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22 mars 2005
ONU : l'impuissance nécessaire
Les projets de réforme annoncés par le secrétaire général des Nations Unies ont suscité un écho largement positif dans la presse européenne. Une fois de plus, je suis surpris de voir combien les commentaires consacrés à l'ONU relèvent de professions de foi à l'endroit de cette organisation, comme si tout ce que disait Kofi Annan ou ses principaux subordonnés était parole d'évangile, ou comme si le fait de porter le célèbre logo blanc sur fond bleu était l'assurance de la justice et de la raison. Le principal regret de plusieurs commentateurs réside ainsi dans le manque de moyens alloués à l'institution supranationale - notamment sur le plan militaire. Irak, Congo, Tibet ou Darfour, le refrain est le même : seule l'ONU doit commander, et seuls les Casques Bleus doivent intervenir.
Le problème, c'est que les Casques Bleus sont déjà fort nombreux à essayer tant bien que mal de préserver la stabilité de régions troublées. Un article du Strait Times du 22 février dernier (lu dans l'avion qui m'a amené de Singapour à Medan) faisait ainsi le point sur l'ensemble des missions entreprises par l'ONU. Un total de 65'031 militaires et policiers provenant de 103 pays différents servent sous l'égide du Département des Opérations de Maintien de la Paix de l'ONU, dans le cadre de 16 missions différentes. Les 2 plus importantes, au Libéria et au Congo, mobilisent ainsi respectivement 14'677 et 13'775 soldats, alors que les missions en Sierra Leone, en Ethiopie et Eritrée, à Haïti et au Burundi nécessitent chacune entre 3300 et 6000 hommes. A titre de comparaison, les effectifs de la KFOR au Kosovo restent aux alentours de 18'000 soldats, alors que les forces internationales en Afghanistan dépassent les 25'000 militaires - sans parler des 170'000 membres de la coalition nécessaires pour l'Irak.
L'ONU a donc difficilement les moyens de ses ambitions, sur le plan quantitatif et surtout qualitatif. Les principaux pays contributeurs en Casques Bleus sont en effet le Pakistan (8183 soldats), le Bangladesh (7942), l'Inde (5154), le Népal (3453), l'Ethiopie (3428), le Ghana (3335), la Jordanie (2929), le Nigéria (2882), l'Uruguay (2497) et l'Afrique du Sud (2317). Aucune de ces armées ne figure à un niveau élevé sur le plan international, à l'exception peut-être des Africains du Sud (leurs armées ont subi une baisse qualitative difficile à estimer depuis 10 ans avec la discrimination positive imposée par les Gouvernements de l'ANC). La somme de 1028 dollars US par mois que paie l'ONU pour chaque soldat engagé sous ses couleurs, quel que soit son pays d'origine, joue naturellement un rôle important dans cette prédominance asiatique et africaine : les missions de maintien de la paix constituent une source de revenus non négligeable - 150 millions de dollars par an pour le Bangladesh. En revanche, un soldat occidental coûte bien plus cher à son armée que le salaire onusien.
Toutefois, ce n'est pas au niveau des soldats individuels que réside la vraie différence de qualité entre les armées de type occidental et les autres : ce sont les fonctions militaires transversales - le renseignement, la logistique et la conduite (2, 4 et 6) - qui sont souvent décisives. Si les troupes de pays en voie de développement posent des problèmes majeurs de discipline, comme les viols à répétition au Congo l'ont encore rappelé, l'absence d'un état-major efficace, de senseurs performants et d'un soutien robuste limite drastiquement l'efficacité militaire des missions onusiennes. Seules les armées qui s'entraînent toute l'année de manière intensive et réaliste, avec des exercices de troupe et d'état-major exigeants, sont en mesure de fournir le personnel et le matériel susceptible de répondre aux besoins caractérisant les missions de maintien de la paix. L'ONU n'a tout simplement pas à sa disposition l'infrastructure opérative qui lui permettrait d'intervenir rapidement et efficacement dans une zone de crise - le cas de l'Asie du Sud l'a encore démontré.
Et il faut s'en féliciter. Le fait que les dirigeants de l'ONU n'aient pas de comptes à rendre à un électorat populaire, mais soient au contraire désignés par des représentants gouvernementaux selon un processus non démocratique, rend inévitable les dysfonctionnements et travers majeurs de l'organisation - dont la corruption, la partialité, l'incompétence et l'inertie sont les principaux. Que Kofi Annan soit encore secrétaire général, malgré sa responsabilité écrasante dans le système qui a laissé se produire les massacres en Bosnie et le génocide au Rwanda, illustre les effets qu'entraîne l'absence de sanction électorale. L'impuissance de l'ONU est donc à mes yeux une nécessité, et la seule garantie que les idées a priori les plus nobles ne servent pas de couverture à une dérive antidémocratique encore plus avancée. Aussi longtemps que les peuples n'auront pas la compétence d'élire ses dirigeants, l'ONU n'aura aucune légitimité véritable.
COMPLEMENT I (23.3 1545) : Pour avoir une lecture critique des projets de réforme annoncés par Kofi Annan, on se reportera à l'article de Claudia Rosett publié aujourd'hui dans le Wall Street Journal. C'est exactement le genre de couverture qui à mon sens est malheureusement absent de la presse européenne.
