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10 janvier 2005

La pingrerie de l'Europe

Un jour après le tsunami qui a frappé l'Asie du Sud, et alors que l'ampleur de la catastrophe était loin d'être apparue, un haut fonctionnaire de l'ONU a jugé bon de reprocher aux nations développées leur « pingrerie » après les premières annonces de dons. Piqués au vif, les Etats-Unis ont immédiatement doublé leur contribution, et décuplé par la suite ; il peut être intéressant de relever que George Bush était alors en vacances, tout comme Kofi Annan, ce qui explique certainement leur lenteur à réagir dans les médias et à satisfaire leurs exigences (dans un autre registre, on notera que la Ministre suédoise des Affaires étrangères a jugé bon d'aller voir une pièce de théâtre le soir de la catastrophe, ce qu'elle doit à présent amèrement regretter).

Aujourd'hui, il est temps de se demander si ce n'est pas l'Europe qui devrait être accusée de pingrerie au vu des moyens somme toute restreints qu'elle déploie en Asie du Sud pour venir en aide aux populations touchées et réhabiliter leur environnement. Les promesses de dons sont en effet moins importantes en situation d'urgence que les hommes et femmes, les moyens de transport et les prestations logistiques disponibles sur place. Pour un article qui sera mis en ligne ce soir sur CheckPoint, j'ai ainsi procédé à un dénombrement des déploiements militaires effectués ou en cours dans la région, et la comparaison n'est pas favorable aux Européens. Et malgré l'orientation des médias, cela commence à se voir.

Globalement, on peut estimer le volume global de moyens militaires en action ou en transit à environ 80'000 hommes, 100 navires, 180 hélicoptères et 80 avions de transport, sans compter un pont aérien qui a impliqué près de 75 avions de transport supplémentaires. Sur ce total, l'Europe fournit à peu près 3100 hommes, 8 navires, 22 hélicoptères et 11 avions de transport, avec un levier aérien qui compte en tout 37 avions, mais dont moins d'une dizaine volent encore régulièrement aujourd'hui. C'est peu, surtout si l'on considère que 4 de ces navires et leurs 5 hélicoptères ont été retirés à la Task Force 150 engagée dans l'opération Enduring Freedom, alors que 2 autres - le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, la frégate Georges Leygues et leurs 6 hélicoptères - devaient de toute manière croiser à proximité de la région.

Retirer des moyens à une force multinationale en cours de mission n'est pas une pratique bien considérée, loin s'en faut, au sein des armées. Et ceci d'autant plus que ce ne sont pas les navires, les hélicoptères et les soldats européens qui manquent, ni les tâches à accomplir, ni les bénéfices à en retirer sous forme d'expérience opérationnelle, de contacts multinationaux et bien entendu de réputation nationale. Les Etats-Unis pour leur part déploient 16'500 militaires, 27 navires, 90 hélicoptères et 42 avions de transport, et au moins un tiers de ces moyens n'étaient pas positionnés dans le Pacifique Sud lorsque la catastrophe s'est produite ; un navire-hôpital géant offrant 1000 lits a d'ailleurs quitté la Californie et ne sera qu'à la fin du mois dans les eaux indonésiennes.

Cette pingrerie européenne face à un drame de dimension planétaire et à une mission qui durera plusieurs semaines montre les limites du soft power. Les Européens peuvent être fiers de leur générosité, et les 1,5 milliards d'euros promis seront très utiles à long terme, s'ils sont effectivement versés et employés à relancer les activités économiques locales, et non renforcer l'assistanat des populations. Mais dans une situation de crise, c'est bien le hard power et la volonté politique de l'utiliser qui font la différence. Et la véritable démonstration militaire américaine qui se déroule depuis plus d'une semaine, et qui commence à être comparée avec le pont aérien sur Berlin, montre bien que la puissance se conjugue toujours dans ses 4 dimensions majeures - politique, économique, culturelle et militaire.

