« Une merveille sur roues | Accueil | Un réveil douloureux »
4 mai 2005
La vérité sur Abu Ghraib
C'est hier qu'a eu lieu l'audience en cour martiale de la soldate de première classe Lynndie England, dont les portraits souriants en compagnie de prisonniers dévêtus restent l'un des symboles du scandale d'Abu Ghraib. Sous serment, la jeune femme a confirmé ce que l'on savait depuis le début de cette affaire, à savoir que les maltraitements infligés ne découlaient pas d'ordres reçus, mais bien de la bêtise crasse de leurs auteurs et de l'indiscipline régnant dans l'établissement :
A clique of U.S. soldiers tormented Iraqi detainees at Abu Ghraib prison for "amusement," not for any authorized military mission, Pfc. Lynndie England testified Monday as she pleaded guilty to seven abuse-related charges. "I had a choice, but I chose to do what my friends wanted me to," the 22-year-old reservist said at her court-martial. "I was just yielding to peer pressure."
[!]
England also backed off from earlier assertions that the tormenting of detainees was part of an effort to soften them up for intelligence agents. Although guards were told to deprive detainees of sleep, manipulate their meal schedules and force them to maintain awkward positions to cause stress, England said, "no, sir," when asked if any of her crimes were done to help interrogators.
Ce témoignage ruine les théories élaborées depuis une année sur le prétendu usage systématique de la torture dans la prison d'Abu Ghraib, et sur des responsabilités montant jusqu'au plus haut niveau de la hiérarchie militaire. L'enquête commencée par l'US Army 4 mois avant la publication des images qui ont provoqué le scandale a donc fini par démentir les nombreuses assertions publiées dans les médias, en particulier ceux qui s'étaient passionément opposés à l'opération Iraqi Freedom. C'est sans doute ce qui explique la discrétion de la presse française ce matin, puisque Le Figaro et Le Monde se contentent de décrire les propos de Lynndie England sans en souligner les conséquences, et surtout le silence assourdissant de la presse romande. Le lecteur de ce coin de pays n'apprendra pas dans son journal que ces histoires de torture à Abu Ghraib, dans le but d'extorquer des renseignements, ne sont finalement que du vent. Sans commentaire.
Pour ma part, je constate que mon analyse des faits mise en ligne voici presque une année, et largement basée sur le rapport d'enquête de l'US Army, était conforme à la réalité que les procès ont révélée. Dans le cadre contraire, je l'aurais signalé. L'honnêteté intellectuelle reste une valeur sûre.
COMPLEMENT I (6.5 0820) : Le procès de Lynndie England a été stoppé et l'accord annulé lorsque son ex-amant, Charles Graner, a présenté un témoignage contradictoire. Il n'en faut pas plus à Alain Campiotti, le très militant correspondant du Temps aux Etats-Unis, pour retomber dans ses travers habituels et interpréter cette décision d'un juge militaire comme l'échec d'un Pentagone désireux de dissimuler l'implication de la hiérarchie (accès payant) :
C'est un coup dur pour le Pentagone. Le procès de Lynndie England, à peine ouvert, a explosé en plein vol. La soldate au visage buté, rendue célèbre par la photo du prisonnier irakien nu qu'elle tenait en laisse à Abou Ghraib, est libre dans sa caserne texane. Le juge de la Cour martiale devant laquelle la jeune femme de 22 ans plaidait coupable a vite compris que sa méthode de défense était incohérente, et il a annulé mercredi toute la procédure. Mais si Lynndie England n'est pas coupable (pour le moment), qui l'est? Ceux qui donnaient des ordres? C'est la réponse que la hiérarchie veut écarter à tout prix.
C'est donc sur la base d'un seul témoignage, celui de Charles Graner, contre de nombreux autres et plusieurs enquêtes détaillées, que Campiotti s'accroche envers et contre tout à sa théorie de la conspiration. Sans d'ailleurs accorder la moindre attention à la présomption d'innocence, qui s'applique aux militaires comme aux civils (mais un militaire n'est-il pas déjà coupable dans l'esprit de ceux qui parlent de "civils innocents" ?). Et la conclusion de son médiocre papier montre bien la perte de réalisme que produit son obsession anti-américaine :
"[T]outes ces subtilités judiciaires ne peuvent pas cacher cette dure vérité: à Abou Ghraib, les Conventions de Genève, que l'armée américaine prétendait respecter, ont été violées par tous les Américains, quel que soit leur grade."
Tous, et quel que soit leur grade? On n'attendra jamais de Campiotti qu'il justifie ses hyperboles pathologiques...
Publié par Ludovic Monnerat le 4 mai 2005 à 10:53
Commentaires
Pourtant, le FBI fait état de méthodes d'interrogatoires "humiliantes" à Guantamano de la part des SR militaires.
Publié par Frédéric le 4 mai 2005 à 11:17
Vous enterrez bien vite un problème qui semble avoir d'autres ramifications.
