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22 mars 2005

L'Europe selon Baverez

Il vaut la peine de lire l'entretien publié ce matin dans Le Figaro de Nicolas Baverez, qui livre une vision particulièrement désabusée - mais fondée - de l'Europe et de son avenir. Je ne pense pas que son analyse soit exacte en tous points, même si son jugement général sur l'Euroland, et sur le rôle joué par la France et l'Allemagne, me semble particulièrement pertinent. Sa conception d'une Europe aspirée par le vide est notamment très convaincante :

Le vide démographique, puisqu'elle s'apprête à perdre 54 millions d'habitants à l'horizon de 2050. Le vide stratégique, puisque le départ des troupes américaines n'a pas débouché sur un système de sécurité du continent alors même qu'il se situe à proximité immédiate de nombre des foyers de crise du XXIe siècle, des Balkans au Caucase en passant par le Proche-Orient, le Maghreb et l'Afrique. Le vide institutionnel, puisque les mécanismes de décision de l'Union ne sont ni légitimes ni efficaces. Le vide économique et social, avec l'enfermement dans la croissance molle et le chômage de masse à la notable exception du Royaume-Uni et des pays en rattrapage ou en transition. Le vide scientifique puisque 400 000 chercheurs européens travaillent aux Etats-Unis. Tout ceci s'explique et se traduit par un vide de sens et de projet : l'Europe, contrairement à l'Amérique du Nord et à l'Asie, a pour l'heure échoué à prendre la mesure et à apporter une réponse à la nouvelle grande transformation du capitalisme et de la démocratie sous le signe de laquelle débute le XXIe siècle.

Il apparaît difficile de contester l'immobilisme dans laquelle baigne une grande partie du continent européen. En revanche, Nicolas Baverez est à mon sens dans l'erreur quant à son jugement sur le conflit irakien, qu'il décrit curieusement comme "la chronique d'une défaite assurée face à l'alliance du nationalisme irakien et du fondamentalisme islamique", alors même que les deux sont précisément opposés. Comme de nombreux analystes européens, il tend ainsi à sous-estimer la force des idées sur l'évolution d'une planète que les échanges financiers, les flux démographiques ou l'équilibre des forces armées ne sont pas seuls à régenter. La conquête des esprits par l'entremise des valeurs libérales constitue certainement un aspect saillant de notre ère.

La conclusion de l'entretien apparaît ainsi comme une projection intellectuelle peut-être intéressante d'un point de vue historique, mais certainement décalée par rapport à l'évolution du monde :

L'Europe du XXIe siècle ressemble à celle du XIIIe siècle : elle est dominée par les Etats-Unis et l'Asie, comme elle le fut par les civilisations chinoises et musulmanes ; mais elle dispose d'une histoire et de ressources qui, mises sous tension entre des valeurs communes et la concurrence entre les intérêts des peuples et des Etats qui la composent, peuvent lui permettre d'inventer des formes politiques neuves, comme elle donna naguère naissance à la démocratie et au capitalisme en dépit des retards quelle avait longtemps accumulés.

A mon sens, c'est bien la disparition de l'Europe en tant qu'entité civilisationnelle propre que l'on devrait redouter. Et une simple réforme du marché du travail, certes indispensable, ne pourra guère provoquer le renouveau qui seul assurera la survie du continent tel que nous le connaissons.

Publié par Ludovic Monnerat le 22 mars 2005 à 12:35

Commentaires

Je ne crois pas aux théories du vide démographique. Elles sont toutes aussi fausses que celles de la bombe démographique dont chaque groupe d'intellectuels faisait écho dans les années 1970: elles partent d'une tendance et l'extrapolent à l'infini.

Or, analyser des tendances sans comprendre les mécanismes qui leur donnent naissance amène immanquablement à des absurdités.

Exemple: depuis le début du mois, les températures en Suisse on pris quelques degrés en moyenne. Si la tendance se poursuit, en décembre, le territoire sera devenu un désert inhabitable à cause de la chaleur.

Le taux de reproduction d'une population dépend de sa prospérité, des perspectives d'avenir dont elle dispose, des services qu'elle peut s'offrir pour éduquer ses enfants, de la facilité qu'ont les membres des deux sexes à se rencontrer et s'unir, et d'une multitude de facteurs que l'on ne peut ramener à un taux de croissance ou de décroissance, qui n'est qu'un résultat et surtout pas une cause.

Les perspectives d'accroissement de population sont très négatives en Europe, certes, mais un revirement de tendance est toujours possible, surtout sur une période longue de plusieurs décennies comme celle qu'évoque M. Baverez.

Publié par Stéphane le 23 mars 2005 à 16:52

Tu oublies un élément cher Stéphane: c'est que la démographie permet une projection immédiate dans le futur!
Les catastrophes démographiques sont constatées aujourd'hui, mais n'auront leurs effets que dans 20/30 ans. Ce ne sont pas des prévisions, mais vraiment des constatations...

Publié par LMAE le 23 mars 2005 à 23:48