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26 janvier 2005
Les élections comme une arme
Le premier scrutin démocratique de l'Irak aura lieu dans 4 jours, et l'événement est devenu la préoccupation centrale des Irakiens. La perception donnée à ces élections diffère grandement entre ce que les médias européens en disent et ce que la population irakienne ressent, au point que les premiers ont par avance tenté de délégitimer le vote alors que la seconde s'est inscrite en masse pour voter. Mais la notion centrale ici est celle de la légitimité : l'élection - comme le référendum - est le principal outil permettant à une majorité d'exprimer une opinion, et donc d'indiquer une orientation ou une représentation politique claire. Ce qui constitue une arme des plus efficaces.
Comment un simple bulletin en papier pourrait-il vaincre les voitures piégées, les enlèvements, les assassinats et les décapitations qui forment les reflets quotidiens - et partiels - de l'Irak aujourd'hui ? C'est que les conflits dépassent largement le cadre des apparences, malgré l'emprise des terroristes sunnites sur la couverture médiatique, et les éléments déterminants sont parfois les moins visibles. Les hommes, les armes, les équipements et l'argent fondent la capacité d'agir, et sont la pointe émergée des ressources combattantes ; les sentiments, les sensations et les désirs fondent la volonté d'agir, étudiée avec éloquence par Ardant du Picq. Mais ces deux notions ne limitent pas les ressorts des conflits, malgré les affirmations de certaines théories modernes (comme les Effects-Based Operations).
Il faut en effet prendre en compte la légitimité d'agir, qui découle des valeurs, des lois et des coutumes, pour cerner la dimension éthique des acteurs, alors que c'est leur dimension cognitive - fondée par les connaissances, les concepts, les interprétations - qui détermine leur opportunité d'agir. Il ne suffit plus d'être le plus fort ou le plus décidé pour l'emporter : lorsque les actions sont instantanément retransmises à des millions de spectateurs, il faut également être le plus juste et le plus sage. Telles sont les particularités des conflits contemporains, à l'ère de la médiatisation globale et de la démocratie conquérante. La conquête du terrain a fait place à la conquête des esprits, parce que les champs de bataille se sont élargis à la dimension des sociétés. Impossible de vaincre sans convaincre.
Et c'est là le rôle crucial d'élections dans un Etat encore en partie virtuel comme le Nouvel Irak. L'expression populaire qui devrait en résulter, par l'élection d'une assemblée constituante et de pouvoirs régionaux, va donner une légitimité sans précédent aux autorités et à l'ensemble de leurs services. Pour la première fois depuis des décennies, les Irakiens seront réunis par les urnes en un événement fondateur et catalyseur, qui leur fera prendre conscience d'eux-mêmes en tant qu'entité nationale (d'où l'opportunité), en tant que majorité composite (d'où la légitimité) et en tant que peuple souverain (d'où la volonté). En d'autres termes, ces élections donneront un élan et une force renouvelée à tous ceux qui luttent pour créer une nation libre et démocratique.
L'impact des scrutins populaires en situation de crise ou de conflit est une chose que l'on a tendance à oublier en Europe, et notamment en Suisse, où le ronronnement des votations bien huilées et peu fréquentées concourt à les banaliser, alors même qu'elles représentent un sommet de maturité civique et sociétale. Mais le bulletin de vote est une arme de légitimation massive face à laquelle ni les menaces des terroristes islamistes, ni les critiques des lointains commentateurs ne font le poids. La marche de l'Histoire se poursuit.
COMPLEMENT I : Cet autre sondage semble confirmer le succès annoncé de ces élections, mais aussi la différence entre la perception des Irakiens et celles des médias occidentaux quant à la sécurité. Extrait :
53.3% said the security is good in their area.
21.7% said that security was average in their area.
25% said that security was bad in their area.
Dommage que la source ne fournisse pas le découpage de ces réponses en fonction de la province.
COMPLEMENT II : Les Forces armées américaines en Irak annoncent une chute de 50% du nombre d'attaques, et interprètent cela le calme avant la tempête. En même temps, la chute d'un hélicoptère lourd en raison probablement du mauvais temps et plusieurs attaques ont provoqué la mort de 37 soldats. Il vaut la peine de noter que l'expression "le calme avant la tempête" précède le crash de l'hélico...
Publié par Ludovic Monnerat le 26 janvier 2005 à 17:15
Commentaires
Les expatrié Irakiens ne seraient qu'un quart à avoir fait le necessaire pour pouvoir voter selon les dépéches.
Mais je n'ai pas trouvé le pourcentage par pays.
Selon qu'ils sont en Syrie ou en Allemagne, les conditions ne sont pas les mémes.
Publié par Frédéric le 29 janvier 2005 à 13:15