Des critiques ont également été émises au sujet des conditions de détention de certains détenus Afghans. D'autre part, il ne semble pas que les méthodes utilisées à Guantanamo soient très humaines. Enfin, à plusieurs reprises il a été annoncé que les Américains auraient remis des prisonniers à des pays moins regardants en matière de droits de l'homme.
Dans ce contexte, je pense que cette question est loin d'être réglée et que l'avenir risque de nous réserver quelques (mauvaises) surprises.
Salutations
Alex
Publié par Alex le 4 mai 2005 à 12:26
Je partage l'avis d'Alex. Cette question semble suffisamment obscure pour réserver quelques désagréables surprises.
Nous verrons bien...
Publié par fingers le 4 mai 2005 à 12:40
Je tiens juste à préciser que je n'ai traité que le cas d'Abu Ghraib. Il se passe des choses très différentes, probablement pas à Guantanamo, mais dans des emplacements encore plus reculés où les Etats-Unis (souvent par l'entremise de la CIA) "sous-traitent" leurs détenus à des services de renseignements alliés moins regardants... Mais cela n'a rien à voir avec les agissements des réservistes de la 372e compagnie de police militaire US. C'est une tromperie médiatique que je voulais mettre en évidence, pas la problématique des prisonniers de guerre dans un conflit non conventionnel.
Publié par Ludovic Monnerat le 4 mai 2005 à 12:58
« Mais cela n'a rien à voir avec les agissements des réservistes de la 372e compagnie de police militaire US. »
Vous semblez bien sûr de vos informations ou de vos assertions. Autrement dit, êtes-vous certain que les éléments évoqués ci-dessus sont totalement indépendants les uns des autres. Ne retrouve-t-on aucune personne ayant joué un rôle dans plusieurs structures différentes ?
Même en partant de l'hypothèse que votre affirmation est correcte, on peut se demander si certaines pratiques utilisées ailleurs auraient pu influencer les soldats de la 372e compagnie.
Salutations
Alex
Publié par Alex le 4 mai 2005 à 13:20
Comparez seulement le personnel impliqué, les prisonniers maltraités et les unités responsables à Abu Ghraib. Les sévices nocturnes commis par une bande de demeurés, non professionnels et situés au fin fond de la hiérarchie, ont une importance anecdotique dans le cadre des interrogatoires menés par les services de renseignements. Et les origines de certaines pratiques ont été parfaitement localisées : elles proviennent des prisons d'Etat américaines.
Publié par Ludovic Monnerat le 4 mai 2005 à 13:35
Je ne crois pas à la thèse de l'action individuelle. Certes, il y avait un inadmissible relâchement à Abu Ghraib; certes, le petit ami de Lynn England était lui-même gardien de prison dans le civil et n'avait pas froid aux yeux; certes, le témoignage de l'accusée indique qu'elle serait une des seules responsables.
Mais n'oublions pas qu'elle a plaidé coupable et que compte tenu du système judiciaire américain, tout est calcul, selon les possibilités de peine. Le témoignage d'un accusé ne peut pas être pris pour argent comptant - sinon, à quoi servirait le procès? Il suffirait de faire jurer sur la bible et, si j'ose dire, la messe serait dite.
Certes, Lynn England plaide coupable, mais il reste à la Cour à déterminer quelle est sa part de responsabilité, son initiative, ses complicités. Et sur chacun de ces points des accords ont bien pu être trouvés entre la défense et le procureur.
Compte tenu de la caractéristique des mises en scène, particulièrement offensante pour la sensibilité arabe, je me tiens à l'explication que je donne dans mon blog et qui me parait toujours la plus plausible jusqu'ici - une complicité entre les gardiens de prison et des interrogateurs détachés sur place.
http://www.stephane.info/show.php?code=weblog&direct=38&lg=fr
Publié par Stéphane le 4 mai 2005 à 16:26
Cette complicité est bien un élément que j'ai mentionné dans mon analyse l'an dernier. Il y a eu une collusion coupable entre la police militaire et le renseignement militaire dans la prison d'Abu Ghraib. Mais cette complicité s'est produite aux échelons inférieurs, entre gens qui se côtoyaient en raison de leurs activités, et ne découlait pas d'une méthode systématique, pensée et appliquée par la hiérarchie militaire. Une année après la publication des faits, le contraire a été maintes fois brandi sans jamais être démontré. Et je ne pense pas que les déclarations sous serment puissent être écartées aussi facilement, sous le prétexte qu'elles s'inscrivent dans un accord avec l'accusation. Tout n'est pas dit, mais ce qui est dit a de grandes chances d'être vrai.
Enfin, pour en revenir à la conclusion de mon billet, c'est bien le silence des médias à ce sujet qui est troublant.
