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9 mai 2005
Le blitzkrieg du XXIe siècle
Dans la pensée militaire contemporaine, la notion de guerre éclair reste largement un mythe : les campagnes foudroyantes effectuées par la Wehrmacht en Pologne, en Belgique, en France, dans les Balkans et en Russie occidentale sont devenues synonymes de victoires écrasantes aux pertes totalement disproportionnées, accomplies par des forces en tous points supérieures et parvenues intactes ou presque au terme de l'attaque. Bien entendu, il n'en est rien : selon cette source, la campagne de Pologne a par exemple entraîné pour l'Allemagne la perte de 13'100 hommes (tués et disparus), 217 chars et 564 avions (25% des appareils engagés), alors que la campagne de France a coûté à la Wehrmacht environ 45'000 hommes et 683 chars. Le choc de la défaite et de la surprise expliquent largement cette image persistante d'un succès facile, qui reste parfois colportée (affirmer que l'armée française n'avait pas la volonté de se battre en mai et juin 1940 est une contre-vérité historique).
Pourtant, la perspective d'une offensive rapide et décisive reste au cœur des doctrines d'emploi, et pas seulement en Occident. La faculté d'exploiter à fond les faiblesses de l'adversaire tout en protégeant entièrement les siennes, afin d'atteindre au plus vite la décision, représente toujours un idéal opérationnel presque impossible à atteindre. La dissymétrie tragique que les Panzerdivisionen ont occasionnée entre 1939 et 1942 continue de frapper les imaginations, même si les masses blindées et l'appui aérien rapproché disparaissent chaque année un peu plus des arsenaux européens depuis la fin de la guerre froide. Ne serait-ce que pour trouver le moyen de s'en prémunir, il est toujours nécessaire de se demander de quoi le prochain blitzkrieg sera fait.
Ce qui est certain, c'est que les formes classiques de la guerre asymétrique, comme le terrorisme, la guérilla et la non-violence, n'en constituent pas les bases. Ces méthodes de combat nécessitent au contraire une grande amplitude temporelle, et permettent avant tout d'éviter la défaite en provoquant un épuisement de l'adversaire susceptible d'autoriser, le moment venu, une offensive amenant la victoire. Les insurrections modernes répondent ainsi à une manœuvre, mise à jour et codifiée par Mao, qui transforme la force en faiblesse, construit patiemment un soutien populaire et parvient progressivement au but. Il a fallu près de 30 ans au Nord-Vietnam pour expulser les Français et les Américains, puis s'emparer de Saigon et parachever ses conquêtes - en laissant un pays détruit et appauvri qui aujourd'hui aspire à se rapprocher des Etats-Unis.
Des formes de guerre nouvelles sont nécessaires pour provoquer l'effondrement rapide d'un pays, d'une armée ou d'une société, et ainsi répéter les grandes conquêtes que l'Histoire a connues - d'Alexandre le Grand à Hitler, en passant par César, Gengis Khan, Cortez ou encore Napoléon. A l'heure de la montée en puissance de l'individu, il est probable que la conquête militaire traditionnelle, passant par l'élimination des forces adverses ou des hommes capables de combattre, nécessite des armées impossibles à constituer, à déployer et à soutenir, ou des pratiques génocidaires suscitant aussitôt l'opposition de la planète entière. De plus, la division toujours plus affirmée du pouvoir fragilise les Gouvernements, mais renforce les sociétés et rend inutiles les actions de décapitation. Prendre Bagdad et capturer Saddam Hussein n'a pas suffi aux Etats-Unis pour l'emporter en Irak.
