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8 février 2005
Prise d'otages : la réaction
La fausse prise d'otages qui s'est déroulée hier au consulat d'Espagne à Berne, dans le but apparent de voler des documents diplomatiques fort utiles à nombre d'activités illicites, était intéressante sur le plan de la réaction des forces de l'ordre. Signalé peu avant 0800, l'événement a vu ces forces être à pied d'oeuvre moins de 15 minutes plus tard, avec l'engagement notamment de l'unité spéciale "Stern" de la ville de Berne pour boucler le périmètre. Plus tard, des éléments de la brigade "Enzian" (ou gentiane, l'unité spéciale de la police cantonale bernoise) ont renforcé le dispositif. Un char de grenadiers à roues 93 Piranha de l'armée a même été engagé pour bloquer une rue, avec un simple "POLICE" inscrit sur le flanc pour indiquer son engagement subsidiaire (un bataillon d'infanterie est actuellement en service à Berne, mais le char peut aussi appartenir à la sécurité militaire).
En définitive, les 15 minutes séparant l'annonce de l'attaque et la prise du dispositif ont été suffisantes pour permettre aux agresseurs de s'enfuir. Mais ce déploiement rapide de moyens civils et militaires montrent certainement une amélioration des procédures, et une meilleure prise en compte des menaces actuelles sur les intérêts étrangers en Suisse. La sécurité déficiente du consulat d'Espagne étant d'abord l'affaire du Gouvernement espagnol (à la différence d'autres bâtiments consulaires, l'armée ne protège pas en permanence ce consulat), cette capacité de réponse va certainement gagner en importance à l'avenir. Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait que si une vraie prise d'otages avait eu lieu, avec par exemple des terroristes islamistes équipés d'armes automatiques et d'explosifs, les moyens déployés n'auraient probablement pas été adéquats...
L'antiterrorisme est un dossier particulièrement sensible en Suisse, mais il faudra tôt ou tard se donner les moyens adaptés à notre époque !
COMPLEMENT I (10.2) : Grâce à un courrier de Myriam, je corrige un élément mentionné plus haut, celui de la protection du consulat, car c'est bien à la Suisse de l'assurer, même si le Gouvernement espagnol a une influence sur ce processus (je pensais à la sécurité intérieure, dans le périmètre extraterritorial, en décrivant la responsabilité de celui-ci). Voilà comment la Convention de Vienne décrit cette obligation :
Art. 59 Protection des locaux consulairesL'Etat de résidence prend les mesures nécessaires pour protéger les locaux consulaires d'un poste consulaire dirigé par un fonctionnaire consulaire honoraire et empêcher qu'ils ne soient envahis ou endommagés et que la paix du poste consulaire ne soit troublée ou sa dignité amoindrie.
Avec un peu de recul, il apparaît donc que la police doit certainement revoir le niveau de sécurité des bâtiments consulaires. Est-ce qu'il ne serait pas temps de reconsidérer toute la mission "AMBA CENTRO", focalisée sur des engagements statiques et permanentes devant des bâtiments clairement définis ? Les commentaires ci-dessous le laissent penser.
Publié par Ludovic Monnerat le 8 février 2005 à 15:40
Commentaires
"L'antiterrorisme est un dossier particulièrement sensible en Suisse, mais il faudra tôt ou tard se donner les moyens adaptés à notre époque !"
Je suis d'accord sur cette conclusion. Mais cela relance aussi le débat sur les missions de l'armée devant les ambassades. J'estime personnellement que ça ne fait pas partie des tâches centrales d'une armée de milice de garder des ambassades de manière permanente. Au contraire, je pense qu'il s'agit là d'un authentique devoir de police. Pour qu'on s'entende, je parle essentiellement des engagements à titre subsidiaire de l'armée qui sont devenus tout sauf provisoires. Le fait de soutenir les forces de l'ordre de manière ponctuelle est tout-à -fait en ordre (comme c'était le cas pour le WEF, pour le G8, etc.). En ces cas-là , ça reste encore "subsidiaire".