Publié par Ludovic Monnerat le 4 mai 2005 à 17:00
Bon on va parler sous la torture...du commerce porno. Au tout début de cette affaires j'ai voulu émettre une opinion mais je ne l'ai pas fait car je n'ai aucun documents à mettre sur la table. Je reçois environ 500 spams par jour que je trie avec MailWasher. Comme j'ai du courrier qui se glisse parmis ceux-ci je suis obligé de lire au moins les titres. J'avais remarqué que des spams porno proposaient des photos de prisonniers militaires garanties venant d'Irak!Comme par hasard ces spams ont disparus suite à l'affaires Abu Ghraib. Je ne tire aucune conclusion car évidemment je n'ai gardé ni les spams, ni les dates. Évidemment ma boule de cristal ne m'avait pas prévenu du scandale à venir. Néanmoins j'abonde dans le sens de Ludovic et j'avais dit à des amis à l'époque du scandale que ces gestes n'avait rien de militaire et que cette civilisation infantile et pornographique suffisait à me convaincre que rien n'avait été planifié et que c'était presque une injure à l'intelligence des militaires qui ont quand même des méthodes plus sophistiquées ( je n'entre pas dans la légalité de leurs utilisations mais je ne suis pas dupe ! ) . Je vous livre l'adresse de Radio Canada sur la vie sexuelle et les relations " porno " de nos chérubins en Amérique du nord : http://www.radio-canada.ca/Medianet/CBF/CestBienMeilleurLeMatin200505040735_1.asx
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 4 mai 2005 à 17:13
On parle ici d'"humiliation", pourquoi les médias n'ont rien dit au sujet de ce qui se passait sous Saddam, c'est à dire des TORTURES? Ce qui se passe en Syrie, Iran, Pakistan, Egypte, Soudan etc?
Tout ceci a l'air d'humanitaire facile et unilatéralement sélectif appartenant à ce que plusieurs ont déjà dénoncé comme de alter-islamisme, un choix qui tend plus à une campagne de la guerre psychologique (reprennant les méthodes soviétiques) qu'à la défence des droits de l'homme.
Publié par Mikhaël le 4 mai 2005 à 18:09
Trouvé ici quelques témoignages sur la torture sous Saddam Hussein. Il est difficile de trouver des articles intéressants sur ce point sur le web francophone. http://www.investigateur.info/affaires/terror/saigneur.html
On prend la mesure de la distance qui existe entre les deux systèmes.
Bien à vous.
Publié par Olivier le 4 mai 2005 à 19:39
J'ai vécu pendant deux ans aux Etats-Unis, et ce pendant que la machine de guerre se mettait en place, fin 2002, début 2003. Je tiens quand même à signaler avoir assisté sur une chaîne télévisée publique américaine (C-Span si mes souvenirs sont bons) à un débat politique de plus haut rang et à caractère très solennel au cours duquel les orateurs, devant une salle comble d'invités et de journalistes, débattaient, dans la plus grande sérénité, de la possibilité pour les autorités américaines d'avoir un recours légal à la torture pour mener leur combat contre le terrorisme. Les réactions toute feutrées de l'audience, ainsi que les applaudissements, m'ont fait sursauter. Oui l'utilisation de la torture pour obtenir des informations était un sujet tout à fait sérieux (et qui ne révoltait pas !) dans certains cercles politiques américains. Alors de là à faire passer discrètement quelques directives, il n'y a qu'un tout petit pas, surtout qd il y a une compréhension tacite (un vocable très asseptisé) qui permet de faire descendre les ordres. Et puis franchement, quelle armée n'a pa eu recours à la torture pour "sauver des vies" (sic) ? L'armée francçaise en Algérie, l'armée américaine au Vietnam, l'armée russe en Afghanistan, ... serions-nous devenus naifs et sûrs de nos "bonnes valeurs" au point de penser que nos armées modernes ont mis ces procédés si efficaces à la trappe ? Pour "sauver des vies", bien sûr ...
Publié par meslin le 18 mai 2005 à 15:07
Vous savez vos propos sont vraiment gravissimes, atteint du complexe nihilo pavlovien ?
je vous cite "L'honnêteté intellectuelle reste une valeur sûre".
Visiblement vous n'avez jamais entendu parler des directives de Donald Rumsfeld autorisant différentes techniques de torture, non du tout. Tout ceci a été huilé à Guantanamo (Gitmo) et exporté en Iraq.
En voici une
http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB127/03.04.16.pdf
Et voici une autre directive
http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB127/02.12.02.pdf
Mais ce sont sûrement des faux, complots islamo-gauchiste bien évidemment... Où est l'honnêteté intellectuelle dont vous parliez ?
Publié par s@tch le 24 avril 2006 à 3:39
Cela vous dirait qu'on vous paie le billet pour vous rendre à Abou Ghraib, on vous loue même une cellule si vous le désirez. Testez donc pour nous !
Aucun respect vous avez.
Publié par s@tch le 24 avril 2006 à 3:47