COMPLEMENT I de 2145 : L'article mentionné ci-dessus est désormais disponible sur CheckPoint. Pour compléter cette lecture, je vous conseille de consulter ce communiqué du Pentagone sur la conduite des opérations militaires en Asie du Sud. Comme je l'affirmais précédemment, les Etats-Unis assurent bel et bien le leadership des contingents militaires en coordonnant leurs actions :

Initially the responsibility of a U.S. joint-service task force, the job of picking up the pieces was turned over to a combined support force comprised of the United States and 12 other countries - Australia, Austria, China, France, Germany, India, Japan, Korea, Malaysia, New Zealand, Pakistan and Singapore.
[...]
"This is a very unique organization here in that it's more of a cooperative arrangement," Krieg said. "It's not a command structure."
The nations comprising the CSF are pooling their resources to support Operation Unified Assistance, the name given the post-tsunami relief efforts focused on Indonesia, Sri Lanka and Thailand.
"We're really approaching it as almost three separate operations," Krieg said.
To work these operations, diplomats from the three countries are communicating their nations' needs through CSF liaisons, who in-turn divvy up the tasks according to the country with the greatest capabilities. The requests are then relayed to the operational base at Utapao Thai Royal Naval Air Base here for action.

Est-ce que les médias qui ont fidèlement relayé les prétentions de l'ONU à diriger les contingents militaires vont corriger cette assertion pour le moins erronée, et décrire objectivement la lutte d'influence que se joue en ce moment ?

COMPLEMENT II : Ce bref reportage du Monde fournit un aperçu très intéressant des activités sur l'aérodrome de Banda Aceh.

COMPLEMENT III : Ce commentaire dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung est certainement plus accusateur que mes propos : "Amerika handelt, Europa diskutiert" (trouvé sur Davids Medienkritik).

Publié par Ludovic Monnerat le 10 janvier 2005 à 11:02

Commentaires

Avez vous prit en compte les avions cargos loué par les gouvernements Européens et les ONG dans ce calcul.

Il y a aussi le fait qu'en matiére de transport stratégique, l'Europe n'est guére lotit au niveau aérien avec seulement les C-17 de la RAF et les avions cargos ex soviétiques.

Pour les USA, j'ai lut que leur porte avions devait aller ensuite dans le golfe persique.

Publié par Frédéric le 10 janvier 2005 à 21:04

Non, j'ai pris en compte uniquement les moyens militaires, en indiquant parfois si les contingents déployés ont loué des avions de transport pour ce faire. Car si les avions cargos livrent effectivement de grosses quantités de marchandises, ce sont les avions de transport moyens type C-130 et les hélicoptères qui permettent ensuite de livrer ces biens dans le théâtre d'opérations.

Effectivement, le transport aérien stratégique reste l'une des faiblesses de l'Europe, et le programme Airbus A400M va largement combler cette lacune avec 180 exemplaires commandés. Il s'agit là d'une vraie montée en puissance quantitative et qualitative par rapport à la flotte actuelle.

Enfin, selon les informations disponibles, c'est le groupe amphibie USS Bonhomme Richard qui doit déployer dans un peu plus d'une semaine la 15e unité expéditionnaire de Marines en Irak. L'USS Abraham Lincoln était prévu pour rester dans le Pacifique, vu que l'USS Truman est dans le Golfe.

Publié par Ludovic Monnerat le 10 janvier 2005 à 21:59

Merci de ces précisions.

Publié par Frédéric le 10 janvier 2005 à 22:50

Etonnement, la ministre de la défense Française vient de se faire sérieusement étrillée (si je peux me permettre :) ) par le journaliste du 20h sur France 2. Les moyens militaires engagés par la France ont été jugés insuffisants et la ministre a été constamment sur la défensive. Plutôt rare de voir un JT dans lequel la faiblesse des moyens militaires disponibles est dénoncée (Citation : « La France à elle les moyens de sa compassion ? »).

Les reportages sur les Marines US débarquant sans armes, l'importance et la qualité des images disponible a permit de présenter les forces US sous un jour qui n'avait pas été aussi favorable depuis aussi longtemps (voire depuis un autre débarquement il y a un cinquantaine d'années !).

Plutôt de bonnes choses donc, même si par son incapacité à bien communiquer, l'armée ne bénéficie guère de l'occasion pour se faire connaître favorablement (Au moment où elle annonce une campagne de recrutement, incroyable!). Presque pas de photos disponibles sur le site Internet du Mindef (à l'ergonomie douteuse!). Encore moins de vidéos ou de témoignages un peu plus intéressant qu'un simple communiqué de presse. Les sites type Defense Net ou MilitaryPhotos vont quand à eux être remplis de GI distribuant de l'aide humanitaire. Cette situation semble relativement similaire dans les autres pays Européens. Au moins en France, les leçons des évènements récents de cote d'ivoire (la puissance passe aussi par l'information) n'ont pas encore été intégrées...

