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28 février 2005
La colline des singes
MEDAN - Une partie du contingent a pris aujourd'hui sa première journée de congé depuis belle lurette, et j'ai eu le plaisir de prendre part à celle-ci : un déplacement en car au sud de Medan, à l'intérieur des terres, pour aller dans la jungle et observer des orangs-outangs. Sur la cinquantaine de membres de la Task Force SUMA, onze ont participé à cette journée récréative, pendant que les mécaniciens et techniciens des Forces aériennes travaillaient au démontage des Super Puma ; toutefois, une partie d'entre eux ont déjà vécu une journée récréative entièrement identique, puisque celle-ci a été jugée la meilleure manière de recharger les accus et de changer les idées des militaires suisses. Le commandant du contingent et son remplaçant étaient ainsi du voyage, qui a ravi tous ses participants. Ce d'autant plus que quitter la mégapole de Medan pour voir l'Indonésie des villes moindres et des villages était une occasion unique pour se faire une idée plus juste et plus complète du pays.
Partis à 0700 dans un bus presque trop fraîchement climatisé à mon goût (l'acclimatation se poursuit : une température de 22° commence à me donner froid), nous avons effectué un périple de 86 kilomètres en 3 heures et demie environ ; autant dire que les embouteillages matinaux sont absolument monstrueux, au point d'ailleurs qu'il plane sur les villes indonésiennes une pollution considérable, mais aussi que les routes hors des grandes villes atteignent rapidement un état assez déplorable. Pourtant, la circulation en Indonésie est très fluide : les règles usuelles du trafic ne sont respectées que dans la mesure où elles ne ralentissent pas le trafic, alors que les policiers de la route ont davantage une fonction symbolique qu'autre chose. Le véritable flot de deux-roues et de taxis collectifs (des minivans jaunes de marque Daihatsu ou Mitsubishi) est tout simplement impossible à canaliser autrement que par des constructions ; rouler sur le trottoir n'a rien de déplacé, et la priorité échoit toujours à celui qui la prend - ou à celui qui a le véhicule le plus grand et le plus lourd.
Nous avons effectué deux arrêts sur notre itinéraire afin de mieux mesurer deux activités économiques essentielles pour l'Indonésie : la récolte de l'huile de palme, et accessoirement le travail sur les feuilles de l'arbre pour en faire des balais, et la récolte du latex qui permettra de produire du caoutchouc. Ce sont des plantations gigantesques qui bordent les routes, avec des arbres alignés à perte de vue et des travailleurs - masculins et féminins - qui vont de l'un à l'autre. D'un autre côté, traverser l'arrière-pays indonésien nous a permis de voir que même les plus petits villages ont tous des marchés florissants, dont les étals regorgent de victuailles, de maisons équipées d'antennes pour la télévision, et de petits commerces bien achalandés. Un curieux mélange de modernité, notamment par le biais des téléphones portables (plusieurs opérateurs se disputent la clientèle, même dans des régions peu peuplées) et d'ancienneté, avec le lavage du linge et la baignade à la rivière.
La visite des singes a pris la forme d'une randonnée de 2 heures dans la jungle, sur et autour de collines formant un parc national, sous la conduite de deux guides expérimentés et suffisamment anglophones pour saisir leurs explications amusées. La jungle est définitivement un milieu à part, dans lequel le néophyte est immédiatement perdu : la chaleur et l'humidité extrêmes, les bruits totalement déroutants, l'étouffement dû à la végétation sont très particuliers - et je n'ai jamais autant transpiré de ma vie que cet après-midi. Les 5 singes que nous avons vus, et qui mènent une existence semi-domestique, auraient presque pu vivre dans un zoo : la présence de l'homme ne les dérange absolument pas, bien au contraire, et j'ai eu le petit plaisir de pouvoir donner à manger (quelques bananes, voir la photo ci-dessus) à une femelle orang-outang portant son petit avec force et adresse. Des instants bien sympathiques, et qui permettent d'oublier les images de destruction qui nous ont marqués les jours passés.
Le retour s'est fait sans histoire, malgré une sensation de froid encore plus présente (et le car n'était pas moderne au point de laisser chaque passager régler ses instruments!), et une attente un brin longuette dans les embouteillages du soir. Une bonne journée de repos qui m'aura permis de constater que la pauvreté des Indonésiens n'existe qu'en comparaison internationale, et que le pays leur fournit tout ce qu'il faut pour mener une vie heureuse. C'est d'ailleurs la joie de vivre qui m'a le plus frappé dans mes discussions avec les habitants du village où nous sommes allés pour cette visite, et l'accueil souvent très chaleureux envers l'étranger, avec un intérêt qui dépasse certainement le besoin de revenus. Malgré le malheur (une inondation survenue en novembre 2003 a détruit une partie du village), l'envie de vivre et d'y prendre plaisir reprennent le dessus.
Publié par Ludovic Monnerat le 28 février 2005 à 13:41