L'espace cybernétique semble fournir un terrain favorable à une guerre-éclair renouvelée. Pourtant, le mythe du « Pearl Harbour numérique » a bien perdu de sa superbe depuis le 11 septembre, et le développement exponentiel des réseaux informatiques réduit d'autant le nombre des individus et des organisations prêts à s'en priver. Les vulnérabilités dues à la technologie produisent une symétrie bien trop dissuasive. Par ailleurs, l'espace médiatique connaît actuellement un morcellement trop avancé, sous la forme des nouveaux médias, pour offrir la possibilité d'un succès rapide et décisif ; le domaine des perceptions et des représentations est en évolution constante, et rien n'y est jamais acquis. La réécriture de l'histoire à des fins politiques, très en vogue de nos jours, n'est que l'expression outrancière d'un phénomène d'interprétation trouvant son origine au plus profond de l'esprit humain. Impossible d'espérer un knock-out par ces seuls biais.
Les conflits de notre siècle sont avant tout caractérisés par leur dimension sociétale : ce sont toutes les ressources d'une société donnée, mobilisée à la mesure des enjeux perçus en vue d'un emploi offensif ou défensif, qui entrent en ligne de compte. Mener une guerre éclair suppose donc l'obtention d'une supériorité décisive dans un ou plusieurs des 4 domaines dont découlent la force d'une collectivité donnée : la matière (facteurs physiques), la psyché (facteurs psychologiques), la morale (facteurs éthiques) et le savoir (facteurs cognitifs). Et si les armées ne sont plus les outils décisifs par excellence, d'autres armes doivent être trouvées. Lesquelles ? Dans notre monde interconnecté, l'information sous sa forme la plus aboutie promet certainement d'être le vecteur décisif, et la conquête des esprits remplacer celle du territoire. Mais quelle information, ou plutôt quelle somme d'informations ? Probablement celle qui touche le spectre le plus large, qui forme à la fois une idée, une valeur et un sentiment. Une fin en soi. Un aboutissement universel. Un idéal, pour tout dire.
Ce n'est pas la première fois que j'avance cette notion. Peut-être même assistons-nous aujourd'hui à une guerre éclair inspirée par l'idéal démocratique, dont l'action de l'administration américaine n'est qu'un facteur déclencheur parmi d'autres, et dont les espaces conflictuels se confondent à la planète entière. Cependant, l'évolution et l'élargissement des armes est un processus constant, largement imprévisible, et il ne faut pas exclure le retour d'une ère où la suprématie militaire puisse revenir au cœur des rapports de force. Peut-être l'intelligence artificielle sera-t-elle le pivot de la puissance future!
NB : L'articulation quaternaire esquissée ci-dessus est décrite dans un article stratégique de fond qui sera bientôt publié dans la Revue Militaire Suisse.
Publié par Ludovic Monnerat le 9 mai 2005 à 20:34
Commentaires
" Dans notre monde interconnecté, l'information sous sa forme la plus aboutie promet certainement d'être le vecteur décisif, et la conquête des esprits remplacer celle du territoire. "
Si la conquête des territoires se fait en détruisant la matière il est une chose qu'on ne peut faire disparaître, c'est bien l'esprit. L'esprit de rancœur, de haine, de revanche ressurgit plusieurs générations plus tard et même perdure pendant des centaines d'années. Mais l'esprit peut se transcender pour donner des périodes de renaissance extraordinaires. Trouver la recette pour déclencher de tels moments donnerait une arme " propre " d'une portée difficile à imaginer. C'est peut être le nouveau rêve américain, un rêve qu'une société numérique peut favoriser.
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 10 mai 2005 à 4:25
Il est temps de commencer à réaliser ce rêve, oui.
Résister à la pensée unique. Refuser les solutions toutes faites - politiques, religieuses, sociales - et croire enfin en la créativité inhérente à la vie qui nous anime et nous habite. Tous. Et Toutes. De la même manière. Au fond.
Croire en la vie, en la réalité de ce miracle permanent. Renoncer aux réconforts illusoires de la réflexion rigide et bâtir des structures sociopolitiques enfin souples, organiques. À l'image de la vie, de la réalité, de la vérité, de la raison.
Publié par ajm le 10 mai 2005 à 9:37
Utopie, utopie...