Publié par nobody le 10 janvier 2005 à 23:15

N'ayant pas vu le JT de France 2 pour cause de retour tardif du travail, je vous crois sur parole ! Cela prouve effectivement que la contribution européenne - et française - fait pâle figure, et que l'absence d'images souligne encore davantage ce déséquilibre. En même temps, quelles images veut-on voir des militaires français en Asie du Sud ? Le détachement avancé qui cherche à caser 5 Pumas à Medan ou ailleurs, les gendarmes qui identifient les corps ? Tant que les navires ne seront pas à pied d'oeuvre avec leurs hélicos, aucune image comparable à celles diffusées par les Américains et les Australiens ne sera disponible.

Il existe cependant au moins une exception à ce marasme médiatique : l'Autriche. Sur le site du Ministère (http://www.bmlv.gv.at/), mis à jour quotidiennement, on peut en effet suivre les activités du contingent déployé au Sri Lanka et qui notamment produit de l'eau. Un déploiement d'ailleurs efficace : alertée le 3 janvier, l'unité était opérationnelle le 7 - certes en louant 2 Il-76 venant des steppes orientales...

Publié par Ludovic Monnerat le 10 janvier 2005 à 23:30

Concernant le fond de la contribution (opérationnelle) européenne et en particulier française, je suis malheureusement d'accord!

Pour le JT, il n'y a rien de spécialement mémorable, mais pour les gens intéressés:
http://videojts.france2.fr/

Dans l'édition de 20h du 10/01 à 8 et 12 minutes.

Un des reportages mentionne la location (ou le prêt?) d'un Dauphin de démonstration appartenant à Eurocopter ! (Cela ne mérite sans doute pas l'intégration dans le tableau des effectifs, de plus c'est au profit de la sécurité civile)

Le site autrichien est effectivement fort bien fait, et me fait regretter de ne pas parler un peu d'Allemand!

Ps: Correction de la citation qui était: "La France n'a pas les moyens de ses émotions"

Pps: Un détail concernant la contribution de l'Espagne, il y a une erreur de typo pour les avions: C325 au lieu de C235. Le nom de la mission étant "Respuesta Solidaria" (Responsabilité Solidaire)

Publié par nobody le 11 janvier 2005 à 0:32

Post lue sur le Forum Air-Défense :

On commence à entendre parler d'un important déploiement de la Royal Navy dans les zone sinistrées par le Tsunami.

Il s'agirait en gros de "renforcer" et de "détourner" una Task Force navale dont le déploiement était déjà prévu tout prochainement dans l'Océan Indien et le Golfe Persique dans le cadre de manoeuvres d'entraînement, de coopération et de démonstration des capacités de projection.

Ainsi, la TF pourrait inclure une douzaine de navires, y compris un porte-avions (HMS Invincible) et le port-hélicos HMS Ocean, plus des destroyers, frégates et navires de soutien logistique, pour un total de 3000 militaires

Publié par Frédéric le 11 janvier 2005 à 13:21

Merci pour toutes ces informations. L'erreur de typo a immédiatement été corrigée.

Intéressante rumeur sur le renforcement du contingent britannique. Mais est-ce qu'il n'arriverait pas un peu tard ? Si les navires sont déjà quelque part en Méditerranée, d'accord ; en revanche, s'ils sont encore à Portsmouth ou à un autre port britannique, ils ne seraient à pied d'oeuvre que pour des tâches de reconstruction - certes importantes - ou pour effectuer une rotation avec d'autres moyens.

Publié par Ludovic Monnerat le 11 janvier 2005 à 23:45

Les navires sont encore à quai.

Mais l'aide d'urgence apporté au populations suite à la destruction des moyens de communications durera encore des mois.

Au fait, l'Indonésie à indiqué qu'elle souhaiter que les forces étrangéres quitte le pays le plus tot possible - dans les 3 mois -, et elle recommande fermement la prudence dans les zones ou la guérilla se trouvent.

Publié par Frédéric le 12 janvier 2005 à 10:52

Les navires sont encore à quai.

Mais l'aide d'urgence apporté au populations suite à la destruction des moyens de communications durera encore des mois.

Au fait, l'Indonésie à indiqué qu'elle souhaiter que les forces étrangéres quitte le pays le plus tot possible - dans les 3 mois -, et elle recommande fermement la prudence dans les zones ou la guérilla se trouvent.

Publié par Frédéric le 12 janvier 2005 à 10:52