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1 mars 2005
Voler en Super Puma
MEDAN - Pour le contingent suisse, cette journée est synonyme de séparation : le détachement de pilotes des Forces aériennes a quitté ce matin Medan pour rentrer en Suisse, avec une escale à Singapour. Vu que le démontage des hélicoptères s'effectue à un très bon rythme (un Super Puma presque entièrement démonté le premier jour), et que les débriefings internes ainsi qu'avec le commandant ont été effectués, les pilotes n'ont en effet plus rien à faire ; après un mois de présence dans le secteur d'engagement, ils ont bien mérité de rentrer au foyer. Tous sont très satisfaits de leur expérience, d'avoir prouvé leur capacité à voler longtemps dans des conditions difficiles, et d'avoir contribué à l'aide humanitaire internationale dans la province d'Aceh. D'autres missions d'ailleurs attendent certains d'entre eux ces prochains mois, en-dehors des vols réguliers en Suisse, que ce soit au Kosovo ou en Bosnie. Les engagements de l'armée suisse à l'étranger comprennent désormais de manière régulière une composante de transport aérien.
Pour mieux cerner le travail des pilotes, il est bon de décrire comment un vol se déroule au-dessus de Sumatra. J'ai ainsi eu la chance d'être assis dans le siège arrière du poste de pilotage (le "jump seat") durant le vol retour de Banda Aceh à Medan, dimanche dernier, avec le T-314 et les pilotes dont j'avais déjà partagé les activités pendant 2 jours (je peux sans autre révéler qu'il s'agissait des capitaines Lukas Rechsteiner et Jarno Benz ; la photo ci-dessus a ete prise le 27.2). Le vol a duré moins de 2 heures, en suivant une trajectoire aussi rectiligne que possible, et donc en survolant les collines verdoyantes de l'île ; la vitesse oscillait autour des 130 nœuds (soit environ 240 km/h) et l'altitude variait de 300 à 1000 pieds (d'environ 90 à 300 mètres). Abrégée en raison de la cérémonie décrite ci-dessous, et qui d'ailleurs est passé à la télévision indonésienne comme dans plusieurs journaux du pays, la journée de l'équipage a compté en tout 6 heures de vol. Dans l'hélicoptère se trouvaient 5 passagers, c'est-à -dire 5 militaires en plus de l'équipage et d'un professionnel de la sécurité militaire.
Le décollage à Banda Aceh, comme d'habitude, a permis de constater les difficultés du contrôle aérien exploité par l'armée indonésienne, puisque les pilotes ont dû s'y reprendre à plusieurs fois avant de faire comprendre leur intention - décoller, effectuer une boucle puis refaire un passage au-dessus de l'aéroport en guise d'adieu. Le fait qu'un autre Super Puma - le T-318 - nous accompagnait ne simplifiait pas les choses. Ensuite, les pilotes ont mis le cap sur la côte et progressé tranquillement le long des points de passage déterminés au préalable - en communiquant régulièrement leur position et leur intention aux différents aéroports, civils ou militaires, approchés en cours de vol. Le trafic aérien très ralenti au nord de l'île, par rapport notamment au mois de janvier, a contribué à réduire le volume des communications sur les fréquences utilisées. C'est autant d'attention supplémentaire que les pilotes peuvent porter sur leur environnement, et notamment sur le paysage qu'ils survolent ; à la fois pour les nécessités du vol (points de repère, dangers potentiels, etc.), mais aussi pour le plaisir (endroits de toute beauté, population qui fait signe, etc.).
Après déjà 8 à 9 heures de travail, les pilotes doivent en effet veiller à renouveler leur concentration, et donc à faire des pauses pour faire des mouvements d'élongation bienvenus, manger quelques friandises (fruits secs et biscuits militaires ont la cote!) et bien entendu boire abondamment - presque 1 litre par heure pour certains ; il faut dire que la température dans la cabine a oscillé entre 32° et 34° durant tout le vol, malgré l'aération due aux ouvertures du cockpit. Voler en duo avec un autre hélicoptère implique également une attention permanente lorsque l'on est en seconde position. Une fois, pendant environ 15 minutes, les pilotes ont donc engagé le pilote automatique (qui gère notamment le cap et l'altitude) afin de se restaurer, de discuter, de rigoler aussi, notamment avec le reste de l'équipage, tout en continuant à observer attentivement le paysage. Parfois, ils se signalent entre eux - ou entre hélicoptères - des éléments du décor méritant d'être notés, comme un lac miraculeusement transparent ou un pipeline visiblement détruit. Le plus souvent, ce sont les cerfs-volants qui font l'objet d'annonces !
La répartition des rôles entre le pilote et le co-pilote permet naturellement de réduire la charge de travail individuelle, mais être aux commandes d'un Super Puma implique de constamment régler différentes choses tout en observant les instruments. Il faut voir la fatigue des pilotes au terme d'une journée de vol pour mesurer à quel point ces heures passées dans l'hélicoptère sont épuisantes. Dans tous les cas, il est évident que le personnel navigant des Forces aériennes démontre un professionnalisme à toute épreuve : quelle que soit la situation, et les transports de personnes à Sumatra ne manquent pas d'imprévu, je n'ai vu personne perdre son calme et sa concentration, ou même un sens de l'humour bienvenu. Le fait par exemple d'atterrir à Sabang, de passer une nuit sous tente dans l'île et de redécoller le matin sans tout l'environnement d'une place d'aviation en Suisse est une preuve d'efficacité et de flexibilité à la fois du personnel et du matériel. Cela n'a pas toujours été facile, mais le succès a toujours été au rendez-vous.
En guise de conclusion, il faut relever que les Super Puma sont vraiment d'excellents hélicoptères, solides, fiables, performants, avec une vitesse et une capacité d'emport qui forment un bon compromis. Pendant 2 mois, des dizaines de milliers de personnes dans la province d'Aceh n'ont survécu que grâce au transport aérien mis en place par les armées déployées - d'abord les Américains, les Australiens et les Singapouriens, avant que les contingents européens ne soient également à pied d'œuvre. Les pilotes suisses qui rentrent aujourd'hui au pays ont su exploiter au mieux un matériel remarquable, et démontré que les armées restent en cas de crise les seuls recours immédiats des Gouvernements.
Publié par Ludovic Monnerat le 1 mars 2005 à 12:39