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9 février 2005
Les recrues à l'amende
Le Matin consacre aujourd'hui un article au cas d'une recrue servant actuellement à Payerne, et qui pour un retard de 20 minutes s'est vue infliger une amende de 200 francs ; un autre cas est mentionné, avec une amende de 300 francs pour un retard manifesté à la diane. Malheureusement, le journaliste ne donne pas ou n'a pas pu donner la parole au commandant d'unité qui a puni ces jeunes hommes, de sorte que la version de ceux-ci - et ses relents de victimitude tellement convenus - doit être pris avec des pincettes. Il n'en demeure pas moins que ces cas découlent de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal militaire, qui accorde aux commandants la possibilité d'infliger des amendes et des privations de sortie, en plus des 3 punitions existant précédemment - soit la réprimande, les arrêts simples (incarcération uniquement en-dehors du temps de travail, qui n'existe plus) et les arrêts de rigueur (incarcération permanente).
J'ai pris connaissance de cette modification durant mon stage de formation au commandement I en décembre 1999 (anciennement école centrale I, une instruction théorique de 4 semaines pour les commandants d'unité, organisée et conduite par les Grandes Unités dans l'Armée 95), lorsque le projet nous a été présentés par des représentants de la justice militaire. Parmi les quelque 60 commandants présents dans la salle cinéma de Chamblon, puisque la division de campagne 2 et la brigade blindée 1 avaient fusionné leur stage pendant les 2 premières semaines, la plupart - et moi le premier - avaient fait preuve d'un scepticisme marqué. J'avais même pris la liberté de demander quel était l'objectif de cette réforme, et je m'étais alors heurté à un silence un peu gêné, puis des explications plutôt confuses. En fait, cette réforme du CPM vise avant tout à offrir des punitions mieux graduées dans la besace disciplinaire du commandant.
Notre principale opposition aux amendes provenait de ce qui semble mis en évidence dans l'article du Matin : les soldats ne sont pas égaux devant les ponctions financières, et des amendes de plusieurs centaines de francs peuvent poser des problèmes majeurs à des militaires en situation financière difficile, ou rester totalement indolores pour ceux qui au contraire connaissent une situation aisée. Un rééquilibrage des amendes en fonction des ressources pécuniaires des fautifs, à supposer que toutes les informations nécessaires soient légalement et matériellement disponibles, constituerait un non sens parfaitement injuste. En principe, un commandant doit relativement bien connaître les militaires peu fortunés de son unité, et donc pouvoir adapter la sanction à la personne, mais uniquement après un certain temps ; et cela ne résout que la question de la solvabilité du fautif, pas le problème de l'égalité face à l'amende.
Je pense que la révision du CPM part d'une intention louable, qui peut trouver une application utile dans certains cas précis. Mais elle peut également compliquer la tâche du commandant au lieu de la faciliter. En ce qui me concerne, ayant ouvert une quarantaine d'enquêtes disciplinaires en tant que commandement de compagnie (dans les écoles, jamais en service d'instruction des formations) et donc infligé plus d'une centaine de jours d'arrêt (dont une fois 15 jours d'arrêt de rigueur pour consommation de stupéfiants avec récidive), j'étais largement satisfait par l'ancien système. Si j'ai l'honneur un jour de commander un bataillon, je me poserai peut-être la question en des termes différents...
COMPLEMENT I (10.2) : Le Matin poursuit sur le sujet, ce qui est suffisamment rare pour être souligné, en annonçant que l'armée a infligé un total de 200'000.- d'amendes entre mars et décembre 2004. Le lecteur n'a toujours pas droit à la version du commandant d'unité pour le cas cité hier, mais le chef de la communication de la Défense, Philippe Zahno, rappelle judicieusement que ces amendes ne font guère de vagues : 4 recours sur 640 cas ont été dénombrés. Evidemment, comme toujours avec les rentrées faites par l'armée (comme après Air 04), les fonds vont directement dans la caisse fédérale...
Publié par Ludovic Monnerat le 9 février 2005 à 17:24
Commentaires
bien que juriste, je ne connais pas vraiment le code pénal militaire révisé. Cependant, je pense que l'idée des amendes en soi était de donner aux commandants la possibilté d'avoir à disposition des punitions répondant mieux à l'égigence de proportionalité. D'un côté, le commandant d'unité garde - sauf erreur - la possibilité d'envoyer les soldats au "frigo". Ensuite, s'il le juge plus adéquat, il transforme ces peines en montants d'argent. En ce cas, il va bien-entendu devoir faire usage de son pouvoir d'appréciation et donc adapter la peine aux moyens de la personne concernée. L'avantage, c'est bien que ça "fait plus mal" sans être disproportionné - ce qui est par contre à mon avis souvent le cas des peine d'arrêts. Reste la question apparement pas vraiment reglée de savoir ce qui se passe si le soldat puni d'amende n'a pas les moyens liquides de la payer - ou le refuse tout simplement (ou alors le cas ou un recours [gratuit] est interjetté, ce que je ferais personnellement en tous les cas...!). Apparament, la cause serait alors transferée au canton de résidence (?) qui devrait engager une poursuite (exécution forcée) à l'encontre du soldat redevenu civile... tout ça pour quelques centaines de francs... Rien que pour faire démarrer une procédure de poursuite, l'office des poursuites exige normalement une avance de frais de cent francs! Les frais dépasseraient alors largement le "revenu"...
enfin, tout compte fait, l'idée me semble quand-même louable.
Publié par Robert Desax le 10 février 2005 à 10:02
La jurisprudence française sur ce genre de cas ne permettrait pas cette situation : nous estimons que l'Etat ne peut inflinger de sanctions pécunières à ses employés (auxquels sont assimilés les conscrits - ou étaient puisque nous n'en avons plus), justement au regard des éléments que vous invoquez (inégalité de la sanction).
Publié par Paxatagore le 10 février 2005 à 10:03
des amendes à titre disciplinaire à l'égard des employés de l'Etat ne sont pas possibles en France? Quel est le système disciplinaire instauré en France pour les fonctionnaires?
Pour le personnel (les "fonctionnaires") de la Confédération: Loi sur le personnel, art. 25 (http://www.admin.ch/ch/f/rs/1/172.220.1.fr.pdf):
Art. 25 Manquements aux obligations professionnelles
Les dispositions d'exécution définissent les mesures destinées à rétablir l'exécution
correcte des tâches lorsque des manquements aux obligations professionnelles sont
constatés.
Si l'employé a agi par négligence, les dispositions d'exécution peuvent prévoir
l'avertissement, le blâme ou un changement du domaine d'activité.
Si l'employé a commis une négligence grave ou a agi intentionnellement, les dispositions
d'exécution peuvent en outre imposer une réduction de salaire, une
amende ou un changement du temps ou du lieu de travail.
les amendes restent donc possibles. les eventuelles inégalités de traitement peuvent resp. doivent être évitées par une juste application du pouvoir discrétionnaire de l'autorité.
Publié par Robert Desax le 10 février 2005 à 10:37