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11 mai 2005

Médias et terrorisme

Le New York Times a publié hier une colonne de John Tierney qui aborde la question du rôle des médias face au terrorisme, à propos de l'Irak, et de la couverture très importante qu'ils accordent aux attentats suicides. Ses réflexions sont succinctes, mais vont au coeur des questions que devraient se poser les journalistes en couvrant ce type d'événement, aussi dramatique que ponctuel :

When the other reporters and I finished filling our notebooks, we wondered morosely if we could have done a service to everyone - victims, mourners, readers - by reducing the story to a box score. We all knew the template: number of victims, size of the crater, distance debris had been hurled, height of smoke plume, range at which explosion was heard.
There was no larger lesson except that some insurgents were willing and able to kill civilians, which was not news. We were dutifully presenting as accurate an image as we could of one atrocity, but we knew we were contributing to a distorted picture of life for Iraqis.

Compte tenu des intérêts propres aux médias, comment remédier à cette distorsion potentielle qui découle de la publicité accordée aux attentats terroristes? John Tierney y répond par une analogie à la lutte contre la criminalité, et affirme que le fait de moins en parler finit par permettre de moins se focaliser sur les détails, et d'acquérir une vue d'ensemble garante d'un réalisme accru :

I'm not advocating official censorship, but there's no reason the news media can't reconsider their own fondness for covering suicide bombings. A little restraint would give the public a more realistic view of the world's dangers.
Just as New Yorkers came to be guided by crime statistics instead of the mayhem on the evening news, people might begin to believe the statistics showing that their odds of being killed by a terrorist are minuscule in Iraq or anywhere else.

Ce conseil me semble relever d'un optimisme un peu trop exacerbé pour être applicable. D'une part, la concurrence entre médias - que le progrès technologique ne fait qu'aviver - provoque automatiquement une spirale sensationnaliste. D'autre part, les journalistes ont parfois des inclinations politiques, voire des partis pris idéologiques, qui les amènent à favoriser la couverture des attentats terroristes pour démontrer la justesse de leurs opinions - le cas de l'Irak étant à cet égard exemplaire.

Mais je crois avant tout que John Tierney se trompe d'époque : les médias ont perdu le monopole de l'information, et les groupes terroristes eux-mêmes ont désormais la capacité de produire et diffuser leurs propres contenus médiatiques pour multiplier l'effet de leurs actions. A quoi bon inciter les médias d'un pays donné à l'autocensure si n'importe quel internaute peut avoir accès aux images et aux vidéos spectaculaires mises en lignes par les terroristes? Un média qui s'escrime à ignorer ce que sait son public n'a que peu d'espoir de survie économique.

Par définition, les médias sont otages des méthodes terroristes. Tout ce que l'on peut exiger d'eux, c'est d'éviter de se transformer en acteur d'un conflit, et de replacer les événements isolés dans le contexte dudit conflit.

COMPLEMENT I (12.5 1000) : Bien entendu, lorsque l'otage y met du sien, terroristes et médias forment un duo bien rôdé. C'est ce que l'on peut remarquer ces jours : une augmentation des attentats qui frappent avant tout les Irakiens, et dont on se demande bien quelle utilité ils peuvent avoir, est aussitôt interprétée par la presse comme le signe d'un échec - en fermant les yeux sur tous les autres facteurs du conflit. Et on entend à nouveau parler du "bourbier irakien", à la faveur d'un pic de violences qui, selon toute probabilité, ne devrait pas durer. Visiblement, John Tierney et ses interrogations appartiennent à une ultra-minorité...

Publié par Ludovic Monnerat le 11 mai 2005 à 13:50

Commentaires

C'est un dillemme terrible pour les médias et en particulier pour les télévisions: je me souviens de m'être fait la remarque en voyant les images de l'attentat de Madrid.

Après la première déflagration, concrète et meurtrière, arrive, via les tubes cathodiques, le souffle de la seconde, psychologique celle-là , mais lourde de conséquences.

Mais on peut aussi constater que ce problème peut être vite résolus selon la situation ou les circontances de la politique intérieure. Certaines informations (évidemment, de moindre importance qu'un attentat de grande envergure ) seront pudiquement tues pour, par exemple, "ne pas faire le jeu du front national".

D'autres informations peuvent être biaisées ( genre: un garçon de 36 ans fait feu sur/attaque/insulte* ) afin d'influencer plus ou moins inconsciemment le destinataire ou de d'empêcher de tirer les conclusions qui s'imposent, ou alors même simplement interdite de récolte ( ex. l'interdiction en France de prendre en compte la confession dans les statistiques ).
Dans ces cas précis, les médias officiels ont plutôt bien joué le jeu.

*Authentique! Prendre les gens pour des imbéciles à ce point a quelque chose de presque touchant.

Publié par fingers le 11 mai 2005 à 18:27

Au sujet de la manipulation médiatique, il y a un débat intéressant en France pour l'instant à propos du référendum pour la constitution européenne (un non-sens, à mon humble avis), en ce sens que les partisans du oui ont eu droit à 60 % du temps de diffusion lors des débats, contre 30 % pour les partisans du non...

Les médias cèdent à notre époque au sensationnalisme le plus primaire, et il est vrai que cette mode dessert les terroristes. Qu'un attentat ait lieu quelque part en Irak et il aura automatiquement droit a au moins 3 minutes de reportage sur toutes les chaines françaises. Je suppose qu'il en est de même en Suisse. C'est proprement stupide de la part des médias de relayer ce genre de faits, qui depuis longtemps n'intéresse plus personne et rend l'action terroriste utile aux yeux des auteurs. Car qu'est-ce qui est important dans le terrorisme? Ce n'est pas le nombre de victimes, c'est le nombre de gens à qui l'ont fait peur. Et grâce à nos médias, ces crapules touchent bien plus de monde qu'ils ne pourraient l'espérer...

Publié par Ares le 11 mai 2005 à 23:43

Il me semble plutot qu'actuellement l'Irak ne fait plus les gros titres des journaux Français. A par le rappel journalier de la captivité des otages, les reportages se font plus rares qu'il y a quelques mois.

Publié par Frédéric le 12 mai 2005 à 15:51

Vous trouvez? Depuis la mise en place du nouveau gouvernement (et un peu avant aussi, certes), l'Irak est secoué par une recrudescence des attentats-suicides. Pas un journal ne passe sans en parler...

Publié par Ares le 12 mai 2005 à 20:11

Vous devriez aller faire un petit tour en Irak, je pense que votre vision positive de la situation changera subitement. C'est trop facile d'analyser à 3000 kilomètres de distance. Abandonner vos livres ! et enfiler le costume du reporter courageux...
A bon entendeur.

Publié par kari le 7 juin 2005 à 14:23