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26 février 2006

Les tourments du renseignement

Révélée cette semaine par la presse, l'infiltration (finalement) manquée d'un informateur au Centre islamique de Genève permet aux éditorialistes comme aux politiciens de vilipender les services suisses de renseignements. Alors que l'affaire du fax égyptien avait déjà déstabilisé ceux-ci, et notamment le service de renseignement stratégique (SRS, intégré au département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports), c'est désormais le service d'analyse et de prévention (SAP, une division de l'office fédéral de la police, dans le département fédéral de justice et police) qui est sous les feux de la critique. Pourtant, il est important de redonner sa vraie place à l'opportunisme politique et économique qui accompagne de telles révélations, et de dépasser les émotions véhiculées à cette fin pour rappeler une certaine réalité.

Premièrement, les journalistes ne connaissent pas les produits des services de renseignement et ne sont en aucun cas qualifiés pour estimer ou juger ceux-ci. Même en spéculant sur les frustrations individuelles, en jouant sur les rivalités entre services et entre personnes, ils n'ont - heureusement - qu'un accès occasionnel aux analyses faites à l'attention des décideurs politiques. L'énumération des différentes erreurs commises et rendues publiques au fil des années n'est en rien représentative du travail de fond effectué en permanence. Seuls les historiens, en-dehors des clients du renseignement, sont en mesure de juger nos services. Et ceux-ci, durant la Seconde guerre mondiale comme durant la guerre froide, ont fourni une connaissance particulièrement réaliste de la situation ; les exercices opératifs menés par l'Etat-major général durant les années 80 étaient par exemple basées sur des analyses du Pacte de Varsovie qui ont été en tous points confirmées par les plans découverts dans les années 90.

Deuxièmement, les apparences ne sont jamais innocentes dans le monde du renseignement, et les déclarations d'un informateur retourné doivent être appréhendées en fonction des motifs probables du retourneur. On peine à croire que tous les efforts du SAP reposaient sur un seul homme, qui plus est à la fiabilité réduite, face à l'établissement à partir duquel les frères Ramadan distillent leur message islamisant. En d'autres termes, ce à quoi nous assistons est probablement une tentative de démasquer et/ou de décrédibiliser d'autres taupes en utilisant la pression médiatique, et donc politique, pour limiter la liberté d'action du SAP. Rien ne serait plus dommageable aux efforts de celui-ci que la révélation de sa véritable activité pour calmer les critiques sur la qualité de son travail. Il est d'ailleurs assez étonnant que les médias parlant de cette affaire ne s'interrogent pas sur leur rôle dans celle-ci, sur le timing des informations qu'ils ont retransmises, alors même que de nouvelles dispositions renforçant l'action du renseignement intérieur viennent d'être rendues publiques.

Il doit être aujourd'hui bien difficile de travailler dans le renseignement et de se rendre compte que seul un tout petit nombre de gens comprend le sens de votre travail. La Suisse est bien entendu loin d'être un cas isolé en la matière, même si le positionnement très à gauche de sa presse, couplé à la neutralité du pays dans les grands conflits du siècle passé, ont contribué à renforcer l'irresponsabilité et l'ignorance au quotidien. Cela ne signifie pas que nos services de renseignement soient au-dessus de tout soupçon, et que leurs prestations réelles les mettent à l'abri de la critique ; le manque de collaboration entre services, face à des risques et des menaces en évolution rapide, montre d'ailleurs que les structures mises en place dans la foulée de l'affaire Bellasi ne sont probablement pas destinées à durer très longtemps. Mais vouer continuellement et systématiquement aux gémonies ceux qui dans l'ombre s'escriment à informer les décideurs n'est pas une démarche constructive.

Surtout si l'on en vient à perdre de vue les raisons pour lesquelles certaines personnes ou organisations, dans notre pays, sont jugées suffisamment dangereuses pour justifier une opération risquée...

