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23 juin 2005
Les reporters en chambre
Le mythe du grand reporter est bien ancré dans les rédactions : celui d'un homme ou d'une femme courageux, qui prend des risques pour révéler la vérité, et dont l'expérience individuelle ainsi que le statut professionnel garantissent la qualité des productions. Il n'est ainsi pas rare que le reportage "du terrain" soit placé sur un piédestal, tout spécialement lorsque le sujet est un conflit armé, et que la moindre contribution d'un journaliste sur place ait plus de valeur que tout le reste. Il est allé là -bas, il a vu, il a entendu ; il doit forcément dire la vérité, toute la vérité, il doit forcément tout comprendre ce dont il a été témoin. Je schématise un brin, mais pas davantage.
Evidemment, la réalité prend parfois des airs moins héroïques, voire franchement sordides, comme l'a rappelé hier presque incidemment Libération, dans un article consacré à l'expulsion d'Irak de la journaliste française Anne-Sophie Le Mauff :
La jeune femme, qui travaille comme pigiste pour plusieurs médias (l'Humanité, Sud-Ouest, Radio Monte-Carlo, Radio Vatican, Radio Canada, etc.), et qui est installée à Bagdad depuis quinze mois, était en larmes. «Je ne comprends pas cette décision, dit-elle. Je fais mon boulot, je suis prudente, je ne quitte pas mon hôtel.» Les agents du ministère de l'Intérieur irakien lui ont indiqué qu'elle recevrait aujourd'hui la notification officielle de son expulsion.
Lire ceci m'a littéralement estomaqué : on a beau avoir peu d'illusions sur les médias contemporains, la spontanéité ingénue d'un tel aveu a de quoi surprendre. Comment madame Le Mauff peut-elle bien faire son boulot en ne quittant pas son hôtel? Comment peut-elle garantir l'exactitude de ses sources si elle s'appuie sur des pigistes locaux? Comment ses employeurs peuvent-ils vérifier ses articles s'ils n'ont pas la moindre information sur leur origine? Et comment les lecteurs peuvent-ils se fier à des "reportages" dont la transparence n'est pas exactement la qualité principale? Même à l'ère de l'information spectacle, que de tels procédés soient avoués comme si de rien n'était demeure scandaleux.
Ce qui est piquant, c'est que les journalistes en tant que corporation semblent encore vivre et penser selon des schémas d'un autre temps :
Reporters sans frontières a aussitôt dénoncé cette expulsion qui constitue «une grave atteinte à la liberté de la presse».
Apparemment, la liberté de fabriquer des reportages depuis un hôtel et de dissimuler cette particularité toute anecdotique mérite donc d'être protégée avec ferveur. Un peu comme si le fait d'être journaliste suffisait à incarner la liberté de la presse, et pas le travail de fond qui l'accompagne...
Publié par Ludovic Monnerat le 23 juin 2005 à 19:46
Commentaires
Les autres journalistes étrangers sont dans la méme situation, à moins d'avoir les moyens d'avoir une floppé de gardes de corps, ils comptent énormément sur les "locaux" pour leurs articles.
Publié par Frédéric le 23 juin 2005 à 20:37
Je conseille la lecture du blog du journaliste indépendant Michael Yon. Son reportage dans la ville de Dohuk au nord de l'Irak est très instructif.
C'est lui qui a pris la photo du soldat emmenant une petite fille touchée lors d'un attentat contre un véhicule US.
la photo en question
http://photos1.blogger.com/img/233/3034/1024/Yon%20Iraq%20Photo.jpg
Elle est malheureusement décédée peu après...
Publié par El le 23 juin 2005 à 22:30
je crois aussi avoir lu quelque chose comme:
"L'interférence d'un gouvernement, même s'il agit pour des raisons de sécurité, n'est pas admissible."
Elle a raison : on devrait les laisser dans leur trou quand ils sont pris en otage !
Publié par jc durbant le 23 juin 2005 à 23:04
Il ne faut non plus pas négliger que des journalistes laissent leur peau chaque années dans la couverture de divers conflits. Tous ne sont certainement rivés au bar de l'hôtel.
Publié par fingers le 24 juin 2005 à 0:07
Pour ma dose hebdomadaire (et même quotidienne pendant l'été) de journaliste bas et veule, je préfère Michael Kael dans le journal du Groland! Cela dit, la dame n'est pas loin du tout du modèle exprimé dans le film 'Micheal Kael contre la world-news company'. Alors Anne-Sophie, il est arrivé ce fax écrit tout petit?
Publié par LolZ le 24 juin 2005 à 0:39
"... Je fais mon boulot, je suis prudente, je ne quitte pas mon hôtel..." et les jaloux nous donnent le sobriquet de schtroumpf car nous portons toujours notre casque bleu à l'intérieur de l'hôtel. Notre métier est ingrat mais heureusement nous avons le plein contrôle de nos lecteurs :)))
Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 24 juin 2005 à 1:35
'"Humanité, Sud-Ouest, Radio Monte-Carlo, Radio Vatican, Radio Canada"
Ils sont vraiment interchangeables.
Publié par François Guillaumat le 24 juin 2005 à 4:28