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4 janvier 2005
Haro sur les munitions !
On peut lire ce matin dans 24 Heures une attaque en règle d'un principe-clef de l'armée de milice : la possession d'armes militaires avec un emballage de munitions par chaque citoyen devant accomplir ses obligations de service. Edmond Aubert, présenté comme professeur retraité, accuse ainsi le Gouvernement de fournir un soutien officiel au suicide en distribuant des munitions à ses soldats, et recommande donc de retirer celles-ci.
L'argumentation de M. Aubert consiste d'abord à mentionner un fait divers, un meurtre commis avec une arme d'ordonnance, pour affirmer que la disponibilité d'un paquet de munitions - dans une boîte en aluminium fermée, précisons-le - a joué un rôle déterminant dans cet acte. Il distingue ainsi la possession de l'arme, qu'il estime judicieuse, et celle des munitions qui l'accompagnent :
« Si le fils n'avait pas disposé du paquet de munitions distribué depuis quelques décennies à chaque militaire, aurait-il envisagé son suicide avec tant de détermination? Ce qui est presque certain, c'est qu'il n'aurait évidemment pas eu les moyens d'abattre [! son] père. »
Mais les évidences de M. Aubert n'en sont pas : il suffit aujourd'hui à n'importe quel soldat de se rendre dans une armurerie avec son livret de service et une pièce d'identité pour acheter, en toute légalité, une boîte de cartouches adaptées au fusil d'assaut 90. La munition dite de poche que l'on distribue aux militaires avant la fin d'une période de service, en leur interdisant de l'utiliser en-dehors d'une menace grave, n'est donc pas un élément déterminant. Et les balles utilisées pour le tir sportif au fusil d'assaut sont les mêmes pour le combat.
De ce fait, M. Aubert peut bien s'étonner du petit nombre d'incidents liés aux armes d'ordonnance :
« C'est un vrai miracle que, parmi les centaines de milliers de militaires disposant ou ayant disposé de munitions de guerre ces dernières décennies, on n'ait eu à déplorer que quelques meurtres ou tentatives de meurtre. »
Je dirais plutôt que la maturité des citoyens suisses, et le désintérêt pour les armes qui caractérise une partie d'entre eux, expliquent ce prétendu miracle. Les hommes de ce pays ne vivent pas avec le fusil d'assaut sous le lit, magasin munitionné et canon dégraissé : les armes d'ordonnance séjournent au contraire le plus souvent dans les caves et les galetas, comme le reste de l'équipement militaire, dont la munition de poche fait nécessairement partie. Et lorsqu'ils se déplacent en ville pour une période de service, l'arme à l'épaule ou à la main, ils ne suscitent aucune inquiétude particulière.
De toute manière, malgré ses affirmations alarmistes, M. Aubert en vient à se contredire sur l'ampleur du problème supposé et doit reconnaître l'absence de faits solides pour fonder son propos :
« ! il est avéré que des centaines de gens s'ôtent la vie avec une arme d'ordonnance chaque année. [!] Malheureusement, les statistiques restent muettes sur le nombre de suicides effectués avec une arme d'ordonnance. Mais tous, nous avons entendu parler de cas où ce genre d'arme (grâce aux munitions qui l'accompagnent) a permis le geste fatal. »
Ces lignes s'éloignent encore davantage de la réalité. Est-ce que M. Aubert s'est déjà représenté la difficulté d'un suicide avec un fusil d'assaut ? Les pistolets sont certes plus pratiques, mais seuls les officiers, les sous-officiers supérieurs et certaines troupes spécialisées - notamment sanitaires - en sont équipés. Se donner la mort avec le gros orteil sur la détente en veillant à garder le canon du fusil dans la bouche n'est pas exactement une solution facile et séduisante pour en finir avec la vie.
Les arguments infondés ou erronés de M. Aubert ne l'empêchent toutefois pas de poser une question importante : est-il justifié aujourd'hui sur le plan militaire de confier aux soldats arme et munitions, l'une n'allant pas sans les autres, en l'absence d'un dispositif de mobilisation générale pouvant être déclenché en 24 heures ? L'évolution des menaces asymétriques, avec leur caractère ponctuel et imprévisible, fournit une partie de la réponse. Mais l'absence d'un concept clairement défini montre bien que cet aspect n'a pas été traité dans la dernière réforme de l'armée. Le rôle du citoyen-soldat avant son entrée en service doit être repensé.
Publié par Ludovic Monnerat le 4 janvier 2005 à 8:08