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9 novembre 2005
Le fonctionnement des médias
Cette semaine m'aura permis de mieux comprendre comment fonctionnent les médias dans leur gestion des perceptions, comment ils fixent des priorités sur des thèmes donnés, offrent leur espace à des contenus spécifiques, pour ensuite reporter leur attention sur autre chose. De plus, la fréquentation de ce site m'a également amené à tirer plusieurs enseignements sur la manière avec laquelle certains événements nous interpellent, nous concernent et nous touchent. Comme toujours, l'espace sémantique est bien trop complexe et changeant pour être ramené à des formules simples, mais j'ai tout de même l'impression d'avoir compris certaines choses.
Les violences urbaines en France ont mis un certain temps avant de se démarquer du reste de l'actualité, malgré la force et l'aspect symbolique des premières images ; ce n'est que le week-end dernier qu'elles ont suscité un intérêt majeur, tout à fait comparable à celui d'une catastrophe naturelle de très grande ampleur. Il est d'ailleurs probable que le gouvernement français lui-même a également mis plusieurs jours avant de réaliser la dimension du problème. Ce qui est aisé à comprendre : le suivi quotidien d'affaires importantes engendre une focalisation et une inertie qui retardent la prise de conscience, l'intégration de la nouveauté, fût-elle fracassante.
Les médias sont davantage à l'affût de celle-ci ; encore leur faut-il trouver une perception compatible avec leurs intérêts. L'article que j'ai écrit dimanche dernier et que Le Temps a publié mardi sans en changer la moindre virgule répondait à ces intérêts en fournissant une perspective à la fois originale et alarmante, enrobée d'expressions fortes : intifada française, guerre civile en Europe, ou encore mentalité d'enfants-soldats. Que La Première puis DRS 1 aient décidé de reprendre la chose en me proposant une interview (en passant, j'ai renoncé par manque de temps à participer à une émission sur Couleur 3 hier soir) confirme cette convenance. Le message est percutant, le messager est crédible (ou du moins en a l'air !), le public est réceptif : la machine se met à tourner.
Bien entendu, le fait d'être sollicité par les médias ne signifie absolument pas que l'on a raison, et je pense même que mon propos - annonçant une guerre civile future d'après l'analyse des violences présentes - n'était pas du tout partagé par mes interlocuteurs : Urs Gfeller sur la RSR l'a d'emblée rapproché des discours tenus par de Villiers ou Le Pen (j'ai dû citer un syndicat de police pour replacer ce propos dans une perspective apolitique), alors que Hans Ineichen sur la DRS a avant tout vu dans mon discours une question provocatrice. Mais une telle perception mettait le doigt sur quelque chose de prenant, de brûlant (si j'ose dire), et donc a été diffusée. Rien d'entièrement logique dans ce processus : au contraire, l'intuition doit y jouer un grand rôle. Le Fingerspitzengefühl, quoi !
La fréquentation de ce site montre d'ailleurs que les médias étaient en phase avec l'intérêt du public : lundi, le nombre de visites a brutalement augmenté de 50% pour atteindre le (modeste) record de 2487, et la majorité des nouveaux visiteurs sont venus ici par le biais des moteurs de recherches, avec des entrées mentionnant avant tout les mots « blogs », « émeutes » et « banlieues ». Mais cet intérêt a peut-être atteint son sommet, après une montée progressive sur 10 jours, et va probablement retomber - à l'instar des violences. Un peu comme si toute cette crise s'était avant tout jouée dans l'esprit des populations, comme si l'ennui limitait forcément sa durée. Comme si les lanceurs de cocktails molotov et leur public décidaient simultanément de zapper!
Nous sommes tous des consommateurs effrénés d'information. Et savoir répondre à nos besoins comme à nos envies est un défi qui se pose aussi bien pour le journaliste, l'expert, l'enseignant, le prédicateur ou encore le politique que pour l'agitateur, le casseur ou le terroriste.
Posted by Ludovic Monnerat at 9 novembre 2005 23h31
Commentaires
jkjj
Publié par: Jean-Jacques le 26 décembre 2005