Par contre, j'ai de la peine à cautionner tous ces cours de répétition passés devant les ambassades. Cela essentiellement pour deux raisons:
D'abord, il s'agit de veritables subventions cachées à l'adresse des cantons. Ce sont bien les cantons qui veulent garder le monopole de la police mais qui refusent en même temps de se doter des moyens (financiers et personnels) nécessaires. Je me souviens qu'on nous disait au cours de répétition qu'il manquerait plusieurs miliers de policiers aux cantons s'ils voulaient assurer eux-même cette tâche. Je ne vois alors absolument pas l'utilité et encore moins la justification de retirer des civils de leur vie professionelle pour faire "à bon prix" ce que les cantons ne veulent pas payer. En fin de compte, c'est l'économie privée qui paie pour ça. Ces frais-là ne sont en tous les cas pas compris dans le budget annuel de l'armée.
Ensuite, et j'ignore ce qu'en pense notre webmaster, mais après ce que j'ai vu de mes propres yeux, je doute malheureusement fortement des capacités de l'armée suisse de remplir la mission comme il faut. En cas de pépin, le milicien suisse serait totalement dépassé (ne serait-ce que parce qu'il n'y croit pas). L'état de la formation est actuellement déplorable (en tous les cas dans mon bataillon), entre autres parce qu'on s'efforce à "tout savoir" (encore selon mes commandants). D'un côté le combat conventionnel (prévenir Coire d'être envahi par l'axe de St.Luzisteig...) et en même temps, subir des "blocs de formation rapide" sur le comment-arrêter-une-voiture-suspecte. Tout ça simplement selon la simple devise "Just do it" (sic!). Resultat: rien ne fonctionne. Le matériel n'est pas disponible ou alors "supponiert" (terme allemand pour dire: si c'est pas là , faut se l'imaginer), les radios ne fonctionnent jamais, la logistique n'existe quasiment pas. Rien que la manipulation des armes au niveau individuel est une catastrophe. [je ne parle pas de moi personellement, j'ai la chance d'avoir eu un excellent instructeur à l'école de recrues ;-))].
Je ne suis aucunement antimilitariste, mais ce que je déplore finalement c'est le manque d'une authentique doctrine, approuvée par la politique sur des bases solides et avec la volonté d'être durable. Ensuite, c'est le manque de volonté politique de dépenser de l'argent pour l'armée. On préfère bien plutôt maintenir le tir obligatoire, ça fait pittoresque.
"Les ambassades" c'est pour moi ce que les germanophones appellent une "Beschäftigungstherapie" politique. On ne sait pas trop qu'en faire (des soldats), on est donc content de trouver un bon prétexte, bon-marché en plus!
Qu'on s'y décide alors, pour de bon, ce qu'on veut en faire de l'armée, mais qu'on soit alors prêt à engager les moyens nécessaires! Le 21e siècle n'est pas le siècle de l'armée et de la securité à rabais...
Publié par Robert Desax le 8 février 2005 à 18:08
Je ne saurais manquer de répondre à ce remarquable commentaire.
Pour l'essentiel, je partage ton avis. Je n'ai moi-même pas eu le "privilège" de participer à la mission "AMBA CENTRO", mais la plupart de mes camarades de l'école d'officiers l'ont fait, et m'en ont parlé dans des termes assez clairs - et peu flatteurs. De toute façon, sur le plan tactique, l'adoption d'un dispositif permanent et visible a relativement peu de justifications, et constitue une "cible molle" dans le vrai sens du terme.
Maintenant, il faut tout de même noter que cette mission constitue une perversion du système de milice : on engage toute l'année des bataillons et groupes qui accomplissent un service d'instruction des formations (un cours de répétition, quoi, pour reprendre l'ancienne terminologie), en évitant soigneusement le coût politique consistant à mettre sur pied une partie de l'armée pour remplir une mission jugée urgente. Du coup, la moitié des bataillons de mêlée n'ont plus le temps de s'instruire et de s'adapter aux nouveaux équipements et aux nouvelles principes d'emploi. On sacrifie le futur de l'armée et du pays sur l'autel de ses intérêts immédiats.