Publié par Ares le 10 mai 2005 à 13:14
tss, tss... Élan, vision d'avenir, sans lesquels nous brouterions encore.
Publié par ajm le 10 mai 2005 à 14:05
Désolé pour ce commentaire tardif!
"Mener une guerre éclair suppose donc l'obtention d'une supériorité décisive dans un ou plusieurs des 4 domaines dont découlent la force d'une collectivité donnée "
Nous parlons donc bien de guerre, de conflit ouvert ? Si oui, alors croire que la transcendance d'une idée, d'un idéal puisse vaincre l'Ennemi, c'est faire preuve d'un optimisme à tout épreuve, c'est ré-écrire Utopia.
N'oublions quand même pas que quand l'ennemi est habillé des costumes de l'abjection, de la haine raciale, des "ismes" en tous genres, il n'y a pas de place pour le dialogue, pour le raisonnement. On ne peut pas vaincre par l'intelligence un individu (ou groupe) inintelligent.
Par contre, et là je suis d'accord, faire usage des idées, d'un idéal dans le cadre de psyops (tactique) ou d'information warfare (stratégique)pourra (parfois)accélérer la victoire par l'adhésion des populations ou des combattants ennemis à nos principes démocratiques.
Ceci étant dit, développer cette réflexion contribuera certainement à améliorer le travail en IW et psyops se qui se traduira positivement par une réduction des pertes humaines sur le terrain. Prospective largement utile.
B.
Publié par B. le 10 mai 2005 à 20:53
Je suis très loin d'être tenté par les utopies. Ma réflexion visait plutôt à se demander, puisque la guerre éclair classique est pour l'instant caduque, comment il était possible de lui trouver des substituts, au besoin dans d'autres espaces que le domaine physique. Le principal avantage des actions dans l'infosphère est justement de pouvoir éviter une guerre ouverte, d'être plus facilement déclenchées et menées par les dirigeants politiques. La séduction n'est-elle pas la méthode la plus subtile pour prévenir un conflit (je parle à l'échelon stratégique, mais les parallèles avec la vie privée restent ouverts :)) ?
Publié par Ludovic Monnerat le 10 mai 2005 à 21:09
J'allais justement compléter mon commentaire estimant qu'il n'était pas assez juste: car en effet il n'y a pas plus beau combat que celui que mène l'intelligence contre la force brutale. En cela, je rejoins l'idéal et l'utopie (une utopie, n'est pas une notion négative) de Ludovic. Je m'associe également au parallèle avec la vie privée. Mea Maxima culpa ;-))
Publié par B. le 10 mai 2005 à 21:21
est ce que quelqu'un peu m'aider sur ce sujet svp ?
==> "Mon livre avance.J'n suis content...Je crois que ce sera une bonne revanche de l'intelligence contre la force brutale.Encrier contre canon.
L'encrier brisera les canons. "
V.Hugo écrivait à sa fille Adéle lui présantant les Châtiments.
Selon vous,toute oeuvre littéraire est-elle , doit -elle être un "encrier"contre un "canon" ?
Merci de me répondre ce que vous pensez de cela,sur ce site !
Publié par Lucie Daventure le 27 décembre 2005 à 13:04
J ai le meme sujet selon vous, tt oeuvre littéraire...canon? donnez moi des pistes svp
Publié par melodie le 17 octobre 2007 à 19:07
est ce que quelqu'un peu m'aider sur ce sujet svp ?
==> "Mon livre avance.J'n suis content...Je crois que ce sera une bonne revanche de l'intelligence contre la force brutale.Encrier contre canon.
L'encrier brisera les canons. "
V.Hugo écrivait à sa fille Adéle lui présantant les Châtiments.
Selon vous,toute oeuvre littéraire est-elle , doit -elle être un "encrier"contre un "canon" ?
Merci de me répondre ce que vous pensez de cela,sur ce site !
Publié par visiteur le 8 novembre 2007 à 18:03