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18 mars 2005
Les leçons de l'échec
Le rejet intégral du programme d'armement 2004, hier au Parlement, est un événement unique dans l'histoire de la défense nationale suisse. Comme le montrent les commentaires de la presse ce matin (on lira à ce sujet l'excellent éditorial de Thierry Meyer dans Le Temps), les contradictions des partis politiques et le blocage résultant des élections fédérales de 2003 sont clairement identifiés comme les causes du conservatisme réducteur qui s'opère au détriment de la politique de sécurité. En même temps, la remise en question des missions de l'armée que certains expriment par la bande n'a pas lieu d'être : la constitution est la base de ces missions, et seule une modification sanctionnée par le peuple peut être prise en compte par l'institution militaire. Les textes de loi et leur adaptation imposent une sagesse et une réflexion allant loin au-delà des pratiques actuellement en vogue dans la classe politique helvétique.
Pour l'armée, ce rejet ne constitue pas un échec (c'est avant tout celui de Samuel Schmid). Les arguments militaires qui fondent les objets du programme d'armement 2004, et notamment ceux liés à l'acquisition des 2 avions de transport Casa C-295M, n'ont pas été invalidés par le processus parlementaire. Bien au contraire : le pragmatisme et le professionnalisme exprimés notamment par le Chef de l'Armée fournissent un contraste marqué avec l'idéologie et l'amateurisme de certains partis, comme cette UDC qui propose à la sauvette un retour rapide du programme d'armement en juin pour sauver ce qu'elle a contribué à balayer. L'armée est certes otage des intérêts à court terme et prisonnière du devoir, mais cette servitude reste accessoire par rapport aux risques et aux menaces qui pèsent sur le pays et ses citoyens. Même le Conseil national devra un jour reconnaître que nous vivons dans un monde subissant les séismes de ses mouvements concentriques. Et il le fera, au dernier moment, comme toujours.
C'est la principale leçon qu'il faut à mon sens tirer de ce feuilleton risible, dont les épisodes se succèdent depuis l'été dernier : face à une classe politique incapable de voir plus loin que la législature en cours, le rôle central des militaires consiste à préparer l'avenir, à développer les savoir-faire et les capacités nécessaires aux missions futures. Le maltraitement des acquisitions doit être perçu différemment : au lieu de regretter les objets écartés il est vrai sans justification valable, il s'agit de considérer les investissements acquis comme autant d'atouts pour les crises et les conflits de demain. Parce qu'aucune mission urgente n'est désormais imaginable sans partenaire, civil à l'intérieur du pays et militaire ou civil à l'extérieur, l'armée doit comprendre que ses prestations constituent des monnaies d'échange susceptibles de combler ses lacunes. Aucune armée européenne n'a encore les moyens de tout faire sur un théâtre d'opérations donné. L'autonomie appartient au passé.
Les idéologues qui trônent au Conseil national auraient fait des crises d'apoplexie s'ils avaient vu les coopérations que la Task Force SUMA s'est assurée à Sumatra. D'une part, les antimilitaires invétérés qui peuplent la gauche - avec leurs slogans monolithiques, « priorité aux acteurs civils », etc. - auraient été atterrés par la collaboration sans faille qui a été établie entre la DDC et la TF SUMA, et par la complémentarité naturelle qu'elle a démontrée ; sur place, les coopérants du DFAE ont accueilli les militaires à bras ouverts, et l'urgence de la situation ne laissait aucune place aux scories idéologiques. D'autre part, les isolationnistes obtus qui peuplent une partie de la droite auraient été affolés par la collaboration que la TF SUMA était prête à mener avec d'autres armées en cas de situation aggravée ; le principe d'un échange de prestations opérationnelles avec les contingents américains, australiens, allemands et français a été accepté par les parties concernées, et serait entré en application sans le moindre état d'âme.
C'est une réalité qu'il convient de rappeler : le primat de la politique sur l'armée ne s'étend pas aux périodes durant lesquelles la sécurité collective dépend d'une action collective rapide et décidée, menée en coopération et exécutée sous commandement militaire. Les missions confiées aux militaires doivent être exécutées, et finissent par l'être d'une manière ou d'une autre. Que cette manière déplaise ensuite aux politiques ne sera que la conséquence de leur aveuglement.
Publié par Ludovic Monnerat le 18 mars 2005 à 11:35
Commentaires
La position présentée dans le dernier paragraphe me semble risquée.
D'une part, elle a de quoi inquiéter certains - comment, l'armée est décidée à ne pas obéir au pouvoir politique en cas d'urgence?
Et elle établit un clivage potentiellement dangereux, pour l'armée même. Précisément lors d'interventions, il est vital pour les troupes engagées d'entretenir un bon climat de confiance avec les politiques qui, sinon, pourraient faire couper l'approvisionnement en troupes et en matériel au plus mauvais moment.
Ainsi, en Irak, on aurait sans doute pu épargner la vie de nombreux soldats américains si la politique avait mieux suivi le mouvement, et que le commandement n'avait pas été forcé de limiter ses effectifs engagés.
Peu importe à qui la faute. Il faut des solutions qui rétablissement des ponts. Ce site est un excellent élément de réponse à ce genre de problèmes, d'ailleurs.
Publié par ajm le 18 mars 2005 à 17:31
Ce que je voulais dire par là , c'est qu'il y a un temps pour tout : le temps de la discussion, avec des palabres interminables sur les choix stratégiques (si seulement...) ou sur des détails d'intendance, et le temps de l'action. Le principe du service actif et de l'élection du général, en cas de menace grave pesant sur le pays, met clairement un terme au primat politique tel que nous le connaissons en temps normal. Cette disposition, applicable dès les engagements de sûreté sectorielle (et non plus la seule défense du pays), confère au commandant en chef de l'armée des prérogatives dont il ne répond que devant l'assemblée fédérale, et selon des modalités plutôt floues ; en d'autres termes, il représente l'exécutif pour tout ce qui concerne l'emploi des troupes mises à sa disposition.
Publié par Ludovic Monnerat le 18 mars 2005 à 18:43
J'oubliais de vous signaler que, du côté socialiste, il se trouve des voix pour déplorer l'attitude des parlementaires du PS! Lire l'édito du dernier No de Domaine Public:
http://www.domainepublic.ch/sommaires_hebdo/1639.htm
Publié par François Brutsch le 21 mars 2005 à 16:00