Publié par Ludovic Monnerat le 26 février 2006 à 18:08

Commentaires

Encore une note passionnante, j'étais justement en train de me demander comment préparer mes élèves à un contrôle en leur demandant de se soucier d'abord des acteurs en présence et de leurs motivations.
Les journalistes ont pris au pied de la lettre un témoignage (celui de l'agent retourné)sans en faire une élémentaire critique externe à la manière d'un historien en cherchant quelle est son importance, ses motivations personnelles, sa fiabilité et "à qui profite le crime". Il faut être bien jobard pour penser que Hani Ramadan n'est pas surveillé et qu'il ne sait pas qu'il l'est.
Si l'hypothèse d'un mécontentement des islamistes à cause d'une surveillance accrue de leurs activités est vraissemblable, on peut se demander pourquoi les jouranlistes se laissent faire si facilement. Surtout quand on va sur leur site pour se faire une idée des idées de Hani Ramadan

Publié par l'homme dans la lune le 26 février 2006 à 21:25

Il est également intéressant de constater le rôle de journaliste-avocat du pigiste du Matin dans la révélation. Ian Hamel, qui a commencé sa carrière comme journaliste en Guyanne http://wb221.lerelaisinternet.com/courrier/miseajour/courrlong/2005/050502hamel.htm, est également l'un des défenseurs attitrés des Ramadan. Il suffit de se promener sur google pour se rendre compte de l'ampleur des efforts qu'il déploie pour tenter de redorer le blason des Ramadan, notamment à travers le livre qu'il publiera bientôt, chez Flamarion, sur les Frères Musulmans ou ses piges diffusées par oumma.com, courroie de transmission des réseaux "Frères".
http://www.oumma.com/article.php3?id_article=1333

La question qui se pose est donc: sur quel engagement repose un tel mécénat en faveur des Frères? Quelle que soit la réponse dans le cas présent, il est globalement de plus en plus inadmissible de voir des groupes de presse importants laisser leurs rédactions offrir un support aux multiples officines de déstabilisation de notre système démocratique.

Publié par louis le 26 février 2006 à 22:22

Pour se rassurer, il y a pire ailleurs:

Internet blows CIA cover
Tribune investigation: It's easy to track America's covert operatives. All you need to know is how to navigate the Internet.
. A shift from firms to false fronts
. Plame's identity was thinly veiled
. Data mining of records easy
http://www.chicagotribune.com/


Traduction ATS:
Les coordonnées des agents de la CIA faciles à trouver sur internet

CHICAGO - Les noms et coordonnées des personnels de la CIA, y compris d'agents en poste dans les ambassades, sont faciles à trouver sur internet, a affirmé le quotidien Chicago Tribune. La CIA a dû revoir en conséquence ses dispositifs de sécurité.

Un journaliste de ce quotidien a eu accès à un annuaire de l'Agence centrale de renseignement américaine (CIA) répertoriant les noms de quelque 2600 employés et 50 numéros de téléphone internes, grâce à un service de renseignement en ligne payant, parfaitement légal. Il a également découvert par ce moyen l'identité d'agents en poste dans des ambassades américaines en Europe.

A la demande de la CIA, le journal n'a pas publié les noms de ces agents, mais il cite une source anonyme selon laquelle le directeur de l'Agence Porter Goss s'est dit "horrifié" par la découverte.

"La couverture est une question complexe, rendue encore plus complexe à l'époque d'internet", a déclaré au journal la porte-parole en chef de la CIA Jennifer Dyck. "Certains procédés qui marchaient auparavant ne marchent plus. Le directeur est contraint de moderniser la manière dont l'agence organise ses couvertures afin de protéger nos agents qui font un travail dangereux", a-t-elle ajouté.

Le quotidien a également découvert des sociétés écran créées pour protéger les activités des agents et les avions utilisés pour les transports secrets de terroristes présumés vers des pays où la torture est en usage. Plusieurs listes de sociétés écran ont disparu d'internet depuis que la CIA a découvert ces failles dans la sécurité, selon le Tribune.
(ats / 13 mars 2006 05:16)
http://www.romandie.com/infos/ats/display.asp?page=20060313051615499172194815700.xml

Publié par Deru le 13 mars 2006 à 6:17