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17 mars 2005
La défense des militants
Voici 2 jours, j'avais loué l'examen de conscience auquel s'est livré dans Le Temps le jusqu'alors très militant Alain Campiotti, sur son opposition à l'opération militaire coalisée en Irak et sur la distance avec la réalité qu'une telle position a provoquée. Dans son commentaire à ce billet, Stéphane avait affirmé que je me berçais d'illusions en pensant que les rédactions étaient prêtes à faire une analyse honnête de leurs convictions, et de l'influence qu'elles ont sur leurs produits. Un peu de patience, écrivait-il en guise de conclusion (il aurait aussi pu dire qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, ce qui s'accorde à notre climat!).
Aujourd'hui, les faits viennent de lui donner raison : dans un éditorial acide et pathétique (accès libre), Serge Enderlin - chef de la rubrique internationale du Temps et à ce titre supérieur de Campiotti - transforme en effet ce qui devrait être un commentaire analytique de l'actualité (la nomination de Paul Wolfowitz comme candidat à la présidence de la Banque Mondiale) en une défense personnelle de son opposition à la guerre de l'Irak, qu'il décrit comme une aventure lamentable et meurtrière, et en refusant énergiquement toute nécessité de remettre en cause cette position. Extrait :
Les Européens, et tous ceux qui entrevoyaient dans les derniers événements («ouvertures» démocratiques au Moyen-Orient) le début d'une vérité bushienne en seront pour leurs frais: non, Bush n'a pas changé; non, on ne s'était pas trompé sur lui; non, il n'y a pas d'examen de conscience à faire sur les critiques formulées dans le passé à l'encontre de cette administration américaine pour qui un bon allié est un partenaire qui se couche.
Il peut être intéressant d'assister par article interposé à ce qui constitue un débat interne, et peut-être une lutte intestine. De toute évidence, Serge Enderlin s'est senti directement visé - et à juste titre - par les propos d'Alain Campiotti et tente de réaffirmer la ligne qu'il suit depuis l'été 2003 dans la couverture de l'Irak, du Proche-Orient et des Etats-Unis. Un rappel à l'ordre plutôt rageur, écrit par un homme dont les prédictions souvent apocalyptiques et les appels incantatoires à l'ONU ont été ridiculisés par l'évolution des événements, et qui désormais vit dans le passé pour ne pas appréhender un présent discordant.
Il y aurait en effet beaucoup à dire sur la nomination de Wolfowitz et Bolton à la Banque Mondiale et à l'ONU, et bien autre chose que les fadaises habituelles sur le démembrement du droit international ou l'unilatéralisme forcené de l'administration Bush (dans le même numéro, un article traite pourtant du départ annoncé du contingent italien en Irak, un pays censé symboliser une action unilatérale...). On peut au contraire voir dans ces décisions la volonté des USA de s'impliquer davantage dans les institutions internationales pour les transformer de l'intérieur, ou encore la nécessité pour Bush d'écarter certains personnages devenus peut-être un brin embarrassants à Washington (et aspirant à des fonctions prestigieuses, puisque Bolton était pressenti pour seconder Condoleeza Rice).
Mais il n'y a rien d'analytique ou même de rationnel dans le texte de Serge Enderlin. Son éditorial est à la fois un cri du coeur et un coup de gueule, un combat d'arrière-garde se déroulant intramuros, un refus d'avouer les erreurs commises et de reconsidérer presque 2 ans d'affirmations absolues. Une sorte de sermon dogmatique et passionné rappelant l'infaillibilité de l'autorité journalistique, en guise de défense contre ceux qui pointent le doigt sur la différence entre la réalité et les articles censés la décrire. Autant dire une tentative désespérée de repousser une remise en question qui en sera d'autant plus douloureuse.
COMPLEMENT I (17.3 0955) : On conseille à Serge Enderlin et aux opposants à cette "lamentable aventure" en Irak de commencer à s'intéresser à l'avis des Irakiens eux-mêmes, dont l'optimisme semble plus grand que jamais. Il est vrai qu'eux ont l'avantage de vivre dans l'Irak réel, et non dans l'Irak virtuel des rédactions occidentales...
Publié par Ludovic Monnerat le 17 mars 2005 à 8:02
Commentaires
J'aurais préféré avoir tort, mais hélas!, je commence à connaître l'esprit des journalistes.
Publié par Stéphane le 17 mars 2005 à 9:30
Il ne reste plus qu'à faire un sondage auprès des Iraquiens déjà mort. Tout ceux qui sont encore vivants sont contents ... les autres devaient donc avoir tord (On me répondra que les tués ne sont pas assez nombreux, leur opinion n'est pas significative statistiquement) ! Peut être que c'est là une des limitations de la pensée US et de certains militaires, d'être parfois trop « objective driven ».
Mais enfin, c'est vrai que je n'aurais pas pris connaissance de ce sondage dans le Monde.
Publié par nobody le 17 mars 2005 à 10:33
Une remarque au passage : le directeur de la Banque mondiale sera toujours à Washington et n'aura pas de raison de se sentir particulièrement écarté. J'ai plutôt l'impression que cette nomination est une promotion qui a dû être acceptée par l'intéressé.
En outre, Wolfowitz va pouvoir montrer qu'il sait faire autre chose que monter des opérations militaires tout en mettant en pratique ses idées dans un cadre qui s'y prête de façon assez intéressante.
Publié par Jean Hertz le 18 mars 2005 à 13:13