En revanche, je conteste avec énergie la notion selon laquelle l'armée, ne sachant pas trop que faire de ses soldats, se satisfait de les placer devant des bâtiments consulaires à Berne, Genève ou Zurich. Au contraire, toute l'institution militaire proteste contre cette mission absurde et mal conçue, et le Chef de l'Armée a bien du mal à expliquer que l'obéissance doit suffire à répondre aux interrogations. Conseiller la classe politique devrait devenir une mission explicite du CdA, comme c'est le cas en France avec le CEMA.
Enfin, quant à ton instructeur d'armes à l'école de recrues, laisse-moi te dire que privé d'entraînement régulier à la manipulation du fusil d'assaut 90, il n'est désormais guère meilleur que le soldat moyen de notre armée ! :)
Publié par Ludovic Monnerat le 9 février 2005 à 19:03
:-) reste quand-même l'exemple remarquable de conduite!
Pour le reste: Je dois effectivement précicer que ma compagnie n'a jamais participé à "Amba Centro". Elle en a par contre ressenti les conséquences. Cela au niveau personnel, la majeure partie du bataillon étant devant ls ambassades, mais aussi dans le sens du "il faut être prêt à tout!"; on se contente finalement de faire des petites théories insuffisantes et TRÈS théoriques sur le métier des fus ter (quel anachronisme!). Nous avons fini par être totalement débordés. Cependant, j'ai plusieurs de mes amis (tout sauf antimilitaristes) qui m'en ont parlé abondamment. La déception et la désillusion sont très répandues.
Je suis également absolumment conscient que ce n'est pas un probléme de l'armée, mais que c'est bien le politique qui se révèle incapable. Je me corrige donc si je me suis mal exprimé. Ce sont bien les socialistes et les éternels nostalgiques d'un autre monde de l'UDC (eh oui, surtout zurichoise...) qui sont les premiers coupables. Les uns, obnubilés par leur idéologie pacifiste et pseudo-trotzkiste, et les autres, avec leur art de romantiser "ces bons vieux cours de répèt'" avec leurs saucisses et les soirées de section en forêt et des sergeants-majors durs et mais finalement quand-même sympas (le tout avec cette chouette guerre froide comme arrière-plan), sont à mon sens les responsables du Stillstand en matière de doctrine.
Publié par Robert Desax le 9 février 2005 à 19:34
Quel esprit de synthèse, Robert! Tu es un poète ;)
N'empêche, si la situation peut être décrite avec humour, elle n'en reste pas moins lamentable. J'espère sincèrement ne jamais avoir à participer à ce style de mascarade, car les récits qu'on m'en a fait (soldats fumant des trucs malodorants, endormis, etc.) m'empêchent d'accorder la moindre crédibilité à ce genre de cirque. Et juste après, on lit notre cher aviateur en chef vanter la "motivation" de la troupe...
De plus, Robert a raison à 200% : ce n'est PAS le boulot de l'armée. Si la mission se prolonge, les cantons doivent en assumer la charge. Il s'agit d'une scandaleuse économie au détriment de l'instruction et de la motivation de la troupe, ainsi que de l'économie privée.
Garder des ambassades, entretenir des pistes de ski pour la coupe du monde ou planter des pilotis à expo 02... est-ce que c'est ça, l'armée où j'ai servi, que j'ai défendue et aimée avec tout l'idéalisme qu'on peut avoir à 20 ans?
Faut-il croire qu'il n'en reste plus que "ça"?
Si les gens continuent à répondre "oui, elle sert à ça", je déciderai que mieux vaut alors supprimer l'institution elle-même.
PS Qui est en CR dans trois semaines? - Moi.
Publié par Ruben le 9 février 2005 à 22:49
Quelques explications d'un ancien responsable de l'engagement CRONOS (AMBA-CENTRO en 1999) à Berne. Le problème est plus complexe que "les cantons doivent en assumer la charge".
