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7 janvier 2005

ONU : mensonges et réalité

Le sommet de Djakarta destiné à fédérer l'aide humanitaire en Asie du Sud s'est tenu hier, et la presse francophone s'en fait l'écho ce matin en célébrant l'autorité supposée de l'ONU dans la conduite de l'opération en des termes pour le moins grandiloquents :

L'ONU, maître du terrain - titre La Libre Belgique ;

En Asie du Sud, les Nations unies aux commandes - affirme Libération ;

L'ONU prend la tête de l'opération de secours - précise Le Monde ;

Les secours sous la bannière de l'ONU - souligne Le Figaro ;

L'ONU reprend l'initiative à Jakarta - ajoute 24 Heures.

Ces exemples parmi d'autres permettent au moins de conclure que les prétentions de Jan Egeland, coordination de l'aide d'urgence à l'ONU, étaient effectivement infondées. Mais il faut surtout remarquer que les médias se contentent de relayer le message dicté par Kofi Annan, sans y apporter la moindre note critique, même dans leurs pages de commentaires. L'ONU est de facto intouchable, et ses propos le sont également.

Pourtant, les affirmations de l'ONU sont contredites par la réalité. En premier lieu, les Etats-Unis ne font pas "marche arrière" et n'ont pas cédé la direction de leurs opérations, comme tente curieusement de nous le faire croire la TSR. En fait, la position américaine est assez claire, dans les termes de Colin Powell :

Powell agreed the U.N. would have "a lead role" on aid efforts but said others may take the lead elsewhere, suggesting that a U.S. military task force recently set up in Thailand may coordinate work among the many military forces in the area. Powell [...] hinted at some impatience to see the U.N. take charge, saying: "We talked about the need for the U.N. agencies -- if they are going to play that coordinating role -- to get on the ground and start playing it."

Les Etats-Unis sont donc parfaitement d'accord pour voir l'ONU coordonner l'action humanitaire civile, internationale et non gouvernementale, et attendent qu'elle commence à s'impliquer sur le terrain dans ce but. Mais il est exclu que l'ONU dirige les contingents militaires, puisqu'elle n'en a ni le droit, ni les compétences. Et comme les armées jouent un rôle décisif dans l'aide d'urgence, aujourd'hui et pour plusieurs jours encore, l'ONU devra soit désigner une ou plusieurs nations pour commander les contingents déployés, soit renoncer à prétendre diriger leurs actions.

Il faut remarquer que le travail de coordination de l'ONU a démarré sur le terrain avec une partie au moins des détachements civils, comme le montre ce reportage de La Tribune de Genève ; cependant, les militaires se chargent eux-mêmes de la coordination à leur échelon, et ils restent seuls à intervenir dans plusieurs régions parmi les plus dévastées :

Marine Col. Dave Kelley, chief of U.S. Support Group-Indonesia, based at the airport, said he is trying to boost the facility's capacity for handling so much aid and was searching for other landing fields.
[...]
King [operations officer for the International Organization for Migration] showered praise on the U.S. military effort. Although the Indonesian military is providing some aid, "Without these guys, there would be nothing going down that coast."

Que peut-on conclure de tout cela ? Une lutte de pouvoir se joue depuis plus d'une semaine entre les Nations Unies, soutenues par de nombreux pays européens et défendues sans relâche par les médias, et plusieurs nations contestant au mieux son efficacité, au pire son autorité, et rassemblées autour des Etats-Unis. Mais les affirmations mensongères de l'ONU ne parlent pas en sa faveur, et elles n'honorent pas ceux qui les propagent à tout va sans la moindre vérification de leur exactitude.

COMPLEMENT I : Ce reportage du Telegraph confirme l'analyse faite ci-dessus, en montrant l'absence de l'ONU dans les secteurs employés par les contingents militaires. Je doute que les médias ayant répété fidèlement le message onusien feront demain une correction...

COMPLEMENT II : Une conférence de presse tenue hier par le Commandement Pacifique américain en présence d'un délégué de l'ONU précise la situation. Une question d'un journaliste japonais a permis au commandant de la Command Support Force 536 de décrire la coopération militaire :

Q Hi, General. This is Yui with NHK, Japan Broadcasting Corporation. You said that you are coordinating with other countries' military forces. Could you tell us as to how you are coordinating with other countries, for instance such as Japanese troops?
GEN. BLACKMAN: Yes. And let me say that we have had an assessment team from Japan in here for the last few days. In fact, I believe it was yesterday they were up in northern Sumatra. That team is back now. And I believe it's either tonight or tomorrow we will see the initial contribution from Japan of a C-130. That C-130 right now is planned to make a daily logistics run with relief supplies from here at Utapao to Medan in northern Sumatra, on to Banda Aceh, back to Medan, perhaps with any medevac casualties that are being brought out of Banda Aceh to the better-equipped hospitals in Medan, and then back here and do it again the next day. So we, in particular, are very thankful for the contribution from the Japanese Self Defense Force.

Le représentant de l'ONU, Gerhard Putnam-Cramer, chef des services d'urgence au bureau onusien des affaires humanitaires, décrit ensuite le fonctionnement de l'ensemble :

We have placed here with the general's headquarters in Utapao civil military coordination officers who are assisting in the effective tasking of the assets in question.
The U.S. military and others are assisting us, basically, to assist the effective countries who have the ultimate responsibility in terms of response to the catastrophe at hand.

On voit bien ici la problématique : une double chaîne de transmission, militaire (USA - armées locales) et civile (ONU - agences locales), qu'il s'agit de faire fonctionner. Que l'ONU ait fini par dépêcher des officiers de liaison auprès du commandement américain montre bien que les deux organisations travaillent en parallèle, et que l'une n'est pas subordonnée à l'autre.

Publié par Ludovic Monnerat le 7 janvier 2005 à 12:50