« Une journée de deuil | Accueil | La roquette et l'Empire »
6 janvier 2005
L'histoire réécrite en direct
Les grands journaux francophones ont fini par s'intéresser à la démonstration militaire américaine en Asie du Sud que je décrivais voici 2 jours, avec son impact sur la perception de l'action armée ; on peut supposer que Le Temps (accès gratuit, en bas de page) ou Le Figaro ont dû faire un effort sur eux-mêmes avant d'écrire des lignes positives, bien que l'on note l'influence du New York Times dans leurs propos (suivre en tous points la Grande Dame Grise semble le privilège des correspondants de presse francophones aux Etats-Unis...).
Pourtant, ces louanges sont dressés pour mieux blâmer les opérations militaires en Irak, et notamment pour établir une distinction absolue entre militaire et humanitaire (suivant en cela les décrets idéologiques des ONG françaises, qui sont vivement attachées au monopole de la générosité). Et cette condamnation explicite s'appuie sur une réécriture spontanée et mensongère de l'histoire, comme le démontre Charles Lambroschini dans le même Figaro :
« Au Vietnam, les Américains échouèrent à séduire «les coeurs et les esprits» car les bombardements au napalm annulaient les soins prodigués à la population civile par leurs médecins militaires. De même lorsqu'en Irak leurs unités du génie prétendent reconstruire les immeubles détruits pendant la bataille de Faludja. Cette confusion des genres n'est d'ailleurs pas propre aux Américains. Au temps de leurs expéditions coloniales, les Français ne furent guère plus sages. Qu'il s'agisse des soldats laboureurs de Bugeaud en Algérie ou des officiers pratiquant au Maroc la vocation sociale chère à Lyautey, un obstacle essentiel demeurait. Il est impossible d'être simultanément occupant et libérateur. »
Il n'est pas utile d'entrer en matière sur le Vietnam ou l'Irak, tant ces propos sont à des années-lumières de la réalité et illustrent le peu de connaissances de cet éditorialiste pour les conflits contemporains. En revanche, on ne peut que condamner cette manipulation consistant à faire croire que l'histoire coloniale française se résume à une occupation ou à une absence de libération : si la France est restée plus d'un siècle en Afrique du Nord, c'est bien parce que ses officiers coloniaux n'étaient pas des occupants, mais des civilisateurs qui cumulaient les métiers pour transformer ces régions et leur apporter les bienfaits de la modernité.
C'est un signe révélateur de notre époque que de voir un quotidien français censé être conservateur réécrire en quelques mots des décennies d'histoire, et nier catégoriquement tout ce que la France a apporté au monde. La condamnation irréfléchie du projet américain a pour conséquence automatique un déni du passé européen, au lieu d'en montrer les aspects négatifs et positifs. Et ce réflexe masochiste, lourdement influencé par le politiquement correct, amène à se demander si ce continent a vraiment un avenir propre.
COMPLEMENT : Après réflexion, on peut se demander si ce n'est pas l'inverse, à savoir que le déni du passé européen et sa criminalisation expliquent cette condamnation irréfléchie. Je laisse ouvert ce point pour l'instant...
Publié par Ludovic Monnerat le 6 janvier 2005 à 11:16