(1) La responsabilité de la sûreté des représentations diplomatiques est du ressort de la Confédération qui a délégué cette tâche aux cantons. Le niveau de protection est fixé par le DFJP. S'il augmente le degré de protection au delà de la normale, les cantons font appel à la Confédération. Comme elle ne dispose pas de corps de police propre (une police fédérale a été refusée par le peuple à deux reprises), elle ne peut engager que l'armée.
(2) La tâche de l'armée consiste à surveiller le secteur, en particulier pour éviter rassemblements ou manifestations et non pour s'opposer à des terroristes ou à un héliportage. Les soldats sont des senseurs. Ils remplacent deux policiers de faction devant la représentation diplomatique lorsque le DFJP impose une présence 24/24 heures. On ne demande pas au soldat d'intervenir, mais avant tout appeler la police en cas de besoin, ce qui ne devrait pas dépasser ses compétences...
(3) Le Parlement a prolongé "l'engagement de l'armée pour la protection de représentations étrangères" (Arrêté fédéral concernant la prolongation de l'engagement de l'armée pour la protection de représentations étrangères 2004) jusqu'au 31 décembre 2007 au plus tard. Il ne faut pas voir dans cette dernière date celle d'un changement de paradigme de sécurité intérieure, mais plutôt la fin de la présente législature. Qui plus est, le rapport USIS précise que "l'attribution durable, à titre subsidiaire, à l'armée des seules tâches de contrôle statique à l'entrée et aux abords des ambassades" devrait entrer en force dès 2006. Il faut donc s'attendre à ce que l'engagement de l'armée pour exécuter des "tâches de police de sécurité relevant de la compétence de la Confédération" se prolonge encore à moyen et long terme. Il ne s'agira plus de subsidiarité mais d'une mission de l'armée attribuée suite à une décision politique. Nous avons la politique de défense que nous méritons. Au prochaines élections, votez et faites voter pour des représentants du peuple et des cantons qui soutiennent vos idées !
Publié par C. Bühlmann le 10 février 2005 à 18:29
« Nous avons la politique de défense que nous méritons. Aux prochaines élections, votez et fait voter pour des représentants du peuple et des cantons qui soutiennent vos idées ! » TOUT EST DIT !!! Mais reste à trouver les « bons » représentants!
La question de la défense, voir de la sécurité, en Suisse reste entière (Mais pas une priorité pour tous, alors qu'on présente « partout » la sécurité intérieure comme une préoccupation majeure). Le citoyen-soldat est une chance, pour ne pas dire une force, dont-on peut se targuer. Mais quand faire ?! On ne peut remplacer indéfiniment un professionnel aguerri, par un milicien dont la formation « additionnel » se limite à des CR (trop court), dans des missions de plus en plus compliquées et/ou sensibles. Le cahier des charges militaires étant déjà « bien rempli », pour ne pas dire plus. Son extension à l'infinie, sans moyens, sans missions définitives, et dans notre situation politique actuelle, reste impossible. Qui a dit : « On va droit dans le mur ?! » La critique reste facile! Qu'elle soit interne, externe, politique, citoyenne, motivée ou non. Malheureusement, la portée de la communication basée sur ce thème semble « limitée ». L'action et la réflexion, sur ces thèmes, à petite échelle est une nécessité par défaut, mais sembles sans fin. On chipote sur l'achat d'avions de transport, rechigne sur l'équipement du génie, bougonne sur les salaires des forces de l'ordre, se déchire sur les théâtres d'opérations fédérales/cantonales/municipales/! Rare sont les « voix » à nous inviter aux débats de la politique de « défense » Suisse, au sens large, et à la COORDINATION et INTERACTION de nos moyens actuels et futurs (dans le sens de la réorganisation efficiente). D'où l'importance de développer (ou simplement) pratiquer la communication sur ce sujet (la question reste propre à chacun et n'est pas la seule urgence, mais elle dépend principalement de « nous » ! Donc agissons à nos échelles respectives.)
Publié par ZC le 13 février 2005 à 22:25