plus normale que 38% aient besoin de rencontrer un Psy. On est très proche en Occident de ce qui avait été prédit de 3/5 personnes à avoir des problèmes de santé mentale ( cela n'a rien à voir avec les cinglés baveux ). Je pense que vous avez un sacré problème avec " l'usage " des Psy en Europe ( ce que je n'ai pas de mal à comprendre ;-) En Amérique du Nord on rencontre plus souvent son Psy que sa Belle Mère et pour rester dans le militaire, avant, après et pendant les missions les soldats peuvent rencontrer leur Psy et ça n'en fait pas de plus mauvais soldats. L'Armée Canadienne traite beaucoup de problèmes d'alcoolisme, de drogue, de harcèlement et de trouble de comportement divers qui minent les familles et la sécurité du groupe! La Police au Québec a le même problème avec une épidémie de suicides. Vouloir expliquer par une simulation outrancière cette statistique, c'est un peu léger et l'argumentation est proche de la rumeur de caserne que j'ai vécu durant mon service militaire ils y a des dizaines d'années ( l'armée avait droit à 7% de casse, il nous donnait du bromure etc. ). Pas très sérieux mais ça nous préparait peut être à se méfier de la désinformation ;-).
Roméo Dallaire
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/tetes/dallaire/01.html
L'Enquête de Statistique Canada sur la santé mentale dans les Forces canadiennes
http://www.forces.gc.ca/health/information/op_health/stats_can/frgraph/MH_Survey_f.asp
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 9 août 2005 à 16:17
Pour Alex :
Je ne pense pas que le système de recrutement soit le seul responsable de la fausse perception qui circule quant à l'obligation de servir : les discussions politiques à ce sujet, notamment dans la bouche de Samuel Schmid, y ont également concouru. Entièrement d'accord pour les mesures à prendre en vue de récompenser ceux qui servent leur pays et de punir ceux qui y renoncent, pour autant naturellement que cette punition soit adaptée.
Maintenant, s'il est clair que le nouveau mode de recrutement, davantage à l'écoute des conscrits, favorise la détection de cas psychologiques réels comme simulés, il faut également remarquer que le meilleur aiguillage des jeunes produit des effets très positifs dans les écoles. A mon sens, il faut donc évaluer le mode de recrutement comme la première étape de toute la formation de base donnée aux conscrits, et inclure ses effets sur celle-ci.
Publié par Ludovic Monnerat le 9 août 2005 à 19:39
Pour LolZ : excellente idée que celle du retour d'expérience avec de vraies ex-recrues, et pas des colonels qui n'ont plus vécu dans les écoles depuis des années. Cette notion d'angoisse par rapport à la vie militaire est souvent sous-estimée, car étouffée par les inclinations typiques de la gent masculine, alors qu'elle joue un rôle-clef dans l'intégration et la discipline. A ce sujet, rappelons que la discipline consiste à privilégier les intérêts collectifs aux intérêts individuels, et non à exiger une obéissance servile et absolue...
Publié par Ludovic Monnerat le 9 août 2005 à 19:42