COMPLEMENT II (26.3 0820) : Après des mois de négociations, l'ONU est parvenue à décider l'envoi de 10'700 Casques Bleus au sud du Soudan pour y faire appliquer l'accord de paix. En revanche, l'absence de consensus sur le Darfour laisse celui-ci à la merci des milices génocidaires qui s'activent depuis des mois...
Publié par Ludovic Monnerat le 22 mars 2005 à 20:28
Commentaires
Mais comment espérer que des peuples qui n'élisent souvent pas leur propre gouvernement élisent leurs représentants à l'ONU? Et plus un peuple a besoin de l'ONU, moins il est probable qu'il soit en mesure d'y élire qui que ce soit. Et il est très douteux que des représentants élus aient su faire mieux que l'ONU au Rwanda, par exemple - le problème rwandais n'appelait d'ailleurs pas une intervention militaire, ou alors il eut fallut un putsch complet, en 1993-1994, afin de se donner les moyens de remédier aux déséquilibres structurels, écologiques et sociaux (mais en fait très peu ethniques) qui s'y sont concentrés depuis le début des années 1980.
L'ONU est une mauvaise idée. À la base.
Au lieu d'un organisme censé réguler l'usage de la violence au nom des droits de l'homme, ce qui me semble illusoire, j'en proposerais un chargé d'imposer la démocratie directe au nom du peuple, ce qui est sans doute possible.
La démocratie directe, soit (pour me citer) «la possibilité accordée au peuple d'une part de proposer des objets que le gouvernement doit soumettre à son vote, et d'autre part de délégitimer les décisions du gouvernement» permet, c'est assez bien établi, de comprendre plus rapidement les changements intervenant dans une population ou un groupe social, et de réagir plus vite, à temps.
Cela n'éviterait peut-être pas les guerres, mais probablement les génocides, autrement plus meurtriers, et sans doute les démocides, plus terribles encore. Ce serait moins ambitieux, mais cela fonctionnerait mieux. Je pense.
Publié par ajm le 22 mars 2005 à 21:19
"les troupes de pays en voie de développement posent des problèmes majeurs de discipline, comme les viols à répétition au Congo" ...
Merci pour toutes les références ... C'est vrai qu'on peut difficilement envisager un système plus déresponsabilisant que l'ONU (voir aussi la Commission des droits humains siégeant actuellement à Genève, je crois) ...
Mais ces problèmes d'indiscipline et de prostitution ne sont-ils pas un problème récurrent (plus ou moins ?) pour toutes les armées (même si effectivement encore plus dans les pays les plus pauvres et avec des soldats venant de pays relativement moins développés), y compris au niveau des vols, comme certains soldats français en Côte d'ivoire ou ailleurs ... ?
Ou alors c'est une question de nombre et qu'en proportion, il y en a pas nécessairemnt beaucoup plus que dans les populations civiles correspondantes ..; ?
Et au niveau historique: que sait-on vraiment sur les quelque 15 000 (?) viols attribués aux troupes américaines (et apparemment aux régiments noirs ?) dans les mois qui ont suivi le débarquement en Normandie ?
Et sur les troupes 'indigènes" françaises à peu près au même moment (?) en Italie ou pendant la 1ère guerre (?) en Rhénanie, je crois ?
Publié par jc durbant le 22 mars 2005 à 21:25
Concernant les casques bleus, il y dix ou quinze, c'était les Européens, notamment la France qui était les principaux pourvoyeurs de troupes pour les missions au Liban, Cambodge, Bosnie... Mais avec les coupes drastiques dans les effectifs depuis cette période, nous n'avons tout simplement plus de forces disponibles en nombre pour de telles missions de longue haleine.
Et dans les zones de conflits, les Pakistanais n'hésitent pas à répliquer en cas d'attaque comme la montrée le Congo il y a quelques semaines.
Publié par Frédéric le 22 mars 2005 à 22:20
Pour des élections à la téte des organisations internationals, je me demande comment cela serait possible ?
Le FMI,la Banque Mondiale, l'OCDE, l'ASEAN, l'Union Africaine, l'Organisation des Etats Américains... n'ont pas de dirigeants élus par le peuple, seule actuellement l'Union Europeenne à un parlement élut démocratique.
Les Nations Unies ne sont pas un gouvernement mondial malgré tout ce que l'on peut lire ici et la.
Publié par Frédéric le 23 mars 2005 à 10:00
j'aimerais etre un soldat de l' onu qu'est'ce que je dois faire .aide mois s'il vous plait
Publié par ranto le 4 octobre 2005 à 15:27
Impuissance de l'ONU ! Mais si les représentants dans les instances (Conseil Securité...)ne sont pas élus, ils ont qd même une responsabilité MORALE et devraient voter à la MAJORITE et non à l'unanimité le transfert de casques bleus d'un pays à l'autre avec mission de désarmer ceux qui s'entretuent !
Pour Frédéric (message de Mars 2005)adresse-toi au centre de l'armée de ta région qui t'enrôlera d'abord ds l'armée française Christine
Publié par Bourlon Christine le 17 juin 